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Face à la crise, la voie étroite du gouvernement indien
Les Echos, 18 septembre 2013
Restaurer la confiance dans l'économie du pays supposerait des réformes de fond que la proximité des élections générales rend peu plausibles.
Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi
Les huit mois qui viennent s'annoncent comme une période à hauts risques pour l'Inde et son gouvernement. Plongé depuis cet été dans une violente crise d'ajustement économique et monétaire, le pays est confronté à une échéance électorale majeure : les élections générales qui se tiendront au plus tard en mai 2014. Problème clef : les décisions qu'imposerait la crise de la roupie ne manqueraient pas de fragiliser le parti au pouvoir d'un strict point de vue électoral.
Les trois mois écoulés ont rudement secoué : dégringolade de la roupie jusqu'à 20 % fin août, exode des investisseurs étrangers, réduction drastique des prévisions de croissance, etc. Bien sûr, la roupie s'est un peu reprise depuis et les institutionnels internationaux sont en partie revenus pour tirer profit de la baisse des marchés. Mais la crise est tout sauf finie. Alarmés par la perspective de la fin de la politique accommodante de la Fed, les investisseurs ont passé en revue les pays où ils avaient placé leurs liquidités, et ce qu'ils ont vu n'était pas en faveur de l'Inde : une croissance en très fort ralentissement (4,4 % au deuxième trimestre 2013, bien loin des 9 % et plus qui semblaient « normaux » voici quelques années), des déficits du budget et de la balance des paiements courants insupportables, etc. Ils ont donc estimé que de profondes réformes économiques étaient nécessaires. Si, à ce jour, la chute de la roupie est perçue comme un ajustement sévère mais justifié plutôt que comme une crise systémique demandant la mise sous tutelle du FMI, les exigences de réforme ne vont pas disparaître.
Ces exigences, quelles sont-elles ? Elles portent d'abord sur les finances publiques. Représentant environ 5 % du PIB, le déficit budgétaire tire les taux d'intérêt à la hausse et pèse sur l'activité, d'autant qu'il est dû à des dépenses non productives plutôt qu'à des investissements structurels. Les économistes sont unanimes à réclamer des coupes massives dans les subventions versées par l'Etat pour alléger, entre autres, le coût des produits énergétiques payés par les consommateurs. Le gouvernement s'est engagé dans cette voie mais de façon encore modeste.
Siège du gouvernement: réformer ou pas? |
Deuxième catégorie : les réformes permettant d'attirer en Inde des fonds étrangers afin de financer le déficit extérieur. Cela concerne notamment l'ouverture aux investisseurs internationaux des secteurs protégés, de l'assurance à la défense. Là encore, le gouvernement a amorcé le mouvement avec, par exemple, l'ouverture partielle de la grande distribution décidée voici un an. Mais elle est encombrée de tant de restrictions que pas un seul projet n'a été monté à ce jour.
Experts et milieux industriels demandent enfin des initiatives fortes pour débloquer les investissements dans un pays qui arrive 132e dans le classement de la facilité à faire des affaires établi par la Banque mondiale : simplification du maquis des règles et des procédures, déblocage des projets d'infrastructures, clarification des normes environnementales, etc.
Le diagnostic des mesures nécessaires est clairement posé et le ministre des Finances, Palaniappan Chidambaram, est convaincu de leur nécessité. La difficulté, c'est que la plupart vont à l'encontre de ce qu'il faudrait faire dans la perspective des élections. C'est évident pour des réductions de subventions qui se traduisent par des hausses de prix immédiates. Et tout ce qui touche à la libéralisation de l'économie est très impopulaire aussi. C'est l'ouverture de la grande distribution, justement, qui avait fait éclater la coalition gouvernementale fin 2012.
Les marges d'action du gouvernement sont donc extrêmement réduites. L'exemple de la session parlementaire qui vient de s'achever est éclairant. Pour une fois, le gouvernement, dirigé par le parti du Congrès, a réussi à faire voter quelques textes importants. Le principal parti d'opposition, le parti hindouiste BJP, a en effet soutenu certains projets de loi, sans doute afin de ne pas se faire accuser de paralyser la vie législative du pays. Mais le principal texte voté crée un droit à l'alimentation prévoyant la distribution de céréales quasi gratuites à 800 millions d'Indiens. Son coût, de plusieurs dizaines de milliards de dollars, va aggraver encore plus le déficit budgétaire. L'autre loi phare, qui prévoit une meilleure indemnisation des paysans qui vendent leurs terres pour un projet industriel ou d'infrastructure, vise à résoudre le problème bien réel de leur spoliation. Mais la complexité et la longueur des procédures prévues font dire aux industriels que leurs projets vont être plutôt ralentis. Outre ces deux textes plus ou moins populistes, une seule réforme de type libéral a été votée, celle de l'ouverture des fonds de pension aux investisseurs étrangers à hauteur de 26 %. L'ouverture des assurances ou la réforme de la fiscalité indirecte, de portée beaucoup plus importante, ont été remises à plus tard.
Les espoirs de vraie réforme de l'économie seraient donc repoussés au-delà des élections générales. Ce n'est pas gagné d'avance : celles-ci s'annoncent très indécises et de nombreux observateurs redoutent qu'elles ne débouchent sur des coalitions encore plus instables que l'actuelle, reposant notamment sur des partis régionaux populistes très hostiles aux réformes. Le dilemme du gouvernement, finalement, c'est de décider s'il faut agir fort et vite pour conforter l'économie et la roupie au risque de braquer une partie de l'électorat, ou s'il est préférable d'attendre l'été prochain. Le relatif retour au calme observé sur les marchés risque de faire pencher la balance en faveur de cette deuxième hypothèse.
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