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L'ASIE DESSINÉE

BD : Chine intime, Japon en guerre


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 29 novembre 2019

Li Kunwu consacre un ouvrage à sa mère dans la Chine d’avant la Révolution, tandis que la jolie chronique d’une adoption évoque le pays tel qu’il était il y a vingt ans. Un manga retrace la bouleversante survie d’une fillette au cœur de la terrible bataille d’Okinawa.

Patrick de Jacquelot

On ne présente plus Li Kunwu, cet immense artiste chinois que les lecteurs parisiens de « L’Asie dessinée » ont pu voir le mercredi 20 novembre dernier aux côtés de son compatriote Chongrui Nie lors de la conférence organisée par Asialyst au musée Guimet (voir le podcast). De Li Kunwu, on connaît surtout les trois tomes d’Une vie chinoise,suivis des deux volumes de Ma génération, exceptionnelle fresque des bouleversements de la Chine pendant les cinquante dernières années vus à travers la vie de Li lui-même. Avec son nouveau roman graphique, Ma maman*, l’artiste aborde un registre plus intimiste puisqu’il nous livre un portrait de sa mère.

Li Kunwu ne se livre pas pour autant à un déballage de grands sentiments. Il prend en effet le parti de parler de sa mère depuis ses origines familiales jusqu’à sa rencontre avec son futur mari qui sera le père de Li. Ce qui conduit à éviter tout développement sur les relations entre l’artiste et sa mère et à inscrire le récit dans une période relativement lointaine : des années 30 jusqu’à 1950. De ce fait, l’ouvrage peut être considéré comme complémentaire d’Une vie chinoise du point de vue de la couverture de l’histoire de la Chine du XXème siècle, dont il traite la période prérévolutionnaire.

Couverture de "Ma maman", scénario et dessin Li Kunwu, Kana (Copyright : Kana) 

Le récit commence donc dans les années 30 dans la ville de Kunming, où vivent les grands-parents maternels de Li. Le futur grand-père est le bras droit d’un seigneur de la guerre local, le général Gu, et la vie serait relativement paisible s’il n’y avait la perspective d’affrontements avec les forces communistes. C’est dans ce contexte que naît la petite Xinzhen. Du fait de la mésentente entre ses parents, la petite fille alterne les séjours en ville avec son père ou à la campagne avec sa mère. En ville, elle bénéficie de la prospérité de l’employeur de son père, grand propriétaire. La famille Gu la traite comme l’un de ses enfants et la fait profiter des cours de l’instituteur de la maison. Quand elle est à la campagne, les conditions de vie sont toutes autres. Une misère noire sévit et la petite fille doit aider à maintenir en vie les nombreux bébés de la famille. Quand les petits sont trop faibles pour manger par eux-mêmes, il lui faut mâcher la nourriture avant de la cracher dans leur bouche…

Passionnée par les études, la petite Xinzhen est désespérée quand elle doit les interrompre pour suivre sa mère à la campagne. Son statut de petite fille éduquée lui vaut cependant beaucoup de prestige auprès des paysans complètement analphabètes, à qui elle apprend à signer leur nom ou à qui elle lit les lettres qui leur arrivent.

Au début des années 40, Xinzhen est de nouveau à Kunming où un terrible bombardement par l’aviation japonaise réduit en cendres la maison des Gu et tue son instituteur vénéré. La petite fille n’a plus qu’à retourner une fois de plus à la campagne et y mener la vie d’une simple paysanne pour aider à nourrir la maisonnée. Finalement, alors que Xinzhen est désormais une jeune fille, la prise de pouvoir par les communistes en 1949 bouleverse le quotidien jusque dans les campagnes éloignées. Les portraits de Mao apparaissent, les propagandistes aussi. Xinzhen et sa famille courent alors un danger terrible : celui d’être classés dans la catégorie « paysans riches » lors du processus de détermination de « l’appartenance de classe » de chacun. Ce qui équivaudrait à figurer parmi les ennemis du nouveau régime. Heureusement, le secrétaire général du comité régional, modéré et humain, tranche en faveur de la catégorie « paysan moyen », sauvant ainsi la famille. Cet homme, un certain M. Li, tient des discours enthousiasmants sur les perspectives radieuses ouvertes par la révolution : il épousera bientôt la jeune fille et deviendra le père de Li Kunwu.

Ce récit finalement assez simple est intéressant à plusieurs titres. L’évocation de la Chine quasi féodale qui existait encore voici quatre-vingt ans, avec son arriération et son effroyable misère, est saisissante. La vie des communautés est évoquée avec finesse, tant au fond des campagnes que dans le milieu urbain un peu plus protégé. Surtout, bien entendu, c’est le portrait de Xinzhen qui domine le volume : cette petite fille opiniâtre, déterminée à étudier coûte que coûte, déchirée entre des parents qui ne s’entendent pas, se révèle très touchante.

Une fois de plus, le travail graphique de Li Kunwu impressionne, d’autant que son style a évolué. L’artiste a utilisé pour cet ouvrage un papier traditionnel, le xuanzhi, papier de murier qui donne un fond jaune pâle constellé de petites taches au parfum vieillot très adapté au sujet. Dessinant au lavis à l’encre de Chine, il s’éloigne du style plus graphique de ses premières BD et se rapproche de celui de ses peintures, en une sorte de fusion de ses deux univers artistiques.

"Ma maman", couverture et page 42

Avec Yuan, journal d’une adoption**, c’est encore une histoire de famille qui nous est proposée, mais radicalement différente de celle de Li Kunwu. Cette fois, nous sommes dans les années 1990 et nous suivons un couple belge lancé dans la procédure d’adoption d’un bébé chinois. Le récit comporte deux volets entremêlés à coups de flashbacks. Le premier concerne le processus d’adoption mené en Belgique avec les multiples démarches administratives, les enquêtes sociales, de police et autres. Le second – et c’est le cœur de l’ouvrage – porte sur le voyage en Chine pour « prendre livraison » du bébé. « Prendre livraison » est bien l’expression qui vient à l’esprit tant la remise de la petite fille, Yuan, se fait de façon rapide dans une chambre d’hôtel impersonnelle. Cette remise de l’enfant à ses nouveaux parents n’est que le début d’un long processus pour officialiser l’adoption auprès des multiples autorités concernées : ministère des Affaires civiles de la ville de Nanchang où est situé l’orphelinat, ministère de la Justice à Pékin, obtention du passeport et du visa de l’enfant… Le tout entrecoupé de longues journées d’attente. Pour tuer le temps, le groupe de parents adoptants fait du tourisme alors même qu’ils n’ont qu’une idée en tête : rentrer le plus vite possible chez eux pour pouvoir y « apprivoiser » dans les meilleurs conditions possibles ces bébés qui viennent de bouleverser leur vie.

L’histoire de cette adoption est racontée avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, faisant de Yuan un livre très singulier. Du point de vue particulier de « L’Asie dessinée », l’ouvrage présente un grand intérêt : celui de montrer la Chine telle qu’elle était à la fin des années 90, il y a vingt ans de cela. Et le contraste avec celle d’aujourd’hui est stupéfiant. A Nanchang, capitale du Jiangxi, les abords de la ville n’ont pas l’électricité et il n’y a quasiment pas de voitures dans les rues. Les parents logent dans un hôtel moderne mais ni le téléphone ni le fax ne fonctionnent. A Pékin, les grands boulevards sont vides de circulation, les boutiques n’ont pas grand-chose à proposer et les hutongs,quartiers anciens de la capitale, sont encore omniprésents. Avec ses très réussis paysages urbains et scènes de rue, Yuan offre ainsi un petit voyage dans la Chine récente qui rappelle à quelle invraisemblable rapidité le pays s’est développé ces dernières années.

"Yuan, journal d’une adoption", couverture et page 28

Voici une autre histoire d’enfant, côté tragique cette fois. La fillette au drapeau blanc*** est l’adaptation en manga du roman autobiographique de Tomiko Higa. Il raconte l’histoire de la petite Tomiko, âgée alors de six ans, pendant la bataille d’Okinawa quand, au printemps 1945, les Américains envahissent cette île située loin au sud-ouest des îles principales du Japon. Trois mois d’effroyables combats qui auraient fait 90 000 morts chez les soldats et beaucoup plus chez les civils. Quand les affrontements commencent, la mère de Tomiko est déjà décédée et son père est absent. La petite fuit donc avec ses deux grandes sœurs et son frère. Très vite, celui-ci est tué par une balle perdue et Tomiko se trouve séparée de ses sœurs. Débute alors une longue errance pour la petite fille. Elle traverse des scènes de carnage, dispute sa nourriture aux petits animaux des champs, trouve un instant de réconfort auprès d’un petit lapin… Dans sa fuite, elle voit des soldats japonais tuer leurs propres compatriotes civils ; elle se fait chasser de grottes où la population se cache parce que son agitation leur fait craindre d’être repérés.

Ballotée au cœur de cette folie collective, la petit fille trouve son salut dans une grotte où s’est réfugié un couple étrange : un vieil homme amputé des bras et des jambes et son épouse aveugle. Humains, tout simplement, dans un monde qui ne l’est plus, ils « adoptent » Tomiko qui, bien entendu, s’attache immédiatement à eux. Au bout d’un certain temps, les soldats américains prennent le contrôle de la région et appellent par haut-parleurs les nombreux civils réfugiés dans des grottes à sortir. Les deux vieillards s’estiment hors d’état de bouger mais convainquent la petite d’y aller. Ils lui fabriquent un drapeau blanc qu’elle brandit devant elle, scène qui sera immortalisée par un photographe de l’armée américaine. Elle aura alors rapidement le bonheur de retrouver ses deux sœurs dans un camp.

La fillette au drapeau blanc illustre avec virtuosité les horreurs de la guerre vécue par les civils dans une région où l’on s’est battu de façon impitoyable. Mais ce qui pourrait n’être qu’un cortège d’images violentes est sauvé par la grâce de cette fillette. Dans son calvaire, Tomiko se raccroche aux souvenirs heureux, à l’amour de ses parents, aux conseils donnés par son père. En toute petite fille qu’elle est, elle trouve le moyen de se mettre à jouer dès qu’elle a un moment de répit. Et au milieu des pires difficultés, elle manifeste une volonté inébranlable de vivre et de retrouver sa famille. Une formidable leçon de courage et d’espoir qui vient de valoir au livre de remporter le Prix UNICEF de littérature jeunesse 2019 sur le thème « Héroïnes et héros du quotidien, petits et grands combats de société » dans la catégorie 13-15 ans.

"La fillette au drapeau blanc", couverture et page 31

A mi-chemin entre une mini encyclopédie et un guide pratique, Japorama**** n’est pas une bande dessinée mais plutôt un livre composé de très courts textes éparpillés au milieu d’illustrations pleine page. Ecrit par l’auteur italien Marco Reggiani dans une optique résolument pédagogique, l’ouvrage est constitué de doubles pages regroupées en sept grandes parties. « Tokyo » comprend des évocations des principaux quartiers ainsi que des conseils aux voyageurs arrivés de l’étranger. « Saisir, comprendre, s’ajuster » donne des repères en matière de savoir-vivre. Une section passe en revue les grandes destinations touristiques du mont Fuji à Osaka en passant par Kyoto, tandis qu’une autre aborde la gastronomie japonaise. Un chapitre est consacré à la culture, avec des notices sur des sujets comme le bouddhisme, les bonsaïs ou le sumo. Enfin, les deux dernières sections parlent des « inventions » japonaises comme le kimono, les robots ou les mangas, et des principales fêtes qui rythment l’année dans l’archipel.

Ne dépassant jamais quelques lignes, les textes sont très informatifs mais évidemment succincts. De ce point de vue, le livre ne peut guère constituer qu’une toute première introduction à qui s’intéresse au Japon. Son charme principal tient en fait à la profusion de dessins colorés, variés, pleins de fantaisie et en même temps très informatifs. De ce fait, il est tout à fait étonnant que le nom de l’illustratrice, Sabrina Ferrero, n’apparaisse ni sur la couverture ni sur la page de titre et ne soit mentionné qu’en quelques lignes de remerciement dans l’introduction de l’auteur et dans une brève biographie à la fin. Japorama est en tout cas tout indiqué pour des enfants ou des adolescents s’apprêtant à voyager dans le pays.

"Japorama", couverture et pages 124 et 125

* Ma maman
Scénario et dessin Li Kunwu
200 pages
Kana
18 euros

** Yuan, journal d’une adoption
Scénario et dessin Marie Jaffredo
128 pages
Vents d’Ouest
19 euros

*** La fillette au drapeau blanc
Scénario et dessin Saya Miyauchi
192 pages
Éditions Akata
7,95 euros

**** Japorama
Texte Marco Reggiani, dessin Sabrina Ferrero
224 pages
Casterman
19,95 euros

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