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Delhi : le rendez-vous manqué des jeux

 

Les Echos, 7 octobre 2010

Les Jeux du Commonwealth, qui se déroulent jusqu'au 14 octobre, étaient censés installer la capitale indienne en rivale de Pékin. Ils ont surtout mis en évidence les graves lacunes de la sphère publique indienne.

 

L'autoroute sur pilotis flambant neuve qui relie le Village des Jeux au grand stade ne s'est pas effondrée; la cérémonie d'ouverture n'a pas été victime d'une panne massive d'électricité; les résultats des premières épreuves ont pu être enregistrés normalement : les Jeux du Commonwealth ont commencé dimanche sans catastrophe et les autorités indiennes se prennent à espérer qu'ils se dérouleront correctement jusqu'à la clôture du 14 octobre. Après l'accumulation de déconvenues en septembre, allant du retard considérable de certains chantiers jusqu'à l'effondrement d'une passerelle pour piétons en passant par une épidémie de fièvre dengue, des Jeux sans incident constitueraient un succès inespéré tant on est loin des ambitions initiales...

Le long des rues, d’immenses banderoles célèbrent la grande fête internationale du sport – et masquent opportunément un chantier inachevé, un dépôt de détritus ou un campement de misère.

Les rues de Delhi ont un aspect bien inhabituel, en cette première semaine des Jeux du Commonwealth, qui rassemblent quelque 7.000 athlètes et officiels de 71 nations et territoires de l'ex-Empire britannique. Sur de nombreuses avenues, deux files restent vides pour permettre aux véhicules officiels de traverser la ville à grande vitesse - un exploit tout à fait irréalisable autrement. La foule se presse sur des lignes de métro toutes neuves, d'autant plus que de nombreux autobus, trop vétustes pour faire bonne impression, ont été retirés de la circulation. Le long des rues, d'immenses banderoles célèbrent la grande fête internationale du sport - et masquent opportunément un chantier inachevé, un dépôt de détritus ou un campement de misère. Dans ce décor qui mélange authentiques réussites et « village Potemkine », on peine à se souvenir que ces Jeux du Commonwealth devaient être pour la capitale indienne ce que les jeux Olympiques de 2008 furent pour Pékin.

Le grand stade Nehru a été rénové...

L'Inde en est persuadée, le troisième millénaire lui appartient. Et rien de tel, pour ce pays qui se revendique désormais comme un géant économique et politique, qu'une manifestation sportive internationale de premier plan pour afficher son nouveau statut à la face du monde. L'Inde s'est donc donné beaucoup de mal en 2003 pour obtenir l'organisation de ces 19esJeux. Avec dans l'idée de présenter le moment venu une capitale « de classe internationale », aussi belle que moderne. Un Pékin à la sauce curry, en quelque sorte.

Quelques réussites spectaculaires 


Contrairement à ce que les médias ont pu faire croire, le pari a été relevé dans une certaine mesure. Innovation la plus spectaculaire : Delhi est désormais sillonnée par un métro, aérien le plus souvent, d'excellente facture. La vue d'une rame de métro ultramoderne passant à grande vitesse quelques mètres au-dessus d'une avenue encombrée par le chaos habituel des voitures, camions, rickshaws à moteur ou à pédales va devenir caractéristique de la capitale indienne. Alors qu'un premier tronçon couvrant 65 kilomètres avait été ouvert voilà quelques années, une floraison de nouvelles lignes ont été inaugurées, ces dernières semaines, pour un total de 125 kilomètres supplémentaires. Même si la ligne desservant le grand stade n'a fonctionné que quelques heures avant la cérémonie d'ouverture et que l'ouverture de la ligne cruciale desservant l'aéroport a été reportée après la fin des Jeux, la ville se trouve dotée pour la première fois d'un transport de masse digne de ce nom.

Autre apport majeur : le nouveau terminal de l'aéroport de Delhi, quasiment un nouvel aéroport à lui tout seul puisqu'il va regrouper l'essentiel des vols, domestiques et internationaux. Et aussi : le remplacement rapide d'une flotte de bus déglingués et cahotants par des véhicules modernes à air conditionné. Pour un peu, on serait presque tenté de croire Suresh Kalmadi, président du comité d'organisation des Jeux, qui affirmait devant les journalistes étrangers que, avec le métro, l'aéroport et les nouvelles routes, Delhi est devenue « une capitale de classe mondiale ».

...et des stades tout neufs édifiés

Malheureusement, quelques grandes réussites incontestables ne peuvent faire oublier le reste. Les projets de réseau de bus en site propre sont gelés, la réfection des rues de Delhi se révèle pour le moins hasardeuse, avec des chaussées fraîchement refaites pendant l'été où des trous sont apparus à la première pluie. Les ambitions de mise en valeur du patrimoine historique ont débouché sur l'illumination de quelques monuments. Connaught Place, monumentale place au cœur du « Nouveau Delhi » britannique, a retrouvé de son éclat avec beaucoup de peinture fraîche, mais une bonne partie de sa rénovation a été repoussée. Quant à l'opération d'« embellissement » des rues, elle fait osciller les Delhiwalas (les habitants de la capitale) entre le rire et les larmes : des bouts de trottoir refaits ici, des panneaux de signalisation neufs là, mais ni cohérence ni continuité et un chaos urbain toujours omniprésent.

En outre, les conditions dans lesquelles ont été menées ces travaux justifient toutes les craintes. « Les Jeux c'est pour quinze jours, les infrastructures c'est pour toujours ! » déclarait Lalit Bhanot, secrétaire général du comité d'organisation des Jeux, quelques jours avant qu'une passerelle toute neuve, reliant le grand stade de la ville à un parking, ne s'effondre.

