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La Chine, à la fois modèle et repoussoir pour l'Inde

 

Les Echos, 20 septembre 2010

L’ANALYSE DE PATRICK DE JACQUELOT

 

D'ici à vingt ans, c'est sûr, l'Inde aura dépassé la Chine pour devenir la première puissance mondiale. Dans un domaine bien précis : celui de la population. Montant jusqu'à 1,5 puis 1,6 milliard d'habitants, le pays d'Asie du Sud supplantera alors son voisin, qui devrait plafonner à 1,4 milliard. Mais, pour le reste, l'objectif de rattraper la Chine, voire même de s'en approcher, demeure lointain.

Ce n'est pas que les Indiens n'aimeraient pas : la Chine constitue une véritable obsession des classes dirigeantes, avec des attitudes très différentes selon que l'on considère l'économie ou bien la sphère politique et diplomatique.

Sur le plan économique, les performances de la première puissance d'Asie suscitent en Inde admiration et jalousie. Admiration pour un PNB près de quatre fois plus élevé, pour des infrastructures rutilantes ou l'alphabétisation presque complète de la population chinoise. Jalousie, parce que les succès chinois soulignent cruellement les insuffisances de l'Inde : sortis tous deux de la colonisation juste après la Seconde Guerre mondiale, de taille comparable, les deux mastodontes asiatiques ont évolué bien différemment. La Chine est désormais en piste pour faire plus ou moins jeu égal avec les Etats-Unis. L'Inde continue à se débattre avec des problèmes comme la mortalité infantile, la malnutrition ou la difficulté à bâtir des infrastructures décentes. « L'économie chinoise est tellement plus développée que la nôtre que les deux pays ne boxent pas dans la même catégorie », résume Rajiv Kumar, directeur général de l'institut économique Icrier.

Les Indiens ont une réponse bien rodée pour expliquer ce retard : « Nous sommes une démocratie, répète-t-on ici, les prises de décision ne peuvent pas être imposées d'en haut comme en Chine. » Un argument que certains trouvent un peu facile : dans bien des pays du monde, démocratie ne rime pas avec inefficacité.

La comparaison entre les performances économiques des deux pays « met en évidence la lenteur, le chaos, la complexité » du système indien, souligne un diplomate européen, « l'Inde ne peut égaler l'efficacité chinoise ». « Le problème, c'est la façon indienne de pratiquer la démocratie, renchérit Basudeb Chaudhuri, économiste franco-indien basé à Delhi, le partage des pouvoirs ici fait que les infrastructures ou l'éducation sont largement de la compétence des Etats constitutifs de l'Inde. D'où un développement très inégal : le Gujarat dit qu'il peut construire des infrastructures aussi vite que la Chine », d'autres en sont complètement incapables.

Si les relations commerciales peuvent être placées sous le signe d’un intérêt mutuel bien compris, les motifs de tension politique sont multiples.


Une manifestation de moines bouddhistes à Dharamsala: le soutien de l'Inde au dalaï-lama demeure un irritant majeur pour la Chine

Dans ces conditions, les milieux économiques - hommes d'affaires mais aussi les composantes du gouvernement chargées du développement sont généralement favorables à une coopération sans état d'âme avec la Chine, afin de profiter de cette locomotive. Les échanges bilatéraux, jadis insignifiants, sont en croissance rapide et pourraient atteindre 60 milliards de dollars cette année. Mais ils sont extrêmement déséquilibrés : « Sur le plan commercial, l'Inde ne pèse rien en Chine, souligne Jean-François Huchet, directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine, alors que la Chine constitue le premier déficit de l'Inde... » Grosso modo, la Chine achète des matières premières à l'Inde, tandis que celle-ci s'y fournit en haute technologie. Quand la politique ne s'en mêle pas : ces derniers mois, les autorités de New Delhi ont tenté d'interdire les importations de matériel chinois de télécommunication, pour des raisons de sécurité.

Car si les relations commerciales peuvent être placées sous le signe d'un intérêt mutuel bien compris, les motifs de tension politique entre les deux pays sont multiples : ambitions chinoises dans l'océan Indien, soutien de l'Inde au dalaï-lama, aide apportée par la Chine au Pakistan, revendications territoriales chinoises sur l'Etat indien de l'Arunachal Pradesh, attaques contre la souveraineté indienne au Cachemire...

Les milieux politiques indiens oscillent donc entre le « réalisme pacifique » du Premier ministre Manmohan Singh, selon qui les divergences diplomatiques avec la Chine ne doivent pas empêcher une coopération économique aussi active que possible, et une attitude beaucoup plus méfiante prônant un effort militaire important aux frontières. Tout cela freine une véritable coopération économique à laquelle l'Inde aurait beaucoup à gagner. Les relations entre les deux pays « sont marquées beaucoup plus par les tensions qui les opposent que par les projets communs qui les rapprochent », notait Jean-François Huchet lors d'un colloque organisé par le Centre de sciences humaines de New Delhi.

L'Inde conserve certes des atouts vis-à-vis de sa rivale. Sa démographie, donc, mais qui ne pourra devenir une véritable richesse qu'avec une profonde réforme du système éducatif; l'usage de la langue anglaise, loin d'être universel mais plus répandu qu'en Chine; un vivier de cadres dirigeants de niveau international et une forte présence dans des secteurs de pointe comme l'informatique.

De là à rattraper la Chine... Le vrai risque, note un observateur occidental, « c'est que, même si la croissance chinoise tombe sous les 10 % pendant que l'Inde s'en approchera, la base de départ est tellement plus importante en Chine que l'écart continuera à se creuser ».

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