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En plein boom, le Sri Lanka veut oublier la guerre

 

Thèmes: International

Les Echos, 13 avril 2011

Deux ans après la fin d’une terrible guerre civile, le pays espère que la croissance réglera tous les problèmes. Mais la dérive autoritaire du régime est unanimement dénoncée et fait craindre le retour des troubles.

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« Voici encore quelques semaines, il y avait des blocs de béton tout autour de l’entrée et chaque voiture était fouillée par cinq personnes, tant la terreur des attentats était encore là. Mais aujourd’hui, tout est normal. Et bientôt, des boutiques et des restaurants vont s’installer sur l’esplanade devant l’immeuble. » Nous sommes devant le World Trade Centre de Colombo, la capitale du Sri Lanka (ex-Ceylan), et Roland Reynier, qui représente Alcatel-Lucent dans le pays depuis 2006, n’en revient pas : « Quel changement, poursuit-il, regardant les nombreuses allées et venues à l’entrée des deux tours jumelles de 38 étages, ultramodernes, qui dominent la mer. Pensez : en 2008, j’ai fait le compte, dans la seule ville de Colombo, il y a eu 20 attaques terroristes qui ont fait 101 morts et 553 blessés. » Tout a changé en mai 2009, quand les troupes gouvernementales ont écrasé le LTTE, le mouvement des Tigres tamouls, mettant ainsi un terme à une trentaine d’années d’une guerre civile ultra-violente. Aujourd’hui, le sentiment dominant dans cette île de 20 millions d’habitants se résume à « Dieu merci, le cauchemar est terminé, reprenons enfin une vie normale ! »

La question tamoule

Cela ne signifie pas, loin de là, que tous les problèmes sont résolus. L’extrême violence des combats qui ont marqué la fin de la guerre entre les troupes de la majorité cingalaise du pays (de religion bouddhiste) et celles du LTTE, émanation de la minorité tamoule (de religion hindoue), avait laissé environ 280.000 personnes dans des camps de réfugiés. « Il n’y en a plus aujourd’hui que 20.000, reconnaît-on dans une ONG internationale, mais 4.000 à 5.000 personnes ont été arrêtées et sont encore prisonnières sans base légale. » Dans le nord du pays, la région massivement habitée par les Tamouls, le retour à la normale est précaire et aucune solution politique n’a été élaborée. Explication : depuis la fin du conflit, explique un diplomate européen à Colombo, « la priorité est donnée au développement économique. Pour le président Mahinda Rajapakse, ça réglera tous les problèmes. C’est un point de vue un peu limité. »

« La priorité est donnée au développement économique. Pour le président Mahinda Rajapakse, ça réglera tous les problèmes. C’est un point de vue un peu limité. »
UN DIPLOMATE EUROPÉEN À COLOMBO

Colombo: priorité au développement économique

L’idée que l’enrichissement du pays et de ses habitants fera oublier les drames du passé s’appuie au moins sur des perspectives de croissance très réelles. « Pendant les pires années, quand le pays dépensait 30 % de son PIB pour la guerre, nous faisions dans les 5 % de croissance, explique Rajendra Theagarajah, directeur général de la banque HNB (ex-Indosuez), maintenant que c’est terminé, imaginez le potentiel ! » Après une croissance de 3,5 % en 2009, l’économie du Sri Lanka a bondi de 8 % l’année dernière et pourrait demeurer dans ces eaux sur le long terme. Citibank vient ainsi de placer le pays au septième rang des plus fortes croissances attendues dans le monde entre 2010 et 2030, avec 7,6 % de moyenne annuelle.

Pour ce faire, le Sri Lanka dispose d’atouts en matière de développement social. « Le système scolaire est basique mais bien présent, la population est presque complètement alphabétisée, explique Pierre Pringiers, à la fois industriel et consul honoraire de Belgique, les infrastructures de santé sont correctes avec des dispensaires gratuits, et s’il y a de la pauvreté, elle n’est pas abjecte. » Autant de différences avec le grand voisin indien. Dans le classement 2010 de l’indice de développement humain, le Sri Lanka se place d’ailleurs au 91e rang, près de 30 places devant l’Inde (119e).

