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Numéro unique d’identification: qui va gagner le contrat du siècle en Inde ?

 

La Tribune, 1er décembre 2009

L’Inde veut attribuer à ses 1,2 milliard de citoyens un numéro d’identification sécurisé. Ce chantier colossal fait saliver les grandes SSII comme les spécialistes de la sécurisation des données. À commencer par les Français, bien placés pour décrocher une partie du pactole.

PATRICK DE JACQUELOT, à New Delhi

 

Du jamais-vu. Depuis que le gouvernement indien a décidé d’attribuer un numéro d’identification unique à chaque habitant du pays, c’est le branle-bas de combat dans toutes les entreprises qui peuvent emporter une partie de ce colossal marché. Car ce projet est d’une telle ampleur que, selon un expert français, « ceux qui en seront deviendront dans les cinq ans leaders mondiaux dans leur domaine ».

Les champions français des services informatiques et de la sécurité veulent donc y croire. Et ils y mettent les moyens. Constitution de « task forces » dédiées, envoi de spécialistes à New Delhi... À la mi-septembre, l’ambassadeur de France à New Delhi, Jérôme Bonnafont, a même emmené onze entreprises françaises au siège de la toute nouvelle Unique Identification Authority of India (UIDAI), pour y rencontrer Nandan Nilekani, son président. Sagem Sécurité et Safran (biométrie, bases de données sécurisées), Gemalto, Syscom et Oberthur (cartes à puce), Evolis (machines pour imprimer les cartes), Thales, Steria, Capgemini, Sopra (intégrateurs), STMicro (puces) ont pu présenter leurs savoir-faire. « Les Français ont été les premiers à venir me voir ! » salue Nandan Nilekani interviewé par « La Tribune ». L’ancien cofondateur et directeur général de la SSII Infosys est l’un des hommes d’affaires les plus respectés du pays. Il a répondu en juin dernier à l’appel du Premier ministre pour devenir, avec rang de ministre, patron de l’UIDAI. Et selon lui, les entreprises françaises « ont de très bonnes technologies, notamment dans la biométrie ».

Bon départ, donc, pour les groupes français, mais la bataille sera rude. Car les défis technologiques et les contrats mirifiques du projet font saliver tous les professionnels de la planète, d’Intel à Yahoo en passant bien sûr par les SSII indiennes.

De quoi s’agit-il ? De s’attaquer aux deux faces d’un même problème : le très difficile accès des pauvres aux prestations sociales et les énormes détournements dont celles-ci font l’objet. « Les pauvres se heurtent sans cesse à la difficulté de s’identifier, explique Nandan Nilekani, que ce soit pour accéder à l’aide alimentaire ou aux programmes de santé et d’éducation montés pour eux. Ils n’ont souvent pas de certificat de naissance, voire pas de domicile. »

Si les Indiens défavorisés ont bien du mal à recevoir l’argent qui leur est destiné par les pouvoirs publics (entre 15 et 30 milliards d’euros par an selon les estimations), ces fonds ne sont pas perdus pour tout le monde. Entre la corruption des fonctionnaires chargés de la distribution et les fraudes aux identités multiples qui permettent à certains de cumuler les allocations, la perte en ligne serait colossale : le vice-président du plan a récemment évoqué une proportion de 16 % seulement des fonds qui atteindraient leur destination...

La solution prévue consiste donc à attribuer à chacun des 1,2 milliard d’Indiens un numéro unique, utilisable par toutes les administrations comme par les banques et autres opérateurs télécoms, avec un système de vérification appuyé sur des données biométriques (voir encadré). Le travail à abattre est phénoménal et va occuper les spécialistes des bases de données, de la biométrie pour la reconnaissance des empreintes digitales, des cartes à puce, qui seront émises non pas par l’UIDAI mais par tous les organismes utilisant le numéro, des télécoms pour les vérifications en ligne, etc. Sans compter, note un professionnel, que « toutes les organisations qui feront appel au numéro d’identification devront adapter leurs systèmes. C’est un marché colossal pour les SSII ».

"Aadhaar" est le nom commercial du projet UIDAI

Les défis technologiques sont impressionnants. Nulle part dans le monde il n’existe une base de données recensant 1,2 milliard de personnes identifiées par une photo d’identité et les images de leurs dix empreintes digitales. « La plus grosse base existante comprend 120 millions de personnes », explique le patron de l’autorité. Alors que les premiers numéros devraient être attribués d’ici douze à dix-huit mois, l’UIDAI prévoit que 600 millions d’Indiens seront dans sa base quatre ans plus tard. Pendant la montée en puissance du système, il est prévu un pic d’un million d’inscriptions par jour. En période de croisière, les vérifications d’identité en ligne pourraient se compter en... « centaines de milliers par seconde », selon le descriptif officiel du projet.

