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CINÉMA D'ASIE DU SUD

Cinéma du Bhoutan : un polar au pays du Bonheur National Brut


Asialyst, 6 décembre 2018

Rare exemple de cinéma de ce petit pays himalayen, l’excellent polar Dakini démontre comment coexistent au Bhoutan un mysticisme très ancien et une avidité tout à fait moderne.

Patrick de Jacquelot

Le Bhoutan, ce petit royaume himalayen quasiment coupé du reste du monde, attaché à protéger sa culture unique et son environnement, détaché de l’avidité pour les biens matériels, au point d’avoir inventé le concept de « bonheur national brut » pour le substituer au « produit national brut »… Pour qui ne connaît de ce pays coincé entre l’Inde et la Chine que ces clichés, le film Dakini de la réalisatrice Dechen Roder réserve quelques surprises.

La première d’entre elles, c’est qu’il existe : on ne soupçonnait pas forcément l’existence d’un cinéma bhoutanais et moins encore celle de réalisatrices. Deuxième surprise : dans ce pays aussi isolé du monde qu’il est possible, la modernité pénètre malgré tout. Le téléphone portable est omniprésent avec du réseau même en pleine forêt ! La troisième, et c’est le plus choquant : au pays du bonheur national brut, l’avidité existe et les policiers corrompus prêts à (presque) tout aussi…

Scène du film bouthanais "Dakini", écrit et réalisé par Dechen Roder (Copyright : Jupiter Films)


Qu’on se rassure toutefois : Dakini n’est pas une entreprise de démolition des mythes bhoutanais. Bien au contraire, ce polar himalayen réussit à donner une image très juste d’un pays résolument pas comme les autres.

Le film suit l’enquête d’un jeune policier, Kinley, chargé d’éclaircir une affaire mystérieuse. L’abbesse d’un petit monastère bouddhiste, situé dans un village isolé, semble avoir disparu. Les soupçons des villageois se portent spontanément vers une jeune femme, Choden, qu’ils considèrent comme une sorcière mais contre laquelle n’existe aucun élément tangible.

Affiche du film "Dakini"
(Copyright : Jupiter Films)

Pour tenter d’éclaircir la chose, Kinley dissimule son métier de policier et accompagne Choden dans une longue marche à travers les montagnes jusqu’à Thimphu, la capitale. Arrivé là, il l’héberge jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Alors que son supérieur hiérarchique lui ordonne de cesser son enquête, le policier s’obstine. Ce qu’il découvre est édifiant : une étude géologique a révélé la présence de minerais de grande valeur sur les terres du monastère de l’abbesse disparue, que certains habitants de Thimphu dont son chef s’efforcent de racheter. Heureusement, la belle Choden, dont Kinley est tombé amoureux, n’y est pour rien.

L’essentiel du film n’est pas dans cette intrigue policière parfois un peu confuse et qui serait banale dans n’importe quel pays autre que le Bhoutan. Il réside surtout dans l’atmosphère étrange qui enveloppe l’affaire. La superstition des villageois qui les pousse à voir une sorcière dans une jeune femme un peu mystérieuse ; les références constantes que fait Choden à d’anciennes légendes pour éclairer le présent ; le mystère qui entoure la disparition de l’abbesse et qui ne sera jamais vraiment levé – on ne sait pas si elle est morte accidentellement du fait des magouilles de ceux qui convoitent les terres du monastère ou si elle est décédée deux ans plus tôt… Sur toute cette affaire plane l’ombre des dakinis, ces femmes bouddhistes « éveillées » disposant de pouvoirs mystérieux dont les histoires ont bercé l’enfance de Dechen Roder, la réalisatrice. Des histoires qui évoquent selon elle « des faits réels de la force féminine, de leur bravoure, de leur compassion et de leur sagesse ». Tant l’abbesse disparue que Choden pourraient, on le suppose, prétendre au titre de dakini.

Outre ce mysticisme ambiant, caractéristique de ce pays où le bouddhisme est omniprésent, le film montre d’autres aspects essentiels du Bhoutan : ses paysages de montagnes boisées magnifiquement filmés, ses petits villages où la vie ne semble pas avoir changé depuis des siècles – téléphones portables exceptés ! – ses monastères impressionnants… Dakini montre également les réalités du Thimphu d’aujourd’hui, avec ses HLM en béton et ses voitures omniprésentes.

Scène du film bouthanais "Dakini", écrit et réalisé par Dechen Roder (Copyright : Jupiter Films)

Ce film lent, souvent silencieux, aux superbes images est en définitive profondément bhoutanais. Dans un polar de quel autre pays pourrait-on voir un flic véreux renoncer finalement à ses ambitions financières en expliquant que « ce désir [de richesses]… c’était douloureux, ça m’a épuisé… » et entendre dire que si Choden a cherché à rencontrer les magouilleurs, c’est « par pure compassion envers leurs vies avides et torturées » ?

OÙ VOIR LE FILM ?

Dakini, (scénario et réalisation de Dechen Roder, Distribution Jupiter Films) est actuellement diffusé dans les réseaux de cinémas d’art et d’essai. Voir ici les renseignements sur les projections.

Scène du film bouthanais "Dakini", écrit et réalisé par Dechen Roder (Copyright : Jupiter Films)

 


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