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L’été pourri de New Delhi

 

Thèmes: Economie - Politique

Les Echos, 13 septembre 2012

L’ANALYSE DE PATRICK DE JACQUELOT

 

Sale temps, cet été, à New Delhi. Et d’abord parce qu’il a fait beau ! Dans un pays soumis au régime de la mousson, c’est quand il ne pleut pas en juillet et août que la météo est mauvaise. De ce point de vue, l’été a très mal commencé avec un déficit de pluies par rapport à la normale de 20 à 30 % début juillet. Alors que 55 % des terres agricoles ne sont pas irriguées, la mousson demeure vitale pour l’agriculture. Et si cette dernière ne représente plus que 15 % du PIB, le monde rural qui en dépend abrite plus de 60 % du 1,2 milliard d’Indiens. Résultat, comme le souligne l’organisation patronale CII, une mauvaise mousson peut stimuler encore « l’inflation alimentaire déjà élevée », déprimer la production agricole et « la demande globale des consommateurs du monde rural ».

Heureusement, la météo est changeante et les toutes dernières semaines ont été marquées par un regain de pluies. Si bien que le déficit n’est plus que de l’ordre de 10 %, ce qui correspond toujours à un état de sécheresse mais moins grave que redouté.

Tous les problèmes, cependant, ne se résolvent pas sur un simple changement de météo. C’est le cas de l’effondrement du système électrique intervenu fin juillet, qui a privé de courant deux jours de suite jusqu’à 600 millions de personnes. Un événement qui a mis en évidence une fois de plus l’insuffisance des infrastructures de base dans le pays.

Mais la principale déception des deux mois écoulés tient sans doute à la prolongation de la crise politique larvée. Depuis deux ans, des scandales de corruption majeurs (comme l’attribution frauduleuse de licences de téléphonie mobile ou les chantiers des Jeux du Commonwealth), la fragilité de la coalition gouvernementale otage d’alliés régionaux populistes, de profondes divergences sur les réformes économiques à engager, ont plongé le gouvernement dans l’inaction. Une fenêtre d’opportunité semblait ouverte en juillet avec le départ du ministre des Finances, Pranab Mukherjee, nommé président de la République indienne. Le Premier ministre, Manmohan Singh, a alors assumé par intérim le poste de ministre des Finances et nombre d’observateurs pensaient qu’il en profiterait pour réaffirmer la volonté réformatrice qui lui avait permis de lancer la modernisation de l’économie indienne dans les années 1990. Mais il n’en a rien été. Manmohan Singh a passé le relais à un nouveau ministre des Finances, P. Chidambaram, au bout de quelques semaines, sans avoir pris aucune décision.

La paralysie gouvernementale s’est trouvée encore accrue par un nouveau scandale, celui de l’attribution par les pouvoirs publics de licences d’exploitation de mines de charbon à des entreprises privées, dans des conditions fort peu transparentes. De nombreuses investigations sont en cours dans une affaire qui aurait coûté plusieurs dizaines de milliards d’euros aux finances publiques et qui a le potentiel de déstabiliser encore un peu plus le gouvernement.

La détérioration des performances économiques fait peser une menace très concrète : celle d’une dégradation de l’Inde par les agences de notation.

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Or, pendant que les pouvoirs publics sont dans les affres des scandales de corruption et des joutes politiciennes, l’économie souffre. La croissance s’est affichée au deuxième trimestre 2012 à 5,5 %, marginalement meilleure que les 5,3 % du premier trimestre mais très loin des 8 % d’un an plus tôt. La chute des investissements inquiète particulièrement. Selon les économistes de BNP Paribas en Inde, les chiffres qui viennent d’être publiés « ne témoignent d’aucune amélioration ». La banque s’attend à une croissance de 5,7 % pour l’année fiscale 2012-2013 (à fin mars). Comme elle, la plupart des économistes tablent désormais sur une croissance inférieure à 6 %, un chiffre très en dessous des 9 % et plus que l’Inde avait connus durant la décennie écoulée, et dont elle a besoin pour lutter contre la pauvreté et investir dans ses infrastructures. La détérioration des performances économiques fait peser une menace très concrète : celle d’une dégradation de l’Inde par les agences de notation. Standard & Poor’s et Fitch ont mis au printemps la note de l’Inde sous perspective négative et rien ne s’est passé depuis susceptible de les faire changer d’avis. Fin août, le gouverneur de la banque centrale indienne a déclaré que le pays devait se préparer à une dégradation. Ce qui en ferait le seul pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en catégorie « junk », une terrible humiliation.

Le gouvernement est bien conscient de ces problèmes, la question est de savoir s’il va profiter de la fin de la session parlementaire pour donner enfin des signaux de réforme. Economistes et milieux d’affaires réclament à cor et à cri deux initiatives fortes. En premier lieu, ils veulent que le gouvernement augmente le prix de vente des produits énergétiques de façon à réduire les subventions versées par les pouvoirs publics. Dans le système actuel, le gazole, le kérosène et le gaz en bouteille sont vendus très en dessous des prix du marché et l’Etat comble en principe la différence. Mais les sommes prévues dans le budget 2012-2013 sont très insuffisantes. Cet élément à lui seul est de nature à compromettre un élément clef de la politique du gouvernement : la reprise en main des finances publiques. Après un déficit budgétaire de 5,8 % du PIB pendant l’année fiscale écoulée, il s’est fixé comme objectif de le réduire à 5,1 % cette année. Un objectif qui semble de plus en plus compromis aux yeux des analystes, qui tablent plus volontiers sur une aggravation aux environs de 6 % du PIB. Un coup d’arrêt donné à la dérive des subventions pour l’énergie aurait donc valeur de symbole d’une stratégie d’assainissement des finances publiques.

La deuxième mesure attendue symboliserait, elle, une volonté de modernisation de l’économie : il s’agirait d’ouvrir, enfin, la grande distribution aux capitaux étrangers. Il ne fait guère de doute qu’à la tête du gouvernement on est convaincu de la nécessité de telles décisions. Mais les deux sont aussi politiquement explosives l’une que l’autre. Les toutes prochaines semaines montreront si les autorités de New Delhi ont décidé de sauter le pas.

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