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Safran au coeur du projet biométrique géant de l'Inde

 

Les Echos, 4 octobre 2010

Le groupe français fournit les premiers éléments biométriques du système d'attribution d'un numéro d'identification unique à 1,2 milliard d'Indiens.

 

Le Premier ministre indien, Manmohan Singh, et la présidente du Parti du Congrès, Sonia Gandhi, se sont rendus la semaine dernière à Tembhali, un village perdu habité par des tribus misérables, pour donner le coup d'envoi d'un projet révolutionnaire : l'attribution à tous les habitants du pays d'un numéro unique censé permettre une identification parfaite des individus et donc une meilleure distribution des aides sociales (lire ci-dessous). Dix tribaux ont reçu les premiers numéros.

Au cœur du processus qui a permis de vérifier que les empreintes digitales et le scan de l'iris de l'œil des habitants de Tembhali correspondaient bien à de nouveaux inscrits et n'étaient pas déjà dans la base - une tâche guère difficile pour les premiers numéros mais qui présentera un colossal défi quand la base comprendra les données de 1 milliard de personnes - figure une technologie française : celle de Morpho.

La filiale de sécurité du groupe Safran (ex-Sagem Sécurité) est en effet le fournisseur des technologies biométriques de l'un des trois consortiums retenus cet été par l'Uidai, l'agence publique indienne responsable du projet. Associé à la SSII indienne Mahindra Satyam, Morpho a monté le système utilisé pour les premières attributions, les deux autres consortiums n'étant pas encore opérationnels.

Un enjeu stratégique 


Le numéro unique est présenté au public sous le nom d'"Aadhaar" qui signifie "fondation"

Pour le groupe français, l'enjeu est « stratégique. On ne pouvait concevoir de ne pas être dans ce contrat », explique Jean-Paul Jainsky, PDG de Morpho. Par son ampleur : les plus grosses bases de données biométriques au monde contiennent 100 millions de personnes, le contrat indien marque un changement d'échelle. Par ses innovations technologiques : l'utilisation conjointe de deux séries de données biométriques, empreintes digitales et iris, va constituer une grande nouveauté. Résultat, poursuit le PDG : « Ce que nous allons faire en Inde constituera un bras de levier considérable ailleurs, le reste du monde en bénéficiera. »

Au-delà du contrat de biométrie, d'un montant « relativement modeste » vu l'intensité de la concurrence lors de l'appel d'offres, Morpho estime que le projet va offrir de nombreuses opportunités. Le groupe s'est fait agréer comme agence d'enrôlement, pour assurer l'enregistrement des données biométriques des Indiens. Se profile à l'horizon le marché des terminaux d'enregistrement et de vérification en ligne des identités. Sans compter l'« écosystème » qui va se développer autour du numéro d'identification : cartes à puce, etc. « Nous avons déjà 1.000 personnes qui fabriquent des cartes à puce près de Delhi, souligne Jean-Paul Jainsky, nous sommes partenaires de l'Inde et nous souhaitons l'accompagner dans la modernisation de son administration.» Et le rôle central de Morpho dans le numéro d'identification unique se renforcera avec l'acquisition en cours du groupe américain de biométrie L1 : ce dernier fait partie de l'un des deux autres consortiums retenus par les autorités indiennes.

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI

Un numéro unique pour changer la vie des Indiens

Avec une identification sécurisée, le dispositif vise à faciliter la distribution des aides aux populations les moins favorisées.

C'est peut-être le projet le plus ambitieux au monde d'utilisation des technologies de l'information à des fins de transformation sociale : l'attribution d'un numéro d'identification unique et infalsifiable à 1,2 milliard d'Indiens vise pêle-mêle à éliminer la fraude sur les programmes sociaux, à améliorer la distribution des aides au profit des plus pauvres et à moderniser radicalement l'administration du pays.

L'attribution des premiers numéros marque le lancement concret d'un projet annoncé par le gouvernement après les élections de 2009. Au départ, un constat aussi simple que tragique : les plus démunis des Indiens ne reçoivent pas les aides auxquelles ils ont droit, qui sont fréquemment détournées par les fonctionnaires chargés de leur distribution. « Les pauvres n'avaient pas de preuve d'identité. Du coup, ils ne pouvaient pas ouvrir de compte en banque ou obtenir des cartes de rations alimentaires. Ils ne pouvaient pas bénéficier des programmes d'aide du gouvernement et, bien souvent, ces aides étaient empochées par d'autres », a résumé le Premier ministre, Manmohan Singh...

85% des fonds sociaux en Inde n’atteignent jamais leurs destinataires...


Ces détournements n'ont rien d'anecdotique : incapable d'évaluer précisément les montants détournés sur les milliards d'euros de subventions sociales, le gouvernement évoque régulièrement une proportion de... 85 % de fonds qui n'atteignent pas leurs destinataires ! La grande idée est donc d'attribuer à chaque résident indien un numéro unique sécurisé grâce à des données biométriques. L'étape cruciale est celle de l'inscription où sont collectées (quand elles existent) les informations de base du type nom, date de naissance et adresse, ainsi que les empreintes des dix doigts et celle de l'iris de l'œil. Ces données sont confrontées à celles présentes dans la base centrale, soit à terme celles de 1,2 milliard de personnes, pour vérifier que le nouvel inscrit ne figure pas déjà dans les registres. Un numéro d'identité est alors délivré. Par la suite, lors de chaque utilisation, l'individu donnera son numéro et fera lire une empreinte digitale sur un petit lecteur : numéro et empreinte seront confrontés et l'identité sera parfaitement établie. L'intouchable qui veut obtenir une aide pourra prouver son identité et personne ne pourra détourner la subvention en se faisant passer pour lui.

Une très large utilisation 


Simple dans son fonctionnement, le dispositif est appelé à connaître une très large utilisation. Outre les services sociaux, le numéro d'identification pourra servir lors de la délivrance d'un passeport, d'un permis de conduire ou d'un reçu fiscal. Des organismes privés comme les banques ou les opérateurs de téléphonie s'en serviront pour sécuriser l'identification de leurs clients. L'ampleur du projet commence d'ailleurs à susciter des craintes chez les activistes indiens, qui redoutent des dérives dans l'utilisation du numéro d'identification pour traquer les immigrants illégaux par exemple. Le projet est piloté par une grande figure de l'informatique : Nandan Nilekani, cofondateur et ex-PDG d'Infosys, l'une des plus grosses SSII indiennes, qui est devenu - avec rang de ministre - le patron de l'Uidai, l'agence chargée de l'opération.

Sur le plan industriel, les débouchés du projet seront considérables. Après le choix de trois consortiums pour le système biométrique, un appel d'offres est en cours pour la gestion de la base de données centrale. Un très gros contrat pour lequel le français Steria est sur les rangs. Viendront ensuite des commandes d'innombrables terminaux biométriques. En outre, la généralisation progressive du numéro d'identification suscitera un effet en cascade : refonte des systèmes informatiques des organismes publics ou privés qui s'en serviront, distribution de cartes à puce utilisant le numéro, etc. Et Nandan Nilekani parle déjà de la prochaine étape : l'utilisation du numéro unique pour sécuriser les paiements par téléphone portable. Selon une étude réalisée par CLSA, le chiffre d'affaires lié à la mise en place du numéro pourrait être de 20 milliards de dollars dans les cinq à sept années à venir.

P. DE J.

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