La fin des hostilités permet au pays de se concentrer sur ses infrastructures. « Nous bâtissons cinq ports simultanément », affirme Ajith Nivard Cabraal, gouverneur de la banque centrale, de son vaste bureau qui domine, précisément, le port de Colombo et son immense chantier d’extension. Situé stratégiquement sur les routes maritimes qui relient l’Europe et le Moyen-Orient à l’Asie, le Sri Lanka joue un rôle clef dans le transit de marchandises à destination de l’Inde, sous-équipée en matière de ports. Le pays investit également dans son réseau routier, « clef de l’amélioration de tout le reste », ajoute le gouverneur. La première autoroute devrait ouvrir bientôt. Au chapitre de l’énergie, précise Pierre Pringiers, « l’électricité est chère, mais il y a très peu de coupures ». Dans tous ces efforts, le Sri Lanka est soutenu par différents partenaires : la Chine construit ses ports et une grosse centrale thermique, l’Inde aide pour les chemins de fer, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement financent les routes...

Joyau touristique

Un système scolaire très correct

Ce contexte porteur devrait profiter à des secteurs traditionnels comme le textile et ses 500.000 emplois. Un créneau qui se porte bien, car le pays « fait plutôt du haut de gamme, des produits complexes, explique un homme d’affaires. Il sous-traite même de la production de masse au Bangladesh en gardant la valeur ajoutée. » C’est d’ailleurs ce qui aurait permis au pays de ne guère être affecté par les sanctions décidées l’année dernière par l’Union européenne, quand elle a retiré au Sri Lanka le bénéfice des droits de douane réduits dits « SPG + », en raison de manquements aux droits de l’homme.

Mais c’est dans les services, qui représentent près de 60 % de l’économie, que se trouve le vrai potentiel de croissance. Le patron de HNB estime que le Sri Lanka pourrait être « le prochain centre de sous-traitance » à émerger en Asie. « L’assureur britannique Aviva traite déjà ses sinistres à Colombo et des firmes de Wall Street y font faire leur recherche financière », précise le banquier, qui prévoit également un grand avenir aux activités financières comme la gestion de fonds.

Le joyau, bien entendu, c’est le tourisme. Si le Ceylan de jadis faisait rêver, le Sri Lanka de la guerre civile avait perdu de son attrait. Aujourd’hui, tout redevient possible. « Nous avions un demi-million de touristes par an au début des années 1980 et nous sommes toujours à peu près au même point (650.000 en 2010). Pendant ce temps, les pays voisins ont décollé », analyse Jayampathi Bandaranayake, PDG du Board of Investment du Sri Lanka. Le pays veut jouer sur ce qu’il considère comme son atout primordial : la possibilité de voir en un séjour d’une semaine à la fois des plages de rêve, des montagnes couvertes de plantations de thé ainsi qu’un patrimoine architectural et historique remarquable. Avec comme objectif de parvenir à 2,5 millions de touristes dans cinq ans – ce qui supposera d’importants investissements dans les infrastructures hôtelières et autres.

Globalement, « nous voulons faire du Sri Lanka un “hub” dans tous les domaines : aérien, maritime, commercial, de la connaissance, etc. », explique Lalith Weera- tunga, secrétaire du président Rajapakse et chef de l’administration du pays. Une stratégie que les experts étrangers valident : les accords de libre-échange qui lient le Sri Lanka aux pays de la région, Inde, Pakistan et Bangladesh en tête, en font une excellente base pour travailler dans toute l’Asie du Sud.