La préparation de Delhi aux Jeux du Commonwealth fait en réalité apparaître de graves problèmes. Et en tout premier lieu une absence complète de coordination. La ville dépend d'une organisation administrative en cascade, avec des compétences relevant de la Delhi Development Authority (rattachée à l'Etat indien), de l'Etat de Delhi et de la municipalité. « Pour un même chantier public, cinq agences au moins vont intervenir, pour le terrain, le permis de construire, la construction elle-même, les raccordements à l'électricité, etc. », raconte l'architecte Gautam Bhatia. Comme il n'y a aucune coordination et que « les différents membres d'une même administration refusent de se parler, on éventre des murs tout neufs pour y installer les câbles électriques et l'on refait deux ou trois fois de suite les trottoirs », poursuit-il. « Il y aurait besoin d'une excellente intégration » des systèmes de transport, ajoute Anumita Roychowdhury du Centre for Science and Environment, qui déplore par exemple que le métro fonctionne « en isolement complet », sans que rien ne soit fait pour en faciliter l'accès et le coordonner avec les autres moyens de transport.

Un coût exorbitant 


Le réseau de métros a été largement étendu

De même, comme il n'y a pas de tutelle unique, « personne ne sait combien ces Jeux coûtent », explique Shivani Chaudhry de l'ONG Housing and Land Rights Network, qui a consacré beaucoup d'efforts à recenser les dépenses engagées. Les chiffres les plus divers circulent, recouvrant des périmètres extrêmement variables. Interrogé par « Les Echos », Suresh Kalmadi affirme que la totalité des dépenses engagées est de l'ordre de 6,5 milliards d'euros, sans compter les deux méga-projets du métro et de l'aéroport. Si l'on ajoute environ 3 milliards pour le premier et 2 milliards pour le second, on arrive à plus de 11 milliards d'euros. Une somme gigantesque pour un pays qui compte encore certaines des régions les plus pauvres de la planète. « Il faudrait aussi nous dire où cet argent a été pris », lance Shivani Chaudhry, dont l'organisation a dénoncé le scandale du détournement au profit des Jeux de fonds destinés à l'amélioration du sort des intouchables. L'ONG a également relevé de nombreuses atteintes aux droits de l'homme pendant la préparation de la fête du sport : expulsion des mendiants hors de la ville, enfants utilisés sur certains chantiers, pauvres cachés aux yeux des visiteurs étrangers...

« La préparation des Jeux a mis en évidence le pire dont les différentes branches du gouvernement sont capables : corruption, exécution lamentable, opacité, faible respect pour les délais et la qualité »

 

Une couche de peinture hâtive a été posée sur les monuments historiques comme Connaught Place, coeur de la ville coloniale

Durant les derniers mois, les soupçons de corruption se sont multipliés. Pendant l'été, trois responsables ont été suspendus. « Quand on fera le post mortem après les Jeux, l'aspect corruption va sûrement refaire surface », affirme le professeur de sciences politiques de l'université de Delhi Balveer Arora, qui souligne un « problème majeur : les responsables ne prennent pas les décisions quand il faut, car trop de gens ont des intérêts en jeu ». Curieusement, même les dispositifs anticorruption peuvent se révéler contre-productifs. « Les règles des marchés publics obligent à prendre le moins-disant, explique un professionnel français des infrastructures, du coup on fait au moins cher, sans exigence aucune de qualité. »

Tout cela, finalement, met en évidence les graves lacunes du fonctionnement de la sphère publique indienne. « Si cela s'est bien passé pour nous, explique un responsable du nouvel aéroport, c'est parce que nous avons travaillé entièrement sur fonds privés. Mais nous sommes une exception plutôt que la règle ! » Dans une étude sur l'impact des Jeux, le broker CLSA (groupe Crédit Agricole) écrit que « la préparation des Jeux a mis en évidence le pire dont les différentes branches du gouvernement sont capables : corruption, exécution lamentable, opacité, faible respect pour les délais et la qualité ».

La comparaison avec Pékin, autrement dit, est cruelle. « Nous avons fait les travaux de façon superficielle et pas durable. C'est une vraie différence avec la Chine : eux, c'est du solide », commente Balveer Arora. Et ce problème ne se borne pas à l'organisation d'un événement sportif. Les difficultés mises en évidence par les Jeux du Commonwealth ne sont rien d'autre que « ce qui est normal et quotidien dans le fonctionnement de nos gouvernements », affirmait le quotidien « Business Standard » dans un éditorial implacable quelques jours avant le début des festivités. Reste à savoir si un déroulement convenable de celles-ci ne va pas enterrer toute velléité d'analyse critique des pouvoirs publics après le 14 octobre.

PATRICK DE JACQUELOT, À NEW DELHI

Encadré

GL Events ou l'OPA d'un lyonnais sur les jeux


Alors que les groupes français ne brillent pas par leur présence dans les Jeux de Delhi, GL Events fait figure d'exception. Le groupe lyonnais spécialisé dans l'organisation d'événements y a obtenu l'un des plus gros contrats de son histoire : 32 millions d'euros de prestations de services. Un inventaire à la Prévert : fourniture de 40.000 m2 de tentes, 55 km de barrières et 60.000 pièces de mobilier pour le Village des Jeux; installation de générateurs, de toilettes, etc. Le groupe, qui a créé un joint-venture avec un partenaire indien, a « 150 personnes travaillant ici pour les Jeux, 600 avec les sous-traitants », explique Sébastien Brunet, son responsable à Delhi. L'opération a justifié l'envoi en Inde de 240 conteneurs, dont certains réexpédiés depuis la Coupe du Monde d'Afrique du Sud. GL Events se voit en Inde pour le long terme : après les Jeux, il vise en 2011 la coupe du monde de cricket et le premier Grand prix de Formule 1 d'Inde.

 

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