Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact

Incertitude électorale maximale pour l'Inde


Thèmes: Economie - Politique

Les Echos, 14 janvier 2014

Alors que le pays a besoin d'actions résolues pour redresser sa croissance, les élections du printemps s'annoncent très incertaines.

Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

Tout indique que 2014 va être une année charnière pour l'Inde : celle où l'on verra si la brutale dégradation de sa situation économique et politique intervenue depuis quelque temps n'est qu'un incident de parcours ou bien reflète une réalité plus profonde. La réponse n'a rien d'évident.

C'est peu dire que l'image de l'Inde s'est détériorée en quelques années. Vers 2005-2008, aucune perspective ne semblait trop brillante pour le deuxième pays le plus peuplé du monde. Son décollage économique le mettait sur les traces de la Chine et la seule question que l'on se posait était de savoir combien d'années l'Inde mettrait à rattraper son grand voisin.

Les choses ont bien changé. Depuis le début de la décennie, l'Inde s'enfonce dans la crise économique et politique et 2013 aura été une année noire. La croissance économique est en chute libre. Après 5 % de croissance pendant l'année fiscale 2012-2013 (à fin mars), l'exercice en cours fera peut-être encore un peu moins. Certes, 5 % de croissance peuvent sembler appréciables vu d'Europe, mais l'Inde s'était habituée les années précédentes à des chiffres supérieurs à 9 %. Et à son stade de développement, une croissance de 5 % ne suffit pas à répondre aux besoins d'investissement dans les infrastructures et à la pression démographique. Côté inflation, cela ne va pas mieux. La hausse des prix à la consommation reste au-dessus des 10 %, ce qui donne au pays un petit air de stagflation : croissance faible, inflation élevée. Le déficit budgétaire frôle les 5 % du PIB, et la roupie a subi l'été dernier une crise de défiance majeure, perdant plus de 20 % avant de se redresser un peu.

La bonne nouvelle de ce début 2014 c'est que l'économie indienne a touché le fond : personne ne s'attend à une poursuite de la détérioration. La moins bonne nouvelle, c'est que le redressement s'annonce laborieux. L'économie indienne va certes bénéficier de facteurs comme la reprise de la demande mondiale. Mais les attentes sont modestes. Pour l'année budgétaire 2014-2015, le broker CLSA s'attend à 5,2 % et Citibank à 5,6 %. D'ici à deux ans, la croissance pourrait revenir vers les 6 %. La vraie question, c'est de savoir si elle restera ensuite dans une fourchette entre 6 et 7 %, ou si elle retournera pour de bon dans la zone des 8 à 9 %.

Créé pour "balayer" les partis traditionnels, l'AAP fait trembler ces derniers et rebat les cartes du jeu politique.

Pour ramener la croissance à des niveaux correspondant aux besoins du pays, les remèdes sont connus. L'Inde doit s'attaquer aux multiples freins qui entravent l'activité : paralysie administrative, relance des projets d'infrastructures. La réforme de la fiscalité indirecte, avec la mise en place d'un système de taxation unifié créant enfin un « marché unique » entre les divers Etats indiens, est considérée comme une priorité. Le pays doit également lever les obstacles aux investissements étrangers, ce qu'il n'a fait à ce jour qu'avec réticence. Plus profondément, il lui faut traiter le problème de l'omniprésente corruption, qui explique bon nombre des difficultés actuelles.

Le point commun à ces réformes, c'est qu'elles exigent une forte action politique, tout le contraire de ce que l'on a vu durant l'actuelle législature : le gouvernement issu des élections de 2009, dirigé par le parti du Congrès de la famille Gandhi, s'est distingué par des années d'inaction avant de réagir modestement depuis un an face à l'aggravation de la crise.

Dans ce contexte, les élections générales qui auront lieu en avril ou mai prennent une importance considérable. De leur issue dépendra la capacité de l'Inde à réagir ou pas. Les deux partis nationaux en lice n'ont pas, à dire vrai, de stratégie économique très claire. Le Congrès a mêlé mesures de modernisation de l'économie et programmes sociaux très coûteux qui ont contribué à plomber les finances publiques. Le BJP, parti d'opposition représentant la communauté hindoue, mêle libéralisme économique et opportunisme politique. Il s'est par exemple engagé à fond contre l'ouverture de la grande distribution aux intervenants étrangers.

On peut certes penser que, si l'un de ces partis remporte une victoire claire et nette, le pragmatisme l'emportera. Même si aucun des deux n'éprouve beaucoup d'enthousiasme pour les réformes économiques, celui qui dirigera à New Delhi fera le nécessaire : les gouvernements indiens ont une tradition d'agir efficacement quand ils ont le dos au mur.

Encore faudrait-il savoir qui sortira vainqueur des élections. Pour le moment, le BJP, tiré par un leader charismatique Narendra Modi, a l'avantage. Le parti hindouiste a ainsi balayé le Congrès lors d'élections régionales fin 2013. Le parti au pouvoir rame loin derrière et n'a pas encore désigné son leader, qui sera vraisemblablement Rahul Gandhi, l'héritier de la dynastie, un homme sans charisme ni expérience. Mais le processus électoral indien est complexe et l'issue des scrutins repose généralement sur la mise en place de coalitions pas toujours prévisibles. En outre, un élément vient brouiller les cartes : la victoire spectaculaire remportée début décembre à Delhi par l'AAP, un parti voué à la lutte contre la corruption. Créé voici un an à partir de rien, ce parti dirige aujourd'hui la capitale de l'Inde et compte se présenter massivement lors des élections générales. Une perspective qui fait trembler les partis traditionnels. Le véritable risque de ces élections, c'est qu'elles ne dégagent pas de majorité claire et débouchent sur une coalition instable, peu à même de prendre des décisions difficiles. Dans un tel cas, l'année 2014 ne permettrait pas à l'Inde de lever les incertitudes qui pèsent sur ses perspectives de développement.


Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact