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Avec Satyam, l’Inde a son « scandale Enron »

 

Thèmes: Business - Société

La Tribune, 21 janvier 2009

Comptes truqués, doutes sur l’utilisation de fonds, collusion familiale, connexions politiques. Le dossier Satyam réunit tous les ingrédients d’UNE AFFAIRE POLITICO-FINANCIÈRE COMME LE SOUS-CONTINENT N’EN A JAMAIS CONNU.

PAR PATRICK DE JACQUELOT, à New Delhi

On ne se méfie jamais assez des gens qui proclament haut et fort leurs propres vertus. En la matière, Ramalinga Raju faisait figure de parangon, prêt à tout pour cacher les mensonges sur lesquels reposait son empire. Jusqu’à lui choisir un nom que peu d’entreprises oseraient porter. En sanscrit « Satyam » signifie « vérité ». Vingt et un ans après la création de cette SSII, le voile est levé. Le fondateur du numéro 4 de l’informatique indienne, figure de l’indice phare de la Bourse de Bombay, cotée à New York et célébré pour l’exemplarité de sa gouvernance, est en prison. A 53 ans, celui qui, en novembre 2008, coprésidait l’India Economic Summit organisé à New Delhi par le Forum de Davos, n’était pas celui qu’on croyait.

TRÉSORERIE INEXISTANTE

Tout est allé très vite. Le 16 décembre 2008, Satyam annonce une diversification majeure : il va consacrer 1,6 milliard de dollars à la prise de contrôle de deux sociétés d’immobilier et de BTP, Maytas Infra et Maytas Properties, liées à la famille Raju. Tellement liées, d’ailleurs, que leur nom a été choisi en écrivant Satyam à l’envers... La famille est actionnaire de référence des deux entreprises. Les fils de Ramalinga Raju en sont les dirigeants. Si une entreprise qui fait de la programmation informatique et de la sous-traitance se diversifie dans le BTP, explique Satyam, c’est pour mieux répartir les risques auxquels elle est confrontée...

Cette explication ne convainc pas les investisseurs. Ils y voient une magouille destinée à faire entrer dans les poches de la famille Raju le cash abondant dont dispose apparemment Satyam. L’action plonge, les analystes se déchaînent et quelques heures plus tard, l’opération est abandonnée. Satyam ne s’en remettra pas.

La crise de confiance est telle que le groupe informatique charge Merrill Lynch d’explorer des possibilités d’alliance ou de cession. La banque d’affaires plonge donc dans les comptes de Satyam et, très vite, du fait des irrégularités qu’elle constate, elle décide de renoncer à travailler avec elle. Il n’aura fallu, autrement dit, que quelques jours d’examen à Merrill Lynch pour déceler ce que personne n’avait vu depuis des années. Confronté à une situation qu’il ne maîtrise plus, Ramalinga Raju crée la stupeur le 7 janvier en se livrant à une confession publique : depuis des années, les comptes de Satyam sont truqués ; le chiffre d’affaires est gonflé ; la marge opérationnelle du troisième trimestre 2008 n’est pas de 24 % mais de 3% ; 94% de la trésorerie affichée est inexistante...

BÉNÉFICES VOLATILISÉS

Mobilisation des actionnaires spoliés à Bombay

De mémoire d’homme d’affaires, l’Inde n’avait jamais connu pareil scandale financier. À l’incarcération de Ramalinga Raju s’ajoute celle de son frère, directeur général de Satyam. Le gouvernement a également dissous le conseil d’administration. Mais le mystère reste entier. Chacun attend de voir ce que la police et les autorités de tutelle de la Bourse vont découvrir dans les enquêtes qu’elles mènent activement. Leur travail s’annonce long et complexe. Pour l’heure, la liste des questions sans réponse est longue.

Première interrogation : quelle est la vraie situation financière de Satyam ? À en croire la confession de Ramalinga Raju, le groupe gagnait en fait très peu d’argent. Il n’y aurait donc pas eu de détournements de fonds, mais plutôt un affichage de flux financiers inexistants. Mais de nombreux analystes estiment invraisemblable qu’une SSII de premier plan – puisque l’activité de Satyam est bien réelle – ne dégage qu’une marge de 3 %, dans un secteur où ses concurrents dépassent sans problème les 20 %. D’où l’hypothèse selon laquelle Satyam était bien plus rentable que ne le dit maintenant son patron, mais que ses bénéfices se seraient volatilisés.

