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La distribution d'eau en Inde, un marché colossal pour les géants Veolia et Suez
Thèmes: Infrastructures - Business - Environnement - Pauvreté - Société - France-Inde |
Les Echos, 2 octobre 2012
Veolia équipe pour la première fois une grande ville, Nagpur, en eau disponible 24 heures sur 24, tandis que Suez vient de décrocher un contrat similaire pour un quartier de Delhi. Les perspectives sont quasiment illimitées avec quelque 8.000 villes comme marchés potentiels.
Distribution erratique, souvent deux heures par jour et parfois beaucoup moins, eau imbuvable au robinet : la disponibilité de l'eau dans les villes indiennes est hautement problématique. Non pas, généralement, par manque d'eau, mais plutôt parce que les réseaux de distribution sont dans un état pitoyable. Résultat : la distribution d'eau se fait systématiquement par intermittence.
Problème de santé publique
Les canalisations sont vides la majeure partie du temps, ce qui permet aux eaux polluées du sous-sol d'y pénétrer et de contaminer l'eau potable quand celle-ci revient. Avec des conséquences catastrophiques en termes de santé publique et pour la vie quotidienne de la population qui s'en trouve très perturbée.
Les autorités indiennes commencent donc à s'intéresser au concept d'eau disponible en permanence, norme reconnue dans les pays développés et la plupart des grandes villes d'Asie. Après quelques expériences locales, le premier contrat destiné à faire passer une ville entière aux normes internationales a été signé en mars dernier par Veolia Environnement : il s'agit d'exploiter pendant vingt-cinq ans la distribution d'eau dans la ville de Nagpur, 2,7 millions d'habitants, située dans le Maharashtra, au cœur de l'Inde.
Le chantier est considérable. Alors que 70 % de l'eau qui sort des usines de traitement est perdue du fait des vols et des fuites, il faut remplacer des centaines de kilomètres de canalisations, installer des centaines de milliers de compteurs individuels y compris dans les bidonvilles, etc. Plus encore que l'aspect technique, c'est la dimension sociale de l'opération - initiation au bon usage de l'eau, principes de tarification - qui est sensible (lire ci-dessous).
Une femme du slum fait sa lessive avec son robinet privé |
Six mois après la signature du contrat, le chantier « se passe bien, on a démarré les travaux et ça accélère, affirme Patrick Rousseau, directeur général de Veolia Water India. Mais cela reste très délicat, en raison notamment de l'énorme pression des politiques qui voudraient que les travaux soient faits en deux ans au lieu des cinq années prévues dans le contrat ».
Le groupe français considère en tout cas que le contrat de Nagpur est porteur d'avenir : actuellement de 30 millions d'euros, le chiffre d'affaires de Veolia Environnement pour toute l'Inde pourrait passer dans la zone des 100 à 200 millions d'euros à horizon de cinq ans. Pour la suite, les perspectives sont quasiment illimitées : selon Veolia, 8.000 villes indiennes sont susceptibles de s'intéresser à de tels développements...
PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI
Encadré
Delhi : un nouveau champ de bataille entre les deux groupes
Les deux géants français de l'eau, Suez et Veolia, sont en concurrence frontale sur le marché indien de la distribution d'eau. C'est le cas pour le prochain grand chantier (après Nagpur), celui de Delhi. La capitale a lancé trois appels d'offres pour la distribution d'eau 24h/24 dans trois quartiers comptant entre 500.000 et 1 million d'habitants. Le premier a été attribué à la société indienne SPML. Selon nos informations, le deuxième reviendra à une coentreprise entre SPML et Suez Environnement. L'annonce devrait en être faite dans les prochains jours. Pour le troisième contrat, dont le résultat devrait être connu dans quelques semaines, seuls Suez et Veolia sont en lice. Ce qui confirme la place prise par les entreprises françaises. Pour Suez, le contrat remporté marque son entrée sur le marché indien de la distribution d'eau. Déjà présent en Inde, le groupe l'est via sa filiale Degrémont qui a construit trois stations d'épuration à Delhi et y opère une usine de production d'eau potable.
L'eau en permanence, tout un apprentissage...
L'introduction de l'eau 24 heures/24 peut faciliter considérablement la vie des gens mais nécessite beaucoup de pédagogie.
