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L'Inde veut révolutionner la distribution d'eau dans ses villes

 

Les Echos, 18 avril 2011

Le groupe français Veolia Environnement est pionnier dans l'introduction d'un service d'eau potable 24 heures sur 24 dans les grandes zones urbaines du pays. Sa division Veolia Eau a été choisie par la ville de Nagpur (2,5 millions d'habitants) pour y mener à bien un projet ambitieux.

Une idée révolutionnaire fait son chemin en Inde : celle selon laquelle il est possible et souhaitable d'obtenir en permanence de l'eau potable au robinet. Bien sûr, les Indiens savent depuis longtemps qu'un tel service constitue la norme dans le monde industrialisé. Mais il était perçu jusqu'alors un peu comme les dix-huit variétés de yaourts à la fraise que l'on trouve dans les supermarchés occidentaux : quelque chose de très agréable sans doute, mais hors de prix et pas vraiment utile.

Les choses bougent. Le gouvernement indien a promulgué en 2008 des normes stipulant que l'eau dans les villes devrait, à terme, être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, avec une desserte individuelle de chaque foyer, y compris dans les bidonvilles. La mise en œuvre débute, mais le chantier est titanesque.

Paradoxalement, un service d'eau en continu était plus ou moins la norme voilà trente ans. Ainsi, Bangalore avait de l'eau presque vingt-quatre heures par jour en 1980 quand elle n'en a plus que deux à quatre heures par jour aujourd'hui...

Mécanismes de financement

Le manque d'entretien a entraîné une dégradation des canalisations et des fuites importantes. Les opérateurs ont réduit la pression avec des coupures de plus en plus longues pour réduire les pertes. Mais les baisses de pression ont elles-mêmes contribué à détériorer les tuyaux, etc. Simultanément, en l'absence de compteurs individuels, les prix forfaitaires demandés aux foyers sont demeurés très faibles, ne donnant pas aux municipalités les moyens d'entretenir les réseaux.

Résultat : s'il y a bien assez d'eau disponible, contrairement à ce que l'on pourrait croire, en revanche la distribution dans les villes n'a lieu que quelques heures par jour et pas forcément quotidiennement. Autre conséquence : des canalisations vides une grande partie du temps laissent entrer les eaux contaminées du sous-sol. Si bien que des eaux parfaitement potables à la sortie de l'usine de traitement arrivent imbuvables au robinet.

« La moitié de l’Inde urbaine aura adopté les normes dans cinq à sept ans. »
ISHER AHLUWALIA, ÉCONOMISTE


Le camion citerne demeure une source d'approvisionnement indispensable

Décidé à remédier au désastre, le gouvernement a mis en place des mécanismes de financement afin d'inciter les villes à adopter un système moderne de distribution d'eau. Et pour la première fois, une grande ville, Nagpur, 2,5 millions d'habitants, vient de sauter le pas. Après une première expérimentation confiée à Veolia Eau, la division eau du groupe Veolia Environnement -qui avait également mené des projets pilotes dans trois petites villes de l'Etat du Karnataka -, Nagpur a confié au géant français des services à l'environnement la mission de mettre en place une distribution d'eau « 24/7 », comme on dit ici (pour 24 heures/24, 7 jours/7) dans l'ensemble de la ville. Contacté, Veolia se refuse à communiquer sur le sujet, le contrat faisant encore l'objet de différentes procédures administratives.

Gigantesque gâteau 


L'expérience sera suivie de très près, en termes de performances tant techniques que sociales. Un des défis sera de faire accepter à la population une augmentation des tarifs de l'eau, liée à la mise en place de compteurs. Un point qui n'inquiète pas Bharat Lal Seth, du Centre for Science and Environment, selon qui les expériences du Karnataka, où les gros consommateurs « subventionnent » les petits, ont montré qu'une famille modeste se voyait facturer 80 roupies par mois (1,30 euro), ce que « même les pauvres peuvent payer », souligne-t-il.

Selon l'économiste Isher Ahluwalia, présidente du Comité gouvernemental des experts sur les infrastructures urbaines, le caractère exemplaire du contrat de Nagpur devrait avoir un impact considérable. « Je pense que la moitié de l'Inde urbaine aura adopté ces nouvelles normes de distribution d'eau dans cinq à sept ans », estime-t-elle, ce qui représente évidemment « un énorme marché pour Veolia et les autres. »

Son concurrent français, Suez Environnement, actif depuis longtemps dans les usines de traitement d'eau en Inde, commence à se positionner sur le marché des services. Et des acteurs indiens comme les conglomérats Tata et Larsen & Toubro revendiquent leur part de ce gigantesque gâteau.

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI

L'approvisionnement erratique engendre d'énormes gaspillages

Dans les quartiers pauvres, on stocke l'eau dans des récipients...

Quand l'eau n'est distribuée que de façon très épisodique, c'est toute la vie quotidienne des populations qui est affectée, et particulièrement celle des plus pauvres et des femmes.

Premières victimes des distributions d'eau erratiques en Inde : les plus pauvres et singulièrement les femmes. Dans les quartiers défavorisés, explique Bharat Lal Seth, du Centre for Science and Environment, « la vie des femmes s'organise en fonction du cycle de l'eau. Quand celle-ci n'arrive que deux heures tous les trois jours, la rater est un désastre ». Si l'eau est annoncée à 4 heures du matin, les femmes font donc la queue au milieu de la nuit pour remplir leurs récipients.

En outre, note un rapport gouvernemental sur les infrastructures urbaines, « la fourniture d'eau intermittente oblige les pauvres à renoncer à travailler quand l'eau arrive car il leur faut faire la queue pour la recueillir ». Et le coût ne s'arrête pas là. Quand l'eau n'arrive pas du tout, ils doivent se rabattre sur les camions citernes qui la vendent... 30 fois plus cher que l'eau publique, estime le rapport.

La distribution erratique peut aussi engendrer d'énormes gaspillages. Par exemple, les maisons modestes ayant leur propre point d'eau laisseront le robinet grand ouvert au-dessus des bassines pour éviter d'avoir à se lever au milieu de la nuit, quitte à ce que les récipients débordent des heures durant.

Lacunes dans la distribution

...dans les quartiers riches, on installe des réservoirs sur les toits

Dans les quartiers riches, on s'équipe de tout un matériel : pompes, citernes sur le toit, mécanismes détectant la présence d'eau dans les tuyaux pour remplir les réservoirs, etc. « En fait, souligne Bharat Lal Seth, les gensinvestissent dans leur propre infrastructure » pour pallier les lacunes de la distribution publique. Autant de dispositifs coûteux, consommateurs d'énergie, sujets à pannes, engendrant des gaspillages (les citernes que l'on vidange pour y mettre de l'eau fraîche...) et une détérioration de l'eau stockée dans des réservoirs en plein soleil.

L'eau qui arrive au robinet n'étant pas réellement potable, les milieux aisés achètent des appareils sophistiqués pour la traiter. Un luxe qui était inabordable voilà encore quelques années pour les pauvres. Une nouvelle génération d'appareils est désormais sur le marché aux environs de 1.000 roupies (16 euros) et le groupe Tata a sorti un purificateur d'eau encore moins cher, ce qui le met à la portée d'une bonne partie des populations défavorisées.

P. DE J.

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