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L'armée indienne veut renforcer rapidement sa capacité aérienne face au Pakistan et à la Chine



Les Echos, 13 avril 2015

Face au Pakistan et à la Chine, l’armée de l’air indienne s’estime gravement sous-équipée.

Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

Pourquoi avoir court-circuité les négociations en cours sur l’achat de Rafale et bouleversé le calendrier ? La réponse tient en trois mots de la déclaration conjointe de François Hollande et de Narendra Modi publiée vendredi soir : le « besoin opérationnel crucial » de ces avions pour l’armée de l’air indienne. L’achat immédiat de 36 appareils répond à une demande pressante de l’Indian Air Force, qui multiplie depuis longtemps les mises en garde sur l’insuffisance de ses moyens.

L’Inde est située dans un contexte géostratégique on ne peut plus sensible. Avec son voisin occidental, le Pakistan, les relations sont détestables. Les deux pays, issus de la partition intervenue au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, se sont affrontés militairement à quatre reprises depuis cette date. La question du Cachemire, coupé entre les deux Etats, demeure posée et les accrochages à la frontière sont monnaie courante. Lors de son accession au pouvoir, au printemps dernier, Narendra Modi avait fait un geste très remarqué en invitant le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, à son intronisation. Mais ce bref réchauffement n’a pas eu de lendemain.

Les relations restent également délicates avec la Chine. Même si les deux pays sont de gros partenaires commerciaux, l’Inde a de vifs différends frontaliers avec son grand voisin du Nord. Des incursions de troupes chinoises en territoire indien ne sont pas rares et Pékin utilise un ton souvent agressif pour évoquer ces questions.

Répondre à une attaque coordonnée

Conséquence des tensions avec ces pays voisins, tous deux puissances nucléaires (comme l’Inde) : l’armée indienne est censée être capable de répondre à une attaque coordonnée lancée par la Chine et le Pakistan, qui sont étroitement alliés. « Bien sûr, il n’y a pas de menace de guerre imminente, explique Kanwal Sibal, ancien ambassadeur d’Inde en France et expert dans les questions diplomatiques et de défense. Et je ne crois pas non plus que nos ­voisins vont se dire : “L’Inde a peu d’avions, c’est le moment d’attaquer.” Mais le besoin de renforcer notre force aérienne est réel. »

Alors que l’armée de l’air indienne devrait compter en principe 42 escadrons (d’environ 18 appareils chacun), elle n’en a que 34 opérationnels. En outre, elle utilise une multitude d’appareils différents dont certains très âgés. Sa flotte comprend des Mig 21, des Mig 27, des Mig 29, des Soukhoï 30MKI, des Mirage 2000 (en cours de modernisation par Thales et Dassault), des Jaguar et un avion local, le Tejas LCA. Pire encore, 14 escadrons de Mig 21 et 27 vont être retirés du service dans les prochaines années. Potentiellement, l’armée de l’air est donc menacée de tomber à la moitié de ses besoins. « Le sentiment général, explique Sameer Patil, spécialiste des questions de sécurité à l’Indian Council on Global Relations, c’est que, face au Pakistan, nous pourrions faire front, mais que, contre la Chine, nos moyens seraient vraiment insuffisants. »

Dans ces conditions, on comprend que l’arrivée relativement rapide de deux escadrons de Rafale soit la bienvenue et que l’armée de l’air pousse à la conclusion du mégacontrat de 126 appareils. Le chasseur français n’est pas son seul fer au feu : l’Inde est partenaire de la Russie dans le développement d’un chasseur de 5e génération et vient de demander à Moscou d’accélérer fortement les délais prévus pour la mise au point de cet appareil.

1,8 % du budget indien

Ces besoins d’équipement de l’armée de l’air se retrouvent dans l’armée de terre et la marine. Ils se traduisent par l’allocation de sommes importantes dans le budget. Pour l’année fiscale 2015-2016 ayant commencé le 1er avril, le budget d’équipement des armées est fixé à 14,3 milliards d’euros sur un budget militaire total de 37,4 milliards. L’Inde consacre 1,8 % de son PIB aux dépenses militaires, mais les moyens dégagés ne sont pas à la hauteur des besoins : les programmes d’équipement identifiés et à des stades plus ou moins avancés de préparation correspondent à plus de 300 milliards d’euros.

