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Comment les Français surfent sur la croissance des ports indiens


Les Echos, 10 novembre 2014

CMA CGM, Louis Dreyfus Armateurs, Bolloré Africa Logistics : les trois grands opérateurs français de terminaux portuaires sont présents en Inde.

Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

Ils sont désormais tous là : après Louis Dreyfus Armateurs (LDA), le pionnier arrivé dès 2009, Bolloré et CMA CGM viennent de faire leur entrée sur le marché de la gestion portuaire en Inde. Les trois principaux opérateurs français sont donc désormais présents dans ce secteur, où ils voient des perspectives de croissance à l'échelle des besoins de développement du pays. « Fin août, la croissance en volume des conteneurs passant par un port indien était de 16,7 % sur un an. Pour la région nord-ouest du pays, elle était même près de 25 % : c'est aujourd'hui extrêmement rare d'avoir des croissances de ce niveau », observe Philippe Blasset, directeur général de CMA CGM en Inde. Comme bien d'autres secteurs dans les infrastructures, les ports indiens sont sous-dimensionnés par rapport aux besoins. Selon une étude de l'organisme public Ibex, le commerce extérieur du pays a connu une croissance moyenne annuelle de 17,7 % depuis 2005.

Répondre aux besoins

Sachant que 95 % des marchandises passent par la voie maritime, le dispositif portuaire du pays est loin de répondre aux besoins. Le temps d'attente pour accoster dans certains ports peut aller jusqu'à « dix à douze jours », pointe un professionnel. « L'Inde souffre d'un manque de capacité portuaire, en particulier pour le vrac sec : très peu de ses ports peuvent accueillir les navires de plus grande taille », ajoute-t-on à la direction générale du groupe LDA.

Face à ses besoins, le pays déroule actuellement son XIIe Plan, qui couvre les cinq années de 2012 à 2017 et prévoit un investissement dans ce secteur de 2.000 milliards de roupies (26 milliards d'euros). C'est « environ trois fois les investissements réalisés pendant les Xe et XIe Plans combinés », note une étude du cabinet de conseil E&Y. Bien sûr, le ralentissement de l'activité économique mondiale et de la croissance indienne pèse sur le secteur. Mais « si la croissance se redresse et demeure soutenue pendant cinq ans, la congestion des ports va empirer », estime Citibank.

Monter en puissance

Autant dire que les opportunités ne manquent pas pour les opérateurs étrangers. En cinq ans, LDA a créé une coentreprise avec le groupe indien ABG, lancé des opérations dans quatre ports pour… en fermer deux et gagné trois appels d'offres pour développer des terminaux en partenariat public-privé. Bolloré Africa Logistics (BAL), qui voulait exporter son savoir-faire acquis dans les ports africains, a choisi l'Inde pour sa première implantation hors d'Afrique, dans le cadre d'un investissement d'une cinquantaine de millions d'euros. Dernier arrivé, CMA CGM va investir en partenariat plusieurs centaines de millions de dollars dans un terminal de conteneurs tout neuf.

Cette montée en puissance ne se fera pas sans problème. « De très nombreux obstacles sont à l'origine de non moins nombreux délais », remarque-t-on chez LDA, qui a dû affronter un conflit extraordinairement brutal dans le port de Calcutta (lire ci-dessous). Ces difficultés peuvent remettre en question les plans de financement des projets, au point que « de nombreux appels d'offres ne trouvent maintenant plus de participants », explique un professionnel, tandis qu'un autre souligne les lourdeurs administratives et la rigidité des textes qui régissent les partenariats public-privé.

Pas de quoi décourager les candidats. « Les ports indiens vont forcément connaître une croissance forte dans les années à venir et le pays va continuer à s'ouvrir », affirme Olivier de Noray, directeur des ports et terminaux de Bolloré Africa Logistics. « Après, c'est une question de timing : est-ce que ça prendra deux ans, quatre ans, six, huit ? Notre stratégie s'inscrit sur le long terme avec des concessions sur trente ans en moyenne. Par conséquent, deux années de retard sur le long terme, nous saurons les gérer » , conclut le dirigeant français.

