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L'Inde veut tripler la capacité de ses ports d'ici à 2020


Les Echos, 28 juin 2011

Les ports indiens n'arrivent pas à suivre le rythme de développement des échanges commerciaux du pays. Ils ont un besoin crucial d'investissements, chiffrés selon le programme maritime 2010-2020 de l'Inde à quelque 50 milliards de dollars. Les opérateurs français veulent leur part du gâteau.

(voir également Comment les Français surfent sur la croissance des ports indiens)

L e sous-développement des ports en Inde constitue un véritable goulet d'étranglement qui pèse sur la capacité d'exportation du pays et freine donc sa politique d'industrialisation » : cette analyse sans concession d'un observateur européen résume en quelques mots le problème de l'Inde. Comme dans bien d'autres secteurs des infrastructures, les ports ne suivent pas le rythme de développement accéléré du pays, qui s'efforce tant bien que mal d'attirer expertise et capitaux pour rattraper son retard.

Les besoins sont immenses. Sur les dix dernières années, note un rapport sur les ports indiens que vient de publier Citibank, le commerce extérieur de l'Inde a crû sur un rythme annuel de 19 %, et « 95 % en volume et 70 % en valeur » des échanges de marchandises passent par la mer. Face à cette demande, les équipements portuaires peinent à suivre. « Ce pays a une immense façade maritime, mais ne compte aucun port de premier plan », constate un professionnel. « Les grandes lignes mondiales de porte-conteneurs ne touchent pas les côtes indiennes : les conteneurs transitent par des ports comme Colombo au Sri Lanka ou Singapour », constate-t-il.

Le secteur portuaire indien s'est historiquement structuré autour des « ports majeurs », contrôlés directement par l'Etat central, actuellement au nombre de 13. Des grands ports qui sont restés à la traîne. « La majeure partie du matériel de manutention a été commandée il y a très longtemps et a dépassé sa durée de vie normale », note un rapport d'Ernst & Young sur le secteur, qui énumère entre autres problèmes les pannes fréquentes de matériel et l'utilisation très limitée des technologies de l'information. Résultat : les « ports majeurs », complètement saturés, fonctionnent souvent au-delà de leurs capacités. Dans un port aussi important que celui d'Haldia près de Calcutta, « on voit des cargos attendre trente jours pour être déchargés », souligne Jean-Michel Pap, directeur des opérations de la coentreprise de Louis Dreyfus Armateurs en Inde.

Succès des « ports mineurs »

L'opérateur franco-indien ABG-LDA, port de Vizag. Photo D.R.

Dans ce contexte, les « ports mineurs », contrôlés par les Etats de la fédération indienne ou des opérateurs privés, se développent pour pallier les insuffisances des grands ports publics. De moins en moins « mineurs », ils prennent une place croissante : « Leur part dans le trafic total est passée de 7 % en 1990 à 34 % en 2010 », souligne Citibank. Les ports sous gestion privée bénéficient d'investissements importants, d'équipements modernes et d'une liberté tarifaire complète, là où les ports « majeurs » sont étroitement encadrés par les autorités. Résultat, « il n'y a pas d'attente dans ces ports et les clients préfèrent payer nettement plus cher et ne pas perdre de temps », relève Jean-Michel Pap.

Conscients du problème, les pouvoirs publics veulent des investissements massifs dans les infrastructures portuaires. Le programme maritime 2010-2020, publié en début d'année, prévoit un total de 100 milliards de dollars investis sur cette période pour la modernisation tant de la flotte maritime que des ports du pays, dont plus de la moitié de la somme pour ces derniers. L'objectif est de tripler leur capacité, pour la porter à 3,3 milliards de tonnes. Les investissements privés sont fortement encouragés. S'il n'est pas question de privatiser complètement les « ports majeurs », leurs activités peuvent être sous-traitées dans le cadre de partenariats public-privé, comme le fait déjà LDA (lire ci-dessous). Pour les « ports mineurs », les acteurs privés ont les mains libres et les investissements en provenance de l'étranger sont autorisés à 100 %.