 

Le « make in India » dans la défense, un voeu pieux

Le souhait du gouvernement de produire davantage d'armements en Inde se heurte aux impératifs des coûts et de l'armée.

Maquette du Rafale au salon Def Expo de Delhi en 2014

En l'absence d'une industrie domestique sophistiquée, l'armée indienne n'a guère d'autre solution que d'acheter à l'étranger le matériel de pointe dont elle a besoin.

En décidant d'acheter 36 Rafale construits en France, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a-t-il porté un coup direct à un élément central de sa politique économique, le « make in India » ? Cette initiative va en effet complètement à rebours de la volonté de New Delhi de bâtir une industrie nationale dans la défense. « Cette décision montre clairement que si l'Inde a besoin de se procurer rapidement des chasseurs sophistiqués, elle n'a pas d'autre choix que de les acheter à l'étranger, note un professionnel du secteur. S'ils sont fabriqués en Inde, ça coûtera plus cher et ça prendra plus longtemps. Il ne suffit pas de proclamer que l'on va "fabriquer en Inde" pour que ça se réalise. »

De portée générale puisque concernant tous les secteurs d'activité, la campagne du « make in India » s'applique tout particulièrement à la défense. Inaugurant le Salon de l'aéronautique militaire à Bangalore en février dernier, Narendra Modi avait indiqué vouloir faire perdre à l'Inde sa place de premier importateur mondial de matériel militaire. Son objectif, avait-il annoncé, était de porter la production militaire domestique de 40 % des besoins à 70 % en 2020.

Un secteur privé inexistant

L'industrie indienne de l'armement se singularise pour le moment par la quasi-inexistence du secteur privé. Traditionnellement, l'armée indienne s'est appuyée sur un secteur public important, dont HAL est le représentant dans l'aéronautique, mais qui, globalement, ne maîtrise pas les technologies de pointe. Pour ces dernières, l'Inde s'est toujours adressée à des fournisseurs étrangers, et en premier lieu à la Russie, son allié historique. La dépendance du pays envers les technologies étrangères est donc colossale. « On dit souvent que 70 % de l'armement indien viennent de l'étranger et que 30 % sont faits en Inde, mais la part étrangère réelle est beaucoup plus importante, à 85 % ou 90 %, car les 30 % fabriqués en Inde utilisent massivement des composants importés », affirmait récemment dans une conférence Gurmeet Kanwal, du South Asian Institute for Strategic Affairs.

Des objectifs différents

Le gouvernement veut remédier à cette situation critique en favorisant l'émergence d'un secteur privé de pointe. Alors que traditionnellement les groupes étrangers de défense s'associaient à des partenaires indiens minoritaires pour répondre aux appels d'offres, la règle est désormais inverse : c'est le partenaire indien qui doit piloter l'opération. Des acteurs de premier plan comme le conglomérat Tata ou le groupe d'ingénierie Larsen & Toubro ne demandent qu'à se lancer. Le problème, c'est que nombre d'appels d'offres se révèlent infructueux. Dans une enquête récente, l'agence Reuters affirmait que plus de 15 milliards de dollars d'appels d'offres n'avaient pas abouti depuis 2013 faute de réponses acceptables de la part de groupes indiens. En raison d'exigences « irréalistes » de l'armée vis-à-vis du matériel.

On touche là à un problème de fond du concept « make in India », la différence entre les objectifs du gouvernement et ceux de l'armée. Le premier veut développer une industrie domestique de défense de premier plan, ce qui ne peut que prendre très longtemps ; la seconde veut s'offrir ce qu'il y a de mieux, et tout de suite, ce qui ne se trouve qu'à l'étranger. Avec l'achat immédiat de 36 Rafale, c'est l'armée qui l'a emporté, pour le moment du moins. Le « make in India » doit en principe reprendre le dessus avec la deuxième manche, celle du contrat des 126 appareils dont 108 à fabriquer en Inde chez le groupe public HAL.

P. de J.

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