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Quand Hollywood rencontre Bollywood

 

La Tribune, 23 décembre 2008

Pour toucher un MARCHÉ INDIEN TRÈS PROMETTEUR, les grands studios américains ont été contraints à l’alliance.

PAR PATRICK DE JACQUELOT, à New Delhi

Etats-Unis et Inde ont beau être depuis longtemps les deux principaux producteurs de films de la planète, les professionnels des deux pays n’avaient guère l’habitude de se parler. Les Américains méprisaient les films indiens pour leur kitsch, leur mélo et leur durée dépassant nettement la capacité d’attention de l’adolescent du Middle-West. Et à Bollywood, surnom donné à l’industrie cinématographique implantée à Bombay, on affectait d’ignorer les « block- busters » américains si peu adaptés aux goûts indiens — même si l’on ne se privait pas d’y puiser des idées.

Mais tout cela est en train de changer. Les accords industriels et financiers entre groupes des deux pays se multiplient. En octobre dernier, les studios
Fox, qui appartiennent au groupe NewsCorp du magnat des médias
Rupert Murdoch, ont signé avec le producteur indien Vipul Shah
pour sortir deux films dans les dix-huit mois qui viennent. Accord modeste, donc, mais présenté comme le premier d’une série à venir. Le groupe américain a, par ailleurs, créé une filiale, Fox Star Studios, avec StarTV, pour produire des films indiens et asiatiques.

De son côté, Warner va bientôt sortir sur les écrans une superproduction bollywoodienne, « Chandni Chowk to China », en coproduction avec des partenaires indiens. Et le groupe a passé des accords de production de films dans plusieurs des langues du sud de l’Inde. Preuve que les studios américains ont même découvert l’existence du considérable marché des « autres cinémas indiens », ceux réalisés loin de Bombay, notamment dans les États du sud.

POTENTIEL D’EXPORTATION

Yash Chopra, créateur de Yash Raj Films

Ce n’est pas tout. Les studios Sony Pictures Entertainment ont choisi de s’allier avec Eros International, « mini major » de Bombay, pour coproduire des films destinés au marché indien. Walt Disney est également de la partie. Le groupe s’est associé à un des plus célèbres noms de Bollywood, Yash Raj Films, pour réaliser des dessins animés (voir ci-dessous). Par ailleurs, sa filiale locale, Walt Disney Pictures India, a un programme de plusieurs films de cinéma classique.

En sens inverse, un seul groupe indien s’est lancé sur le marché américain, mais de quelle manière ! Cet automne Reliance Entertainment, filiale du conglomérat Reliance ADA d’Anil Ambani, est devenu le principal financier de Steven Spielberg en prenant la moitié des nouveaux studios DreamWorks. Au printemps dernier, le groupe avait déjà annoncé une série d’accords de production avec les sociétés personnelles d’acteurs américains de premier plan comme Nicolas Cage, Jim Carrey, George Clooney, Tom Hank, Brad Pitt, etc.

Si les studios américains s’implantent en Inde, c’est à cause du colossal marché domestique. Selon une étude de PricewaterhouseCoopers, l’industrie indienne du cinéma a enregistré une croissance moyenne de 17 % par an ces quatre dernières années pour atteindre un chiffre d’affaires proche de 1,5 milliard d’euros en 2007. Et la croissance devrait continuer sur un rythme de 13% par an pendant les cinq années à venir, avec un quasi doublement du chiffre d’affaires d’ici à 2012. Les Indiens raffolent des salles obscures. L’année dernière, il s’est vendu dans le pays 3,25 milliards de billets. Le prix moyen très faible explique la modestie relative du chiffre d’affaires global de cette industrie. Mais avec l’élévation du niveau de vie et la modernisation galopante des salles de cinéma dans les grandes villes, le prix des billets devrait fortement augmenter. Comme le dit Amit Khanna, président de Reliance Entertainment, « dans la crise économique globale, un transfert s’opère vers les marchés émergents, qui peuvent croître ». À cela s’ajoute une observation historique qui laisse augurer une bonne année 2009 pour l’industrie cinématographique: les périodes de récession sont favorables à ce secteur. En 1993, par exemple, la fréquentation des salles a sensiblement augmenté, au Royaume-Uni et en France.

À vrai dire, cela fait longtemps que les majors américaines convoitent le marché indien, Mais elles se sont heurtées à une difficulté à laquelle elles n’étaient pas habituées : la résistance culturelle. « Contrairement à beaucoup d’autres pays où Hollywood est leader, le marché indien reste dominé largement par la production nationale », souligne Farokh Balsara, partenaire spécialiste des médias chez Ernst & Young. Au point que les grosses machines américaines ne détiennent qu’un misérable 3% à 5% de part de marché. Insultant. Si les Américains veulent une part du gâteau indien, il leur faut donc s’indianiser...

L’intérêt des studios américains pour l’Inde est d’autant plus fort que le potentiel d’exportation de Bollywood est considéré comme très important. Et là, les professionnels indiens qui se débrouillent fort bien tout seuls dans leur pays, peuvent trouver leur compte dans ces rapprochements. « Les studios américains sauront diffuser les films indiens à l’étranger beaucoup mieux que leurs homologues ici, estime Farokh Balsara, il y a énormément de demande dans le monde pour ces films, qui ne sont pas monétisés correctement jusqu’ici. » Avec l’apport de leurs compétences en marketing et en distribution, l’arrivée des studios américains devrait donc avoir « un gros impact en matière de professionnalisation de l’industrie », poursuit-il.

Aishwarya Rai règne sur les écrans... et dans les rues

Reliance Entertainment l’a bien compris. Le groupe d’Anil Ambani applique à la lettre cette approche globale d’une industrie du cinéma devenue planétaire. Outre son entrée dans DreamWorks et ses accords avec les stars de Hollywood, le groupe a mis la main sur 250 salles de cinéma aux Etats-Unis où il compte distribuer notamment des films indiens à l’intention de la diaspora, qui compte plus de 1,7 million de personnes. Et il entend bien utiliser au niveau global ses différents moyens techniques (un studio d’animation en Inde, une société américaine spécialisée dans la restauration de films, Lowry Digital Images, etc.).

IMPACT ARTISTIQUE

L’industrie du cinéma du XXIe siècle sera donc de plus en plus globale, avec des acteurs présents sur les principaux marchés de la planète. Mais c’est promis : le contenu ne sera pas uniformisé pour autant. Amit Khanna ne compte pas dire à Spielberg quoi mettre dans ses films... Et Farokh Balsara est formel : « Ces accords n’auront pas d’impact au niveau artistique, nos films continueront à être faits pour plaire au goût indien. » Dans le cinéma globalisé de demain, Brad Pitt n’aura pas à faire semblant de chanter et Aishwarya Rai continuera bien à danser...

 

Walt Disney lance les premiers dessins animés faits par des Indiens pour les Indiens

« ROADSIDE ROMEO ». Ce n’est pas un hasard si ce dessin animé a fait un tabac lors de sa sortie en salles fin octobre. En cette période de l’année, les hindous fêtent Diwali, qui équivaut ici plus ou moins à Noël. Les enfants avaient été préparés à cet événement à grand renfort de publicité et d’un merchandising impressionnant. Pour l’industrie cinématographique indienne, ce film constituait un événement: il s’agissait de la première production issue de l’alliance entre Walt Disney et Yash Raj Films, l’un des plus importants groupes indiens de cinéma.

En s’associant pour lancer une série de dessins animés 100 % indiens, ces deux géants ont mis fin à une anomalie: l’absence de toute production nationale dans cette catégorie de films pourtant clé pour toucher les enfants. Cette correction tient peut-être au développement récent d’une classe moyenne dont les enfants sont aussi gâtés que ceux des pays occidentaux. Le cinéma indien compte bien rattraper son retard. Environ 85 projets de dessins animés ont été annoncés et 28 sont en cours de production, selon Nasscom, l’organisation professionnelle du high-tech. Les producteurs indiens de ces dessins animés ne visent pas seulement le marché local. Ils cherchent à les diffuser à l’international.

THOMSON PARTENAIRE DE DREAMWORKS

La montée en puissance de l’industrie indienne du dessin animé devrait être rapide: 27 % par an en moyenne d’ici à 2012, selon une étude réalisée par Nasscom et Ernst & Young. Dans moins de quatre ans, son chiffre d’affaires devrait ainsi atteindre 1,2 milliard de dollars. Un développement qui s’appuiera sur des compétences techniques déjà établies, puisqu’une trentaine de studios indiens d’animation travaillent en sous-traitance pour des producteurs étrangers.

Présent dans ce secteur, le groupe français Thomson a racheté en 2007 une petite société de création de contenus d’animation à Bangalore. Cette année, il a signé un accord avec DreamWorks Animation pour créer des studios dédiés à la production des dessins animés du groupe américain. Dans le cadre de ce partenariat, une cinquantaine de salariés de Thomson travaillent pour DreamWorks, qui assure leur formation. La filiale indienne de Thomson est ainsi devenue le troisième studio du groupe américain, après ceux de Los Angeles et de San Francisco.

P. DE J.

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