(Voir également L'Inde veut tripler la capacité de ses ports d'ici à 2020)


Des actifs à la pointe de la modernité

Mundra (photo Sam Panthory/ AFP)



CMA CGM : port de Mundra, Gujarat

Pour sa première opération portuaire en Inde, CMA CGM a choisi de s'allier au groupe Adani, opérateur du port de Mundra. L'armateur français va y ouvrir dans deux ans un 4e terminal de conteneurs, équipé d'un quai de 650 mètres de long et de quatre grues présentées comme les plus grandes et les plus modernes du pays.

 


Tuticorin (photo Ishara Kodokara/AFP)



Bolloré : port de Tuticorin, Tamil Nadu

Bolloré Africa Logistics opère depuis mai dernier sa première concession portuaire en dehors de l'Afrique, dans le port de Tuticorinan. Il s'agit d'un terminal disposant d'un quai de 450 mètres et d'une dizaine d'hectares de terrains. L'opération s'effectue avec l'opérateur indien ABG, partenaire par ailleurs de LDA dans le vrac.

 

 

Visakhapatnam (photo DR)

 

LDA : port de Visakhapatnam
Louis Dreyfus Armateurs concentre la majeure partie de ses activités dans le port de Visakhapatnam (ou Vizag), dans l'Andhra Pradesh. Le groupe y opère des grues mobiles, comme dans le port de Mangalore (Karnataka). Deux des trois projets en cours de développement par LDA se situent aussi à Vizag, le grand port de la côte Est du pays.

 

 

Louis Dreyfus Armateurs en procédure d'arbitrage international

En dépit des décisions de justice prises en sa faveur, le groupe ne parvient pas à récupérer son matériel bloqué dans le port de Calcutta.

Pionnier des opérateurs portuaires en Inde, Louis Dreyfus Armateurs n'est toujours pas arrivé à se dépêtrer de l'invraisemblable situation dans laquelle il s'est trouvé plongé depuis que sa coentreprise indienne ABG-LDA (aujourd'hui dénommée Alba) a repris en 2010 l'exploitation de deux quais du port d'Haldia, le port de commerce de Calcutta. (voir Règlements de compte à Calcutta)

Ce contrat a dérangé de gros intérêts politico-mafieux locaux et le groupe a été confronté sur place à des réactions d'une extrême violence, jusqu'à l'enlèvement pendant quelques heures de trois de ses cadres, ainsi que de la femme et du bébé de l'un d'eux, par des hommes armés et masqués. Si bien que l'opérateur a choisi d'abandonner les lieux en 2012, dénonçant la « situation criminelle » à laquelle il était confronté. Depuis, diverses décisions de justice, de la Haute Cour de Calcutta et de la Cour suprême, ont été prises en faveur du groupe, mais n'ont pas été mises en oeuvre.

Ainsi, explique-t-on à la direction générale de LDA, « nos actifs - grues mobiles, chargeuses et camions - restent consignés sur les docks d'Haldia ». Le groupe, autrement dit, ne réussit pas à récupérer son matériel, évalué à une dizaine de millions d'euros, du fait, affirme-t-il, « de l'autorité portuaire qui multiplie les obstacles et arguties juridiques pour entraver l'exécution des décisions de justice ». En conséquence, le matériel, à l'abandon « se dégrade un peu plus de jour en jour ».

Blocage

Face à ce blocage, LDA a donc estimé « ne pas avoir d'autre choix que d'intenter un arbitrage international », dans le cadre du traité bilatéral de protection des investissements signé entre la France et l'Inde. Cette procédure juridictionnelle est utilisée de temps en temps dans les cas où aucune autre solution ne semble pouvoir aboutir, note un observateur des entreprises françaises en Inde, selon qui deux ou trois cas seraient en cours. « On essaye d'éviter le recours à l'arbitrage, car c'est long et compliqué », relève un diplomate. Dans le cas de LDA, le tribunal arbitral prévu dans le cadre du traité a été constitué et devrait commencer ses travaux d'ici à la fin de l'année.

P. de J.

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