Tout cela peut faire rêver les investisseurs étrangers. A condition toutefois de ne pas oublier que de nombreuses difficultés attendent les opérateurs : complexités bureaucratiques et réglementaires, problèmes d'infrastructures (il ne suffit pas de construire un terminal portuaire performant, encore doit-il être relié à une route correcte ou à un chemin de fer efficace) et, bien sûr, l'omniprésente corruption, liée aux intérêts en place que l'arrivée d'acteurs nouveaux n'arrange pas forcément.

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI

Encadré

Un secteur porteur

Deux domaines semblent promis à un avenir particulièrement brillant dans les activités portuaires : le trafic des conteneurs et celui du charbon. Le premier, relativement peu développé en Inde, va prendre de l'importance avec la montée en puissance et en sophistication des exportations industrielles du pays. La croissance annuelle du transport de conteneurs devrait atteindre 38 % sur la période 2010-2017, selon un rapport de Citibank. Quant au charbon, nécessaire pour alimenter les nombreuses centrales électriques en construction, sa croissance devrait être de 32 % par an sur la même période.


Les professionnels français lorgnent les installations portuaires du pays

Louis Dreyfus Armateurs est déjà actif dans l'exploitation portuaire, le groupe Bolloré regarde les opportunités.

Le potentiel de développement des ports indiens n'a pas échappé aux professionnels français du secteur. Premier en lice, Louis Dreyfus Armateurs a conclu en 2009 un partenariat avec l'indien ABG, dans le cadre d'une coentreprise à 50-50. Son objectif ? « Le développement de terminaux portuaires de vrac », essentiellement pour le transport de charbon et minerai de fer », explique Gurpreet Malhi, directeur général d'ABG-LDA, la structure commune.

Dans un premier temps, celle-ci a repris les 4 terminaux de vrac de 4 « ports majeurs » (lire ci-dessus) dont ABG assurait déjà l'exploitation, dans le cadre des partenariats public-privé (PPP) que le gouvernement indien encourage afin de moderniser ses infrastructures portuaires.

Mais la société franco-indienne s'est surtout lancée dans des projets plus ambitieux comme « candidate à tous les appels d'offres pour des terminaux de vrac ». Elle a déjà remporté deux concessions, pour concevoir, construire, financer et opérer les installations, avant de les remettre aux pouvoirs publics au bout de trente ans. Dans les deux cas, les travaux sont en cours et l'exploitation devrait commencer début 2013.

Le premier contrat concerne un terminal dans le port de Visakhapatnam, au milieu de la côte est. L'investissement se monte à 23 millions d'euros pour porter la capacité à 6 millions de tonnes par an. Le deuxième, dans le port de Tuticorin face au Sri Lanka, est « similaire mais sur une échelle nettement plus grande », avec une capacité de 16 millions de tonnes, explique Gurpreet Malhi. Il s'agira d'approvisionner en charbon les 6 à 9 centrales électriques en cours de construction dans la région.

Comprenant du matériel de pointe avec un haut degré d'automatisation - un tapis roulant de 3 kilomètres de long court au-dessus de la mer -, ce projet représente un investissement de 70 millions d'euros. « Nous regardons de 8 à 10 autres projets », affirme le directeur général d'ABG-LDA, qui revendique déjà la deuxième place sur le marché indien en termes de capacités dans le vrac. Et se prend à rêver de « construire un port à partir de zéro ». Un objectif à long terme au vu des montants en jeu, de l'ordre de 600 millions d'euros...

Bolloré « pas pressé » 


Concurrent de Louis Dreyfus Armateurs (LDA), le groupe Bolloré n'a pas encore sauté le pas mais observe de très près le marché indien. « Notre expérience d'opérateur portuaire en Afrique nous incite à regarder les opportunités dans d'autres pays émergents », reconnaît Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics, selon qui « il y a pas mal de choses à faire en Inde ». Considérant que les échanges entre l'Inde et l'Afrique sont promis à de gros développements, Bolloré Africa Logistics a ouvert récemment en Inde une activité de logistique tournée vers le continent noir. Ce qui va lui permettre d'acquérir une connaissance du marché, du contexte économique et réglementaire, etc. Le groupe a déjà « regardé un dossier de concession portuaire en Inde et ne l'a pas retenu », précise Dominique Lafont. Voulant prendre le temps « de bien se positionner » sur ce nouveau marché, il affirme n'être « pas pressé ».

P. DE J.

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