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Au palais des Delhi-catesses

 

Thèmes: Business - France-Inde

Enjeux Les Echos, 2 mai 2014

Deux millions d'euros investis, neuf boutiques, 114 salariés : le succès est au rendez-vous pour L'Opéra, cette boulangerie pâtisserie haut de gamme, créée dans la capitale indienne par une famille française atypique.

Patrick de Jacquelot
— à New Delhi

Demandez à n'importe quel habitant de New Delhi en quoi sa ville s'est améliorée depuis cinq ans, il vous répondra : « Le nouvel aéroport et le métro. » Posez la question à un Français, il ajoutera probablement : « Et l'opéra. » Non pas que la capitale indienne se soit convertie à la grande musique occidentale, qui demeure inconnue ici. L'Opéra en question est une petite chaîne de boulangerie très haut de gamme qui fait découvrir aux Indiens le pain et la pâtisserie français.


Familiale, comme le veut la tradition, cette boulangerie n'est pas tout à fait comme les autres. Trois ans après l'ouverture de la première boutique, elle en compte aujourd'hui neuf, emploie 114 personnes et a bénéficié de 2 millions d'euros d'investissement... 


Un petit coin de France dans la capitale indienne (photo L'Opéra)

Plus étonnant encore, L'Opéra est sans doute la seule boulangerie familiale au monde à disposer d'un conseil consultatif comprenant un directeur de McKinsey, un consultant spécialisé dans les start-up, le dirigeant export d'une entreprise high-tech, un spécialiste genevois du family business. Conseil qui se réunit une fois par mois par vidéoconférence, ses membres habitant les Etats-Unis, la France, la Suisse, l'Inde et Singapour... Si cette boulangerie est différente, c'est parce que la famille en cause est assez particulière elle aussi.


Tout commence en 2007 quand Laurent Samandari, étudiant en école de commerce, vient faire un stage en Inde où résident déjà sa soeur Caroline et son beau-frère Pierre, alors chez McKinsey. Ils seront bientôt suivis par leur père, Kazem Samandari, président pour l'Asie-Pacifique de la société israélienne de technologie médicale Given Imaging. Constatant l'absence d'une boulangerie française digne de ce nom dans la capitale, Laurent élabore un projet. La famille décide de s'y lancer collectivement, chacun apportant ses compétences, plutôt considérables : Kazem en est à sa quatrième start-up ; Caroline, avocate spécialiste des droits de l'homme, oeuvre pour le marketing, etc. Le jeune Laurent est entouré par un cercle familial qui s'élargit au fil des années et des ambitions : L'Opéra compte aujourd'hui douze actionnaires familiaux, plus un ami proche. L'actuel PDG, Pierre Nicollier, dix ans d'expérience chez Procter & Gamble, est un cousin germain de Laurent.

LA RELIGION DE L'EXCELLENCE

La clientèle indienne se laisse séduire (photo L'Opéra)

Autre particularité de la famille : elle appartient à la foi baha'i. Cette religion, apparue en Iran au XIXe siècle, compte 7 millions de fidèles dispersés dans le monde pour porter la bonne parole. Ils cultivent l'excellence, que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle.


D'excellence, il est donc beaucoup question dans la tribu Samandari. C'est simple, résume Kazem, qui préside le conseil d'administration de L'Opéra, « nous avons tout fait dans les règles de l'art ». Personne dans la famille ne connaissait la boulangerie ? Pas grave, « j'ai fait un stage en France pour observer les mécanismes de fabrication des produits », explique Laurent, le fondateur. Lui et ses proches ont passé l'essentiel de l'année 2009 à étudier la concurrence, à faire venir de France un chef pâtissier pour faire des essais dans les cuisines de l'ambassade de France (la famille a des relations), à tester les pâtisseries... Quand un conseil de famille a décidé de lancer l'opération fin 2009, c'est le meilleur équipement possible qui a été commandé en France pour le centre de production édifié dans la banlieue de Delhi. Quand il a fallu former le personnel indien, c'est un professeur de l'école Lenôtre qui est venu spécialement.


Le démarrage a été un véritable parcours du combattant, avant même que le magasin phare ouvre ses portes en mars 2011 à Khan Market, le marché le plus chic de la capitale. « Le mètre carré y coûte plus cher que sur les Champs-Elysées ! » s'exclame Kazem Samandari.

DÉLIRES BUREAUCRATIQUES

Un "centre de fabrication" suréquipé

La PME en création a dû affronter les mêmes problèmes que toutes les grandes entreprises qui s'installent en Inde. Les infrastructures, par exemple. Le défi continuel, « c'est la lutte contre la chaleur, indique Pierre Nicollier, le froid est un élément très important du processus de production de la pâtisserie ». Le centre de fabrication a donc dû être équipé de vastes chambres froides, de tables à la surface réfrigérée pour travailler la pâte, de systèmes de refroidissement amenant l'eau à la température exacte nécessaire pour élaborer la pâte. Et pour se prémunir contre les aléas de la distribution d'électricité, il a fallu doter L'Opéra de deux générateurs de secours et de deux systèmes d'air conditionné. Sans compter, vu la qualité de l'eau distribuée, un gros système de purification d'eau.


La boulangerie a aussi été confrontée aux délires bureaucratiques (les camions réfrigérés ne peuvent pas rouler dans Delhi pendant la journée, des conteneurs de produits frais se retrouvent bloqués par les douanes), aux moeurs discutables de certains professionnels (un collaborateur qui prélevait des rétrocommissions sur les fournisseurs et les salaires des employés), à la difficulté de trouver des cadres expatriés qui s'adaptent à l'Inde (L'Opéra en est à son troisième chef français). La question des approvisionnements s'est révélée cruciale : « Comme la qualité de la farine locale fluctue tout le temps, précise Kazem Samandari, nous sommes passés à la farine importée. » Le groupe fait donc venir de France les produits essentiels, beurre, crème, chocolat, si bien qu'il est affecté par la chute de la roupie. Au bout du compte, affirme le président de L'Opéra, « la vraie difficulté, c'est de maintenir la discipline, la qualité, la continuité ». Reste que le succès est au rendez-vous : « 70 à 80% des clients sont Indiens, se félicite Pierre Nicollier, c'est très important si l'on veut se développer. »


Aujourd'hui se pose la question de l'implantation dans une autre ville, comme Mumbai. Un saut complexe et coûteux, puisqu'il faudra bâtir un second ensemble de fabrication et de distribution, ce qui pourrait imposer l'entrée d'un partenaire extérieur. Pourquoi ne pas se contenter du marché de Delhi, que L'Opéra tient solidement ? Réponse de Pierre Nicollier : « Ce serait mal connaître la famille ! »

 

De quoi combler la nostalgie des expatriés... (photo L'Opéra)

CE QU'ON Y DÉGUSTE
Le produit phare
Le macaron arrive en tête, devant le millefeuilles ou le croissant aux amandes. Il serait une « perfection française », aux dires de deux bloggueuses indiennes (Delhi Style Blog), mais à un prix très français aussi : 125 roupies le macaron... l'équivalent d'un repas complet dans un petit restaurant !

Les interdits alimentaires
Ils sont nombreux en Inde, liés aux traditions religieuses. Fallait-il « indianiser » la carte comme le font nombre d'enseignes internationales comme Starbucks ou McDonald's ? L'Opéra se refuse à « faire des croissants au masala ». Seule concession : quelques quiches végétariennes et des cakes sans oeuf.


 

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