Mme Daswani rêve de machine à laver... |
« Je vais aussitôt acheter une machine à laver ! » : Mme Daswani sait exactement ce qu'elle fera dans deux mois quand l'eau arrivera à son domicile 24 heures/24. Il faut dire que le changement sera radical pour cette mère de famille de la petite classe moyenne dont la maison est actuellement desservie... une demi-heure par semaine. Ce qui l'oblige à aller à la pompe commune du quartier ou à attendre les camions d'eau, et lui fait « perdre deux heures par jour », estime-t-elle.
Les Daswani habitent un quartier de Nagpur où les travaux d'adaptation des réseaux d'eau à une desserte en continu vont commencer incessamment. Pour préparer les habitants, Manisha Karape et son équipe sont sur le terrain. Manisha est coordinatrice senior pour l'action sociale d'Orange City Water, la coentreprise locale de Veolia qui mène le projet de Nagpur. Car la modernisation de la distribution d'eau en Inde a ceci de particulier qu'elle exige une « action sociale » sans doute plus délicate que les opérations techniques, relativement classiques.
Beaucoup de pédagogie
« Nous expliquons aux gens ce qui va se passer, les avantages d'avoir de l'eau potable en permanence », explique Manisha selon qui la première réaction est l'incrédulité. « Avoir de l'eau 24 heures/24 leur semble miraculeux ! », raconte-t-elle. Au moins peut-elle s'appuyer dans ses efforts de pédagogie sur les résultats de la zone pilote où les habitants disposent déjà effectivement d'eau en continu. Jyoti Urade, une jeune femme d'un « slum » (bidonville) de la zone test, se félicite d'avoir son robinet privé. Elle passait auparavant trois heures par jour à aller chercher de l'eau à un robinet public loin de chez elle...
70 % de l’eau qui sort des usines de traitement sont perdus du fait de vols et de fuites.
Tout le monde n'est pourtant pas convaincu. L'eau 24 heures/24 est une mauvaise idée, affirme Vijaya Shah, directrice de l'ONG Indian Institute of Youth Welfare. Selon elle, « il vaudrait mieux distribuer l'eau deux heures le matin et deux heures le soir ». La raison ? « L'eau en continu amène les gens à gaspiller, ils se servent d'eau potable pour laver les voitures et arroser les jardins. »
De fait, reconnaît Patrick Rousseau, directeur général de Veolia Water India, « il y a encore des ingénieurs spécialistes de l'eau qui disent que l'eau 24 heures/24 ce n'est pas utile », alors même que maintenir les canalisations sous pression en permanence est le seul moyen de préserver la qualité de l'eau distribuée.
Autre débat : le coût du service. Actuellement, de nombreuses connexions sont illégales, et bien des gens reçoivent un peu d'eau sans rien payer. Ce n'est donc « pas facile de convaincre les gens de payer pour ce qu'ils avaient jusqu'ici gratuitement », souligne Gilles Feuillade, directeur général d'OCW. Le problème se traite sous forme de tarifs très sociaux fixés par la municipalité de Nagpur, avec des prix, à la portée de tous en principe, de quelques dizaines de roupies par mois (moins d'un euro) pour les habitants des bidonvilles.
Reste que l'introduction de l'eau à volonté assortie de compteurs individuels exige là encore beaucoup de pédagogie. « Quand l'eau arrive 24 heures/24, la consommation commence par augmenter parce que les gens laissent des robinets ouverts, il y a des fuites chez eux, etc., raconte Gilles Feuillade. On redonne alors plein d'explications sur le bon usage de l'eau, les gens se mettent à faire attention. Et la consommation revient à des niveaux similaires à ce qu'ils étaient avant, voire plus faibles ».
P. DE J. (A NAGPUR)
Encadré
LES CHIFFRES CLEFS DU CONTRAT DE NAGPUR
Population concernée :
2,7 millions d’habitants, dont 36 % d’habitants vivant dans les 400 bidonvilles de la ville.
Réfection ou construction de six usines de traitement d’eau ; 500 des 2.500 km de canalisations remplacés ; 300.000 à 500.000 compteurs individuels.
60 millions d’euros d’investissements, dont 18 à la charge de l’exploitant.
Effectifs : 250 salariés dans la coentreprise de Veolia (900 chez des sous-traitants)
Chiffre d’affaires cumulé pour Veolia sur vingt-cinq ans : 387 millions d’euros
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