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L'Inde, terre promise ou jungle pour les investisseurs ?

 

Les Echos, 27 avril 2012

L’ANALYSE DE PATRICK DE JACQUELOT

 

Même le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, s'y est mis : lors de la visite à Washington la semaine dernière du ministre indien des Finances, Pranab Mukherjee, il a mis en garde ce dernier contre ses initiatives récentes qui ont « douché l'enthousiasme (des entreprises américaines) vis-à-vis des investissements en Inde ». Au début du mois, les organisations patronales américaines, britanniques et japonaises avaient écrit au Premier ministre indien pour exprimer leur inquiétude face à des mesures qui « sapent la confiance » des investisseurs étrangers.

Les initiatives en cause concernent deux dossiers. D'abord l'affaire Vodafone : le gouvernement de New Delhi, ayant été débouté par la Cour suprême indienne dans sa tentative de taxer une acquisition faite voici quelques années par l'opérateur télécoms britannique, vient d'introduire une législation rétroactive pour annuler la décision de la Cour (« Les Echos » du 4 avril); ensuite, l'introduction dans la dernière loi de Finances de mesures de lutte contre « l'opportunisme fiscal » jugées floues et subjectives par les entreprises.

La liste des contentieux récents en matière d'investissements étrangers ne s'arrête pas là. Toujours dans les télécoms, plusieurs opérateurs étrangers, dont le norvégien Telenor, sont menacés de pertes massives à la suite de l'annulation de leurs licences par la justice indienne dans le cadre d'une affaire de corruption. Le sidérurgiste sud-coréen Posco, qui tente depuis 2005 de créer une usine pour 12 milliards de dollars -le plus gros investissement direct étranger (IDE) de l'histoire de l'Inde -, vient de voir son projet bloqué une énième fois par décision administrative. Le gouvernement dit vouloir autoriser les compagnies aériennes étrangères à prendre 49 % du capital des compagnies nationales mais repousse de semaine en semaine la décision. Un projet de loi qui porterait de 26 % à 49 % le plafond autorisé aux assureurs étrangers dans les compagnies indiennes traîne au Parlement depuis des années. Et le gouvernement a dû retirer fin 2011 son projet d'ouverture de la grande distribution aux professionnels étrangers quelques jours après l'avoir annoncé, en raison de l'hostilité de ses alliés politiques.

Sur 2010-2011, les investissements directs étrangers ont été inférieurs de 25 % à leur niveau potentiel, en raison notamment de l’incertitude croissante qui pèse sur les politiques publiques. Or, l’Inde a grand besoin de capitaux étrangers.

Les restrictions sur les IDE obligent Carrefour à opérer sous forme de "Cash & Carry", magasins de gros
Cette accumulation de difficultés risque de dégrader encore un flux d'IDE peu spectaculaire. Selon la Cnuced, les investissements étrangers en Inde, qui avaient culminé à 42,5 milliards de dollars en 2008, sont tombés à 35,6 milliards en 2009 et à 24,6 milliards en 2010. Un rebond a eu lieu en 2011, mais ces montants demeurent très faibles par rapport à la Chine et à ses 174 milliards en 2010. La banque centrale indienne s'en émeut. Dans une étude publiée ce mois-ci, elle affirme que, durant l'année fiscale 2010-2011 (à fin mars), les IDE ont été « inférieurs de 25 % à leur niveau potentiel », en raison notamment de « l'incertitude croissante » qui pèse sur les politiques publiques.

Or, l'Inde a grand besoin de capitaux étrangers. En premier lieu, explique Rajiv Kumar, secrétaire général de l'organisation patronale Ficci, « pour financer le déficit des comptes courants ». Représentant 2,7 % du PIB en 2010-2011, ce dernier serait désormais proche de 4 %. En outre, les IDE « apportent de nouvelles technologies, de nouvelles formes de management et nous connectent aux marchés mondiaux », poursuit Rajiv Kumar. Du coup, les obstacles opposés aux investissements étrangers semblent contre-productifs. Les limites sur l'assurance ? L'Inde a besoin de capitaux à long terme pour financer ses infrastructures, ce que les assureurs savent faire. L'interdiction de la grande distribution ? Le pays a tout autant besoin d'une filière logistique moderne dans l'agroalimentaire... Plaçant, mercredi, sous surveillance négative la note de l'Inde, Standard & Poor's mentionne le manque d'ouverture aux capitaux étrangers parmi les problèmes que doit résoudre le pays.

Pourquoi, alors, autant de restrictions ? « Il n'y a pas une stratégie délibérée de blocage des investissements étrangers, souligne un spécialiste européen des relations commerciales, mais l'accumulation des problèmes finit par en donner l'impression ! » Première explication : investir ici « est compliqué pour tout le monde, y compris les entreprises domestiques », observe Rajiv Kumar, qui rappelle que le classement Doing Business 2012 de la Banque mondiale place l'Inde en 132ème position... Plus généralement, dénonce Bipal Chatterjee, du groupe de réflexion Cuts, spécialisé dans les relations internationales, « les partis politiques ont été incapables d'expliquer pourquoi les investissements étrangers étaient nécessaires ». Dans un pays où le nationalisme demeure souvent ombrageux, la méfiance envers les étrangers qui veulent piller les richesses de l'Inde reste vive. « Nous sommes face à un reliquat des idées socialistes selon lesquelles on peut faire davantage confiance aux entreprises publiques qu'aux entreprises privées, et davantage aux entreprises privées indiennes qu'aux entreprises étrangères », résume le patron de Ficci.

Les dirigeants indiens minimisent les conséquences des obstacles mis aux IDE, sur le thème « l'Inde est un marché tellement important que les entreprises étrangères sont obligées de venir ». Pas tout à fait fausse, cette idée ignore le fait que les investisseurs étrangers présents en Inde aimeraient souvent y faire beaucoup plus que ce qu'ils font effectivement. « La Chine s'est ouverte largement aux capitaux étrangers et a aujourd'hui une industrie très forte. L'Inde ne l'a pas fait et son industrie est faible », constate un expert européen. A trop contrarier les investissements étrangers, l'Inde prend des risques. « Il y a concurrence entre pays émergents pour être le plus attractif, explique Alexis Karklins-Marchay, responsable du centre marchés émergents chez Ernst & Young. L'Inde ne doit pas se reposer uniquement sur son 1,2 milliard d'habitants et sa croissance annuelle. Elle doit veiller à ne pas devenir le marché le plus difficile parmi les pays émergents. »

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