Financements internationaux

Le pays bénéficie en outre du soutien de la communauté internationale dans son développement, avec les financements apportés par la Banque mondiale et le FMI. « Le Sri Lanka a un grand potentiel, analyse-t-on au siège d’une institution financière internationale, mais il y a encore beaucoup à faire : réformer les entreprises publiques, par exemple, et faire venir davantage d’entreprises privées. » Les investissements directs de l’étranger sont en effet modestes, à 600 millions de dollars en 2010. « Nous attendons une augmentation massive cette année, très au-dessus du milliard de dollars », affirme le PDG du Board of Investment. « Je conseille aux entreprises de venir, résume Bruno Viviez, chef du service économique de l’ambassade de France à Colombo, c’est un petit pays très ouvert où les investissements sont faciles. Je pense que l’on verra dans les années qui viennent un renouveau du Sri Lanka. »

« Nous voulons faire du Sri Lanka un “hub” dans tous les domaines : aérien, maritime, commercial, de la connaissance, etc. »
LALITH WEERATUNGA SECRÉTAIRE DU PRÉSIDENT RAJAPAKSE

Le pays bénéficie d'un considérable potentiel touristique

Deux interrogations politiques pèsent malgré tout sur la marche du pays vers la prospérité. En premier lieu, la question tamoule n’est pas réglée sur le fond. Les observateurs étrangers soulignent tous qu’aucun vrai processus de réconciliation n’a été engagé. La politique de développement économique, très réelle, menée dans les zones tamoules suffira-t-elle à faire oublier à ces derniers leurs revendications identitaires et culturelles ? Ce n’est pas sûr. « Certes, le gouvernement développe le nord du pays, mais un peu comme la Chine développe le Tibet », va jusqu’à affirmer un observateur étranger. A cet égard, malgré tout, un élément d’optimisme peut être apporté par l’évolution de la partie est du pays. Longtemps dominée par le LTTE, cette zone a échappé aux Tigres tamouls deux ans plus tôt que le nord. Aujourd’hui, souligne-t-on dans une ONG de premier plan, « la région est en phase de développement, avec une dynamique politique et des relations nettement plus normales ». Des progrès réels, donc, dont il reste à savoir s’ils seront répliqués au nord.

Deuxième inquiétude : l’évolution politique du régime, dont la dérive autoritariste est unanimement dénoncée. Même si le Sri Lanka demeure une démocratie avec de vraies élections, la famille Rajapakse truste les leviers du pouvoir, et des amendements constitutionnels récents viennent de renforcer considérablement les pouvoirs du président. « Les problèmes de droits de l’homme se dégradent fortement depuis un an et demi », affirme un diplomate européen. Toutes préoccupations balayées par le secrétaire du président du Sri Lanka, qui ne voit dans ces critiques que le résultat de « la propagande du LTTE » et n’hésite pas à comparer l’omniprésence de la famille Rajapakse à celle, en son temps, de la famille Kennedy... « Je ne suis pas très optimiste, conclut Harsha de Silva, économiste, député et porte-parole de l’opposition pour l’économie, il y a ici le sentiment que maintenant que la guerre est finie, les problèmes le sont eux aussi. Mais pour assurer la stabilité du Sri Lanka, il faudrait renforcer la démocratie. Or c’est le contraire qui se passe. »

PATRICK DE JACQUELOT,
ENVOYÉ SPÉCIAL AU SRI LANKA

REPERES
Population : 20,2 millions d’habitants
Cinghalais bouddhistes : 76,7 %
Tamouls hindouistes : 7,8 %
Musulmans : 8,5 %
Chrétiens : 7 %
Taux d’alphabétisation : 91,3 %
Espérance de vie à la naissance : 71,9 ans
PIB : 43,2 milliards de dollars (2009)
PIB par habitant : 2.053 dollars (2009)
Agriculture : 12 %
Industrie : 28,5 %
Services : 59,5 %
Croissance :
+6,8% en 2007
+6% en 2008
+3,5% en 2009
+8% en 2010
Classement 2011 « Facilité pour faire des affaires » de la Banque mondiale : 102e sur 183 (Inde : 134e)
Indice global de compétitivité du Forum économique mondial 2010-2011 : 62e sur 139 (Inde : 51e)

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