Deuxième question : pourquoi le truquage des comptes n’a-t-il pas été décelé? « Ce qui est ahurissant dans cette affaire, explique un banquier, c’est qu’il n’y a rien de plus simple que de vérifier le cash détenu par une entreprise » : l’auditeur reçoit directement des relevés bancaires de la part des banques du groupe audité et compare avec la comptabilité interne du groupe. Les enquêteurs s’intéressent donc au rôle des banques de Satyam et, plus encore, de son auditeur.

Côté bancaire, la SSII s’appuyait sur de nombreux établissements dont trois banques internationales de premier plan, la française BNP Paribas, l’américaine Citibank et la britannique HSBC, et deux indiennes, ICICI et HDFC. BNP Paribas se refuse à tout commentaire et se borne à dire qu’elle « coopère avec les enquêtes ». Dans les milieux financiers de Bombay, on estime en tout cas que de faux états comptables ont été établis dans cette affaire.

Côté audit, PricewaterhouseCoopers se retrouve au cœur de la tempête. L’auditeur de Satyam a dû reconnaître officiellement que ses audits n’étaient pas fiables, ayant été établis sur la base de déclarations mensongères de la part des dirigeants de la SSII. Là encore, les enquêtes devraient permettre de déterminer les responsabilités éventuelles au sein de PWC.

CONTRAT SUSPECT

Bureaux de PWC à Bombay

Troisième champ d’interrogations : les liens entre Satyam et Maytas, les sociétés de BTP et d’immobilier de la famille Raju. Depuis que l’affaire a éclaté, les hypothèses les plus folles circulent. On relève que Ramalinga Raju achetait d’innombrables terrains à Hyderabad, ville en plein boom. Ses liens avec les dirigeants politiques successifs de l’État d’Andhra Pradesh, dont Hyderabad est la capitale, sont de notoriété publique, et son entregent n’a pu que faciliter l’octroi à Maytas de contrats d’infrastructures considérables, susceptibles de valoriser ses terrains. Projet emblématique : le métro de la ville, un contrat d’autant plus suspect que, lors de sa signature, le patron du métro de Delhi, qui intervenait comme consultant pour Hyderabad, avait démissionné avec fracas, dénonçant les conditions de l’opération.

Satyam a-t-il servi à financer directement ou indirectement le développement accéléré des sociétés Maytas ? « Raju avait besoin de faire monter l’action Satyam, car il mettait ses titres en gage pour emprunter afin d’acheter ses terrains à Hyderabad », observe ainsi un banquier.

Reste enfin à savoir quel est l’avenir du groupe. À cet égard, un optimisme — très — prudent est permis. Le fonds de commerce existe, les compétences aussi. Si la situation financière peut être rétablie avant que les clients ne s’enfuient, Satyam peut encore survivre...



Aman Agarwal, vice-président de l’Indian Institute of Finance
« L’image des entreprises indiennes est touchée »

Aman Agarwal, vice-président de l’Indian Institute of Finance

Quels enseignements tirez-vous de l’affaire Satyam ?

La première chose qu’il faut souligner, c’est que de telles fraudes arrivent partout dans le monde, comme on l’a vu avec l’affaire Enron et bien d’autres. Cela montre que les institutions chargées de surveiller les entreprises, c’est-à-dire les auditeurs et les agences de rating, ne font pas bien leur travail, et cela dans le monde entier. Il y a donc besoin d’un cadre réglementaire plus fort. En ce qui concerne le marché indien, il faut que les entreprises se conforment complètement aux règles de la « corporate governance ». Trop souvent, elles ne font qu’appliquer des règles à la lettre, sans en respecter l’esprit. Et les administrateurs indépendants ont tendance à regarder les chiffres qu’on leur présente, sans chercher à aller plus loin.

Que pensez-vous du rôle de PricewaterhouseCoopers, l’auditeur de Satyam ?

Il est impossible que personne ne se soit rendu compte qu’une telle fraude se déroulait depuis sept ans. Cela montre clairement qu’ils n’ont pas rempli leur rôle. C’est au gouvernement indien de décider ce qui doit leur arriver, quand les résultats des enquêtes seront connus. Mais on devrait leur demander de fermer leurs activités, au moins en Inde. Les personnes impliquées doivent rendre des comptes, aussi bien les auditeurs que les administrateurs.

Estimez-vous que le scandale va nuire aux entreprises indiennes en général auprès des investisseurs internationaux ?

Cela va certainement affecter leur image, et il y aura donc un impact en termes d’investissements boursiers et de flux d’affaires. Cela dit, une bonne partie de la croissance en Inde est tirée par des initiatives publiques. L’impact du scandale sur le PIB du pays ne sera donc pas important. Et puis les marchés ont la mémoire courte...

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot, à New Delhi

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