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Le marché indien de la distribution dans l'attente de son big bang

 

Les Echos, 23 mars 2011

Etroitement encadrée, la distribution en Inde table sur des évolutions réglementaires qui ouvriront un gigantesque marché aux intervenants étrangers. Aujourd'hui, les acteurs mondiaux de la distribution ne peuvent pénétrer le marché de détail.

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Pour les distributeurs du monde entier, c'est la question à quelques centaines de millions de consommateurs : le marché indien va-t-il s'ouvrir ? La taille de celui-ci a de quoi les faire rêver. Dans ce pays de près de 1,2 milliard d'habitants, « la distribution représente 450 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel, affirme Sumit Kosla, spécialiste du secteur chez Mazars en Inde. Sur ce total, la partie structurée représente environ 6 % », le reste étant assuré par les petits commerces traditionnels.

Et le gâteau va croître très vite, au rythme de l'explosion des classes moyennes. Estimations et définitions divergent sur ces dernières. Alors que certains économistes parlent de plusieurs centaines de millions de personnes, Rakesh Biyani, directeur général de Future Group, leader indien de la distribution, estime qu'il y a en Inde 300 millions de consommateurs, dont 50 seulement pour la distribution de type occidental. Pas de débat, en revanche, sur le fait que le nombre de ces consommateurs sophistiqués va augmenter très vite. « Le marché indien offre d'énormes opportunités : l'économie croît à 8 % par an, la population est jeune et ceux qui ont de l'argent sont prêts à expérimenter », estime Pinaki Mishra, patron de la division Distribution d'Ernst & Young en Inde.

Protection des nationaux

Si cet « Eldorado » de la distribution ne s'est pas encore concrétisé pour les professionnels étrangers, c'est d'abord à cause d'une réglementation très restrictive. Dans la distribution monomarque (une boutique Nike ou Benetton), les étrangers ne peuvent être présents directement que via une joint-venture avec un partenaire indien dans laquelle ils sont limités à 51 % (à défaut, ils peuvent toujours confier des franchises à un distributeur local). Dans la distribution multimarques, super ou hypermarchés, leur présence directe est totalement interdite. Dans le commerce de gros, les distributeurs étrangers peuvent en revanche opérer à 100 %.

50 millions
Le nombre de consommateurs indiens pour la distribution de type occidental.

Le commerce traditionnel demeure largement dominant

Conçu pour protéger les intervenants nationaux, ce cadre restrictif a permis à quelques groupes indiens de se développer. Le leader du marché, Future Group, possède des chaines de super et d'hypermarchés ainsi que de nombreuses enseignes spécialisées, y compris en joint-venture avec des marques étrangères. Des groupes comme Aditya Birla et Shopper's Stop sont également importants. Et plusieurs conglomérats industriels ont créé une branche distribution, parfois en partenariat avec un étranger : Reliance Industries, Bharti avec Wal-Mart, Tata avec Tesco...

Dans ce contexte, les distributeurs étrangers sont frustrés. Si beaucoup de marques se développent via des joint-ventures ou des franchises, le plafond des 51 % de participation ne les satisfait guère. Quant aux géants comme l'américain Wal-Mart, l'allemand Metro ou le français Carrefour, ils disposent d'un tout petit nombre de magasins de gros et c'est tout.

Libéralisation du secteur 


La bonne nouvelle pour les distributeurs étrangers, c'est que la libéralisation du secteur est de plus en plus ouvertement évoquée. Considérant que pour lutter contre l'inflation alimentaire l'Inde a besoin d'une distribution moderne et de la chaîne logistique qui l'accompagne, la Commission du Plan et d'autres branches de l'Etat se sont prononcées en faveur d'un assouplissement des règles. « Le gouvernement devrait ouvrir la distribution multimarques à au moins 26 %, estime Rakesh Biyani, nous avons besoin de gros investissements dans le secteur ». « Ca ne suffirait pas, lui répond Pinaki Mishra. Qui voudrait investir pour avoir 26 % du capital ? ». Le responsable d'E&Y estime plus probable une autorisation de la grande distribution étrangère à 51 % mais « accompagnée de conditions, sur les investissements dans la chaîne d'approvisionnement par exemple ». Quant à la barre des 51 % dans la distribution monomarque « tout le monde pense qu'elle va bouger, pour passer à 74 %, estime Sumit Kosla, cela permettra d'accélérer fortement les plans de développement des marques déjà présentes ».

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI


Celio fait défiler sa collection printemps-été à Bombay et table avec son associé Future Group sur 200 points de vente en 2012

Le spécialiste du prêt-à-porter masculin travaille sa notoriété sur le marché indien. Il vise 200 points de vente en 2012.

