Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact

Jean-Dominique Senard (Michelin): « Ne pas aller en Inde, c'est se marginaliser »

 

Thèmes: Business - France-Inde

Enjeux, 6 décembre 2013

Le patron du fabricant de pneus explique la pertinence d’une implantation hors normes.

Patrick de Jacquelot
Correspondant à New Delhi

Voici le version complète (publiée sur lesechos.fr) de l'interview parue dans le mesuel des Echos, Enjeux, en accompagnement d'un long reportage sur la construction de l'usine Michelin près de Chennai, au sud de l'Inde

Michelin est en train d’ouvrir une grande usine en Inde. Que répondez-vous à ceux qui, en France, pensent que les emplois créés à Chennai sont les emplois détruits à Joué-lès-Tours ?

Très sincèrement, ce n’est pas du tout le cas. C’est même l’inverse dans la durée. Nous avons des centres de recherche en France et des usines qu’on cherche à rendre de plus en plus compétitives. Nous exportons beaucoup de France et ça va durer des années et des années, il n’y a aucune crainte de ce côté là. Mais il y a un autre angle à prendre en compte : si nous ne nous développions pas dans un pays comme l’Inde, nous serions marginalisés à l’avenir, avec des conséquences sévères, une attrition industrielle insupportable.

Quand nous ouvrons une usine en Chine ou en Inde, nous accompagnons l’accroissement de la mobilité dans le monde. La demande en Inde sera absolument considérable dans les années à venir, on ne pourrait fournir depuis la France. Et pas un pneu fabriqué en Inde ne sera exporté !

Enfin, tous les développements à l’étranger contribuent à l’enrichissement des tâches des équipes françaises. Elles vont sur place, créent de nouveaux concepts… Et dans nos usines françaises, on voit nos équipes former des équipes indiennes, c’est un vrai bonheur !

Jean-Dominique Senard, président de la gérance de Michelin (photo Michelin)

Quelle place l’Inde est-elle appelée à occuper dans l’activité de Michelin ?

C’est un très grand marché d’avenir. Nous avons d’abord pensé y aller avec un partenaire, et finalement nous avons décidé de faire une usine purement Michelin. Je crois que c’est le bon choix. Tout ça va monter en régime progressivement. Nos produits donnent tout leur potentiel dans un environnement d’infrastructures développées. C’est ce qui se passe en Chine, ça arrivera en Inde également. Nous y arrivons au bon moment : nos pneus peuvent maintenant y être utilisés à bon escient. La demande de mobilité en Inde n’est freinée que par l’état des infrastructures, notre développement accompagnera donc celui de ces dernières et des flottes de poids lourd dans le pays.

Votre usine ne va fabriquer que des pneus pour camions. Envisagez-vous de faire ultérieurement des pneus pour les véhicules de tourisme ?

Pour le moment, nous exportons en Inde les pneus pour les véhicules particuliers. En fabriquerons-nous un jour sur place ? C’est probable.

Arrivez-vous vraiment au bon moment, alors que l’économie indienne traverse une phase difficile et que la roupie a fortement chuté ces derniers mois, ce qui déprécie vos investissements déjà réalisés et vos recettes à venir ?

La chute de la roupie nous encourage encore plus à nous installer sur place. A court terme, bien sûr, elle ne nous facilite pas la tâche. Nous exportons vers l’Inde, ça devient plus difficile. Nous pouvons être obligés d’augmenter nos prix, ça n’est pas confortable. Mais on ne peut raisonner à court terme, on construit une usine pour quarante ans au moins ! Je n’imagine pas que la faiblesse actuelle de l’économie indienne puisse durer très longtemps. En fait, pour un groupe international comme le nôtre, la vraie protection contre les fluctuations des monnaies c’est d’avoir un pied industriel un peu partout. C’est pour cela que nous nous retrouvons avec des usines en zone dollar, en zone Asie, etc.

Vous avez choisi de construire une usine avec un niveau d’automatisation maximum. Vous ne cherchez donc pas à tirer parti du faible coût de la main d’œuvre en Inde ?

Nous travaillons sur le long terme. Dans vingt-cinq ans, les différences de coût de main d’œuvre entre les pays auront une allure totalement différente d’aujourd’hui. Déjà, on voit des pays considérés récemment comme « low-cost » qui ne le sont plus. A terme, il y aura une convergence des coûts, alors installer aujourd’hui du matériel déjà ancien et être obligés de reconstruire l’usine dans cinq ans pour des questions de compétitivité, ça ne serait pas judicieux. Cette convergence des coûts, c’est d’ailleurs ce qui permettra de conserver à terme des usines en Europe. Nos usines françaises serviront le marché européen, notre usine chinoise la Chine, notre usine indienne l’Inde, etc.

Vous avez rencontré quelques difficultés à vous faire accepter par la population locale…

Quand le CCFD et les syndicats ont commencé à attaquer notre projet à Chennai, j’ai voulu me rendre compte sur place. J’ai été très impressionné par la qualité du travail accompli pour les populations locales. Ce que nous avons fait en Inde est sans doute ce qu’on a fait de plus poussé dans le monde en termes d’action sociale. En allant sur place, j’ai vu tous ces gens que l’on forme, que l’on soigne, à qui on apprend des langues, il y a en fait une incroyable adhésion des gens autour de l’usine. Alors, non, il ne me semble pas que nous ayons généré des dégâts économiques et sociaux…

L’Inde est souvent critiquée pour la difficulté que les entreprises y rencontrent pour faire des affaires. Est-ce une analyse que vous partagez ?

La complexité de l’Inde est réelle. Il faut du temps pour arriver à comprendre le pays, à bien y vivre. Au départ, Michelin connaissait peu l’Inde, on y vendait quelques pneus, c’est tout. Mais petit à petit, nous avons intégré des Indiens dans le groupe, nous nous sommes acclimatés. Il est clair qu’en Inde il y a, disons, quelques complexités administratives… Mais finalement, l’usine a sorti son premier pneu avec à peine quelques mois de retard sur le calendrier, c’est assez extraordinaire. On a eu tous les problèmes possibles, mais les coûts et les délais ont été respectés.

Pensez-vous déjà à un développement de cette usine ?

C’est une première étape vers une présence de Michelin beaucoup plus forte en Inde. Regardez ce que nous avons fait en Chine, au Brésil… Je n’imagine pas un instant que cette usine de Chennai reste la seule en Inde à l’avenir.

Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact