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Le cricket, dernier-né du sport business

 

Thèmes: Business - Société

La Tribune, 10 octobre 2008

En adoptant une version du cricket adaptée aux retransmissions télévisées, l’Inde a créé un nouveau sport-divertissement majeur. Les dollars affluent…

Plus de 1,1 milliard de consommateurs indiens (dont peut-être 300 millions sont solvables), passionnés par un seul sport, le cricket, qui se trouve être inexploitable à la télévision en raison de la durée des matchs : un tel gâchis ne pouvait durer. Le nouveau cricket « allégé » dit Twenty20 adopté par l’Inde l’année dernière fait un malheur. Les capitaux, les contrats et les téléspectateurs affluent : une nouvelle industrie de loisirs d’envergure internationale est née.

Les Indiens sont fous de cricket : c’est vrai dans les écoles de la bonne société où le jeu se pratique avec le décorum traditionnel à l’anglaise, mais ça l’est aussi dans les terrains vagues des bidonvilles. Problème à l’heure du sport show-business : les règles de ce pilier de la civilisation britannique (les Anglais diraient : de la civilisation tout court) ne sont pas du tout adaptées à ce dernier. D’une durée imprévisible, les matchs de championnat peuvent aller jusqu’à quatre ou cinq jours… Pas facile pour les soirées télévisées.

Ce scandale est en train de prendre fin. Voici un an, le puissant BCCI (Board of Control for Cricket in India) a créé la toute nouvelle Indian Premier League (IPL) autour d’une forme simplifiée du jeu, peu pratiquée jusque là, baptisée Twenty20. S’il est à peu près impossible pour qui n’est pas né dans un pays de l’ex-Empire britannique de comprendre le détail de l’adaptation des règles du jeu, un seul élément est à retenir : les matchs de T20 durent environ trois heures, soit l’équivalent d’une soirée télévisée. C’est tout sauf un hasard.

La pratique du cricket est omniprésente, dans les plus beaux jardins publics de Delhi...

Autour de ce nouveau concept, une redoutable mécanique marketing s’est mise en marche, conçue par Lalit Modi, vice-président du BCCI. Huit licences ont été créées, autour des grandes villes indiennes, et ont été vendues aux plus offrants. Et l’élite du pays s’est jetée dessus à coups de dizaines de millions de dollars. Mukesh Ambani, cinquième fortune mondiale et propriétaire du groupe Reliance Industries, s’est offert les Mumbai Indians, c’est à dire l’équipe de Bombay, pour 112 millions de dollars. Shah Rukh Khan, acteur super star de Bollywod, a joué petit bras en mettant 75 millions de dollars sur la table avec des associés pour les Kolkata Knight Riders (Calcutta). Preity Zinta, actrice vedette elle aussi, a rassemblé quelques amis pour payer 76 millions pour les « Rois du Pendjab », etc…

Ces grands noms du cinéma, de la finance et de l’industrie ont alors constitué à prix d’or des équipes de choc. Des joueurs indiens et internationaux ont été recrutés pour des salaires dépassant parfois le million de dollar, ce qui n’était pas tout à fait dans les habitudes de ce sport vénérable. Même si les dépenses de recrutement ont été plafonnées, la première année à 5 millions de dollars par équipe.

Accompagnée d’un marketing agressif, l’opération a été un plein succès. Les matches, mis en scène dans un style évoquant davantage le football américain ou Bollywood que les réunions de gentlemen habillés de blanc, ont déplacé les foules. Les droits télévisés ont été achetés un peu plus d’un milliard de dollars sur dix ans par SET (Sony Entertainment Television India). Publicitaires et sponsors se sont précipités. Le site Internet de la Ligue arbore ainsi les logos de groupes de tout premier plan, comme Honda, Citi, Vodafone ou Pepsi. Et la finale, au printemps dernier, qui a vu le triomphe des Rajasthan Royals, a déchaîné les passions.

Ce n’est qu’un début : le phénomène prend désormais une dimension internationale. Le cricket Twenty20 se pratique dans d’autres pays du Commonwealth et un championnat international, le deuxième, se tiendra en décembre en Inde. Baptisé Champions League Twenty20, ce tournoi rassemblera autour de l’Inde des pays comme l’Australie, l’Afrique du sud, le Pakistan et l’Angleterre. Et il est présidé, comme par hasard, par l’inévitable Lalit Modi…

...comme sur les trottoirs des quartiers modestes où un simple bâton tient lieu de batte

Dans un contexte où les perspectives de développement sont « sans limites », comme l’affirme ce dernier à La Tribune, l’argent afflue. La joint-venture ESPN-Star, qui rassemble les groupes Disney et Rupert Murdoch, a mis le mois dernier sur la table 975 millions de dollars pour les droits sur dix ans du championnat international. La somme est légèrement inférieure au prix payé par Sony pour le championnat indien, mais le nombre de matchs internationaux étant très inférieur, le prix réel par match retransmis est beaucoup plus élevé. Qu’à cela ne tienne : les professionnels de la publicité estiment que les matchs de cricket devraient rafler 15 à 20% de la publicité télévisée indienne en 2009, soit le double de 2007 !

A la mi-octobre, la Ligue devrait décider d’autoriser les transferts de joueurs entre ses huit clubs, en faisant sauter le plafond sur les recrutements : les prix des joueurs vont s’envoler… Et pour compléter le tableau, on prête à certains clubs, et en tout premier lieu aux « Rajasthan Royals »,  le club champion, l’intention de se faire coter en Bourse.

Pas de doute : un nouveau segment majeur du sport-divertissement international est né. Commentaire d’un économiste de New Delhi : « Ce qui est fascinant, c’est de voir comment l’Inde est devenue maîtresse du jeu au niveau international. C’est en Inde qu’est l’argent du cricket et le pays peut maintenant imposer sa loi ».

PATRICK DE JACQUELOT, À NEW DELHI

Lalit Modi, président de l’Indian Premier League et de la Champions League Twenty20
« Un potentiel illimité pour le cricket dans le monde »

Pourquoi avoir créé cette nouvelle forme de cricket ?

Ce jeu vieux de plus de deux siècles a toujours su s’adapter. Mais j’étais persuadé que l’Inde avait besoin d’une ligue sportive similaire à la NBA (National Basketball Association) aux Etats-Unis. Et je voulais trouver le moyen de fusionner le sport et le business pour le plus grand bénéfice du sport. Je crois que nous avons effectivement créé un produit global de divertissement pour le cricket qui se développera pour le bonheur des fans et des sponsors.

Quel est le développement potentiel de cette forme de cricket en Inde et globalement ?

Sans limite, si vous voulez mon avis ! Regardez ce que nous avons fait rien que l’année du démarrage ! Ce format de jeu est parfaitement adapté au contexte actuel où l’on recherche des émotions instantanées, du divertissement plein d’adrénaline. De quoi garantir un avenir brillant ! Et cette forme de jeu va gagner en popularité au niveau international et conquérir de nouveaux pays en Asie, au Moyen-Orient, en Europe et aux Amériques. Notre objectif est bien de porter le cricket aux quatre coins de la planète et d’en faire un sport véritablement global.

Avec cet afflux d’argent, ce sport est-il en train de devenir du pur show-business ?

Pourquoi l’argent devrait-il avoir un impact négatif sur le côté sportif des compétitions ? Ce sera tout le contraire.  Avec davantage de moyens, les équipes pourront engager de meilleurs joueurs et la qualité du jeu s’améliorera. Et l’on ne peut pas dire que le cricket devient du pur business. Si l’Indian Premier League a été un succès, c’est grâce à l’intensité avec laquelle le cricket y est joué, qui captive totalement les spectateurs.

Propos recueillis par P. de J.

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