Est-ce bien réaliste ? « Ma présence ici montre que j’y crois », répond Nandan Nilekani, qui est tout sauf un néophyte. Les spécialistes confirment, mais énumèrent les problèmes à surmonter. Le « recrutement » des particuliers ne pose pas de difficulté technologique majeure mais exige du soin, explique un professionnel français : « Si les empreintes sont mal prises, il faudra recommencer. Il faut donc que les dizaines de milliers de personnes qui seront amenées à inscrire les Indiens soient très bien formées. » L’étape cruciale de la « déduplication » s’annonce délicate : il s’agit de comparer les empreintes d’un nouvel inscrit à celles de toute la base, soit à terme 1,2 milliard de jeux d’empreintes digitales. « C’est là que l’échelle du projet devient un problème », reconnaît Nandan Nilekani. Sans doute faudra-t-il que cette comparaison monumentale se fasse hors ligne, sur quelques jours.

La vérification de l’identité d’un utilisateur qui viendra faire une démarche en donnant son numéro sera un autre problème. L’opération consistera « simplement » à vérifier que le numéro d’identité donné par la personne et ses empreintes digitales correspondent à ce qui est enregistré dans la base. Mais, pour être efficace, il faudra que cette comparaison puisse se faire en ligne et très rapidement, y compris dans les campagnes les plus reculées de l’Inde. « Cela pose la question de la qualité des liaisons entre le terminal et la base de données », explique un expert, selon qui l’ampleur du projet pourrait avoir un effet de levier sur l’amélioration des infrastructures de télécoms du pays.

Et il n’y a pas que les défis technologiques. Toutes les administrations ne vont pas forcément accueillir à bras ouverts un instrument de rigueur et de transparence. « Il va y avoir des gens déstabilisés, parce que l’information qu’ils contrôlent leur donne du pouvoir... », explique avec diplomatie Kunal Bajaj, patron du consultant en hautes technologies BDA. La création de cette monumentale base de données va même inciter l’Inde à se pencher pour la première fois sur la question de la protection de la vie privée, ce qui pourrait susciter d’inextricables débats.

Quel pourrait être le montant de ce « contrat du siècle » ? Il n’y a pas d’estimation officielle mais les entreprises tablent sur des sommes considérables. « C’est la plus grosse affaire dans les technologies de l’information, lance Mukesh Aghi, patron de Steria en Inde, c’est une affaire qui se compte en milliards d’euros ! » La SSII consulte actuellement d’autres entreprises françaises et prévoit de remettre bientôt à l’UIDAI un livre blanc avec ses propositions.

S’il affirme n’avoir « aucune idée du montant des investissements nécessaires », Nandan Nilekani est certain d’une chose : l’opération sera rentable, vu les économies qu’elle permettra de réaliser sur les fraudes. Le descriptif officiel du projet avance une économie annuelle pour les finances publiques de l’ordre de 3 milliards d’euros.

Pour les professionnels des services informatiques et de la sécurité du monde entier, le numéro d’identification unique indien relève un peu du quitte ou double : « Les entreprises sélectionnées deviendront leaders, souligne un expert français, quant aux autres, elles pourraient être balayées. »

 

Le mode d’emploi du numéro unique d’identification


OBJECTIF : sécuriser l’identification de chaque résident indien grâce à l’octroi d’un numéro unique associé à des données biométriques.

MISE EN ŒUVRE : l’inscription ne se fera pas auprès de l’autorité chargée de gérer les numéros, mais auprès des organismes en contact avec les citoyens, qu’il s’agisse du service des passeports, des administrations locales, des banques, des services de santé, etc. Lorsqu’un utilisateur se présentera sans numéro d’identification, on lui demandera de s’inscrire en fournissant des données d’état civil (nom, date de naissance, adresse, etc.), et l’on prendra sa photo et ses empreintes digitales. L’ensemble de ces données sera comparé à toutes celles présentes dans la base pour éviter les doubles inscriptions. Un numéro d’identification lui sera alors attribué.

UTILISATION : lors de chaque contact avec l’un deces organismes, l’utilisateur donnera son numéro et posera ses doigts sur un lecteur d’empreintes digitales. Une procédure en ligne permettra de vérifier qu’elles correspondent bien à celles associées au numéro d’identification. L’identité sera alors parfaitement établie.

P. DE J.

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