Boutique Celio à Delhi

Fin d'après midi à Worli, un quartier chic de Bombay. Dans une grande salle sur le front de mer, quelques centaines de représentants des milieux branchés de la ville, mode, distribution ou médias, se pressent en dégustant fromages et macarons bien français. Sur fond de musique électronique tonitruante, une douzaine de jeunes gens au physique de figurants de films Bollywood évoluent en jeans délavés, tee-shirts bariolés et polos. Objet du défilé : la collection printemps-été 2011 de Celio en Inde...

C'est donc presque en adoptant les codes de la haute couture que le fabricant français de prêt-à-porter masculin construit sa marque sur le marché indien. « C'est vrai qu'ici on est obligés de présenter la "french touch", s'amuse Laurent Portella, directeur international du groupe. Dans nos boutiques indiennes nous proposons la partie la plus mode, la plus branchée de notre offre ». Celio travaille ainsi sa notoriété. Car le groupe a de grandes ambitions en Inde. Moins de trois ans après avoir abordé le pays, le spécialiste de l'habillement pour hommes y dispose de 91 points de vente, dont 20 boutiques autonomes et 71 « corners » dans des grands magasins, détaille Rakesh Biyani, patron du groupe indien de distribution Future Group, partenaire de Celio dans le joint-venture qui gère l'opération indienne. En 2012, ajoute-t-il, « nous visons 200 points de vente dont 110 boutiques. Et en 2014, un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros ».

« Consommateurs ambitieux »

Pourquoi l'Inde ? « Simplement parce que, quand on pense développement, il faut aller dans les pays où il y a de la croissance, explique Marc Grosman, cofondateur propriétaire de Celio avec son frère Laurent. Dans un premier temps nous voulons vérifier que nos produits répondent aux attentes du client indien ». Ce point crucial est désormais acquis, estime Laurent Portella, Celio est perçu ici « comme une marque branchée qui séduit même des stars de Bollywood ou du cricket. Et nos boutiques font de très belles performances ». En effet, confirme Rakesh Biyani, la marque plaît à la population des « consommateurs ambitieux », les jeunes « qui ont de l'argent disponible et veulent sans cesse quelque chose de mieux ». Pour Celio, qui est présent aujourd'hui dans 65 pays, le potentiel de l'Inde est donc considérable : « ce pays peut devenir très vite notre deuxième marché derrière la France », estime son responsable international.

P. DE J.

Des implantations difficiles


L'Occitane, Carrefour, Décathlon : les distributeurs français se lancent en Inde.

Le Carrefour C&C de Delhi

Nike, Levi's, Benetton : dans les quartiers chics des grandes villes indiennes, l'amateur de marques internationales a le choix. Pour les marques françaises, il lui faut chercher un peu plus... Mis à part le secteur du luxe comme Dior, Chanel ou Hermès, les enseignes françaises sont peu nombreuses : Okaïdi, Promod, Lacoste, Daniel Hechter et quelques autres ont une petite présence. Certains comme l'enseigne de lingerie Etam sont venus et repartis. Une poignée de distributeurs, outre Celio (voir ci-contre), se sont lancés malgré tout.

La firme de cosmétiques L'Occitane, qui a ouvert trois boutiques à New Delhi depuis fin 2009 et dispose de trois « corners » dans des grands magasins de Bangalore et Calcutta, vient d'ouvrir sa quatrième boutique à Ludhiana dans le Pendjab. « Notre "business plan" prévoit une boutique par trimestre, mais nous allons faire mieux, affirme Guillaume Geslin, directeur général de la marque en Inde. Nos boutiques de Delhi sont déjà rentables, c'est ce qui nous incite à aller dans toute l'Inde ».

Fin 2010, Carrefour a ouvert un magasin à son nom à New Delhi, après de nombreux mois de retard dus à des problèmes administratifs. Le magasin est un « cash & carry » réservé aux acheteurs professionnels, seule formule autorisée à ce jour pour les grands distributeurs étrangers. En attendant une libéralisation, le numéro deux mondial de la distribution prévoit d'ouvrir d'autres magasins de gros. Carrefour est par ailleurs depuis des années à la recherche d'un partenaire. De notoriété publique, le choix a été arrêté : il s'agit de Future Group, leader du secteur en Inde et propriétaire de supers et d'hypermarchés. « Tout le monde dans le groupe n'est pas convaincu qu'il faut aller sur le marché indien », indiquent toutefois les professionnels.

Autre distributeur multimarques, Décathlon a ouvert en mai 2009, faute de mieux, un « cash&carry » à Bangalore. Satisfait de ses résultats, le distributeur de matériel sportif voudrait ouvrir d'autres C&C mais se heurte au problème de l'immobilier.

P. DE J.

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