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Avec Narendra Modi, l'Inde a-t-elle trouvé son sauveur ?
Les Echos, 23 mai 2014
En votant en masse pour le nationaliste hindou Narendra Modi, les Indiens ont le sentiment d'avoir trouvé l'homme qui va sauver le pays. Encore faut-il savoir de quels périls l'Inde doit être sauvée.
Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi
Depuis le triomphe électoral remporté la semaine passée par le BJP, Parti nationaliste hindou, l'euphorie ne retombe pas. Ceux des Indiens qui ont donné à Narendra Modi, qui deviendra Premier ministre lundi, une majorité absolue à la Chambre basse du Parlement, ce qui ne s'était pas vu depuis trente ans, en sont persuadés : ils ont trouvé en lui l'homme providentiel, qui va sauver le pays de tous ses maux.
Modi lui-même ne fait rien pour décourager cette adulation. Pendant la campagne, le chef de file des hindous traditionalistes a eu de belles envolées : « Dieu choisit certaines personnes pour accomplir les tâches difficiles. Je crois que Dieu m'a choisi. » Quand il est allé déposer sa candidature pour le siège de Varanasi (Bénarès), la ville la plus sainte de l'hindouisme, sur les rives du Gange, il a affirmé que c'est « la déesse du Gange » [une déesse extrêmement importante dans le panthéon hindou, NDLR] qui l'a « appelé » à venir dans cette ville.
Avec de tels appuis divins, le futur Premier ministre peut asseoir son image de sauveur. La gamme des problèmes de l'Inde est telle qu'il n'a que l'embarras du choix quant aux domaines dans lesquels exercer sa mission. Il y en a un où il a déjà réussi magistralement : sauver l'Inde du Parti du Congrès. Sa victoire tient d'abord à l'extraordinaire rejet suscité par le gouvernement dominé par le Congrès des Gandhi et dirigé depuis dix ans par Manmohan Singh. Le bilan désastreux de ces dernières années en matière d'inflation, de croissance et de corruption, conjugué à la personnalité pour le moins déconcertante de Rahul Gandhi, l'héritier de la famille, a amené beaucoup d'électeurs à choisir « tout sauf le Parti du Congrès ». Narendra Modi était la seule option crédible.
Protection divine? (photo BJP) |
Débarrassés du Parti du Congrès, les électeurs attendent désormais que Modi tienne ses deux promesses principales : relancer la croissance, lutter contre la corruption. Sauver l'économie va être la priorité numéro un du Premier ministre, et le domaine où il a les meilleures chances de succès. Divisée par deux en quelques années, la croissance, actuellement sous les 5 %, était déjà attendue en reprise avant les élections. L'effet « retour de la confiance » va amplifier le phénomène. Dans l'immédiat, « on voit que Modi pose des diagnostics clairs sur les problèmes et les options disponibles pour élaborer les solutions », estime Nirupam Bajpai, professeur à l'université Columbia. Un certain nombre de mesures relativement « faciles » peuvent être mises en oeuvre très vite, dont le déblocage des projets d'infrastructures enlisés dans les méandres administratifs depuis des mois ou des années. Le lancement effectif d'une partie de ceux-ci pourrait avoir un impact sur l'activité et la croissance d'ici à un an ou deux. Fort de son plébiscite, Modi peut aussi espérer débloquer des projets législatifs attendus depuis longtemps comme la réforme des banques et des assurances, celle de la fiscalité, etc.
Sur le plus long terme, le succès est moins garanti. Sauver l'économie indienne de ses problèmes de fond est une tâche qui donne le vertige : doter le pays de bonnes infrastructures, d'une agriculture productive, d'une organisation de santé convenable et d'un système éducatif décent, développer fortement l'industrie et créer chaque mois 1 million d'emplois pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, c'est plus l'œuvre d'une génération que d'une législature de cinq ans.
Sauver le pays de la corruption sera moins facile encore. Les Indiens, qui la supportent de plus en plus mal, attendent énormément de Modi du fait de l'image de probité attachée à l'Etat du Gujarat, qu'il dirige depuis treize ans. Mais cette image est largement fallacieuse. Les hommes d'affaires locaux expliquent fort bien qu'ils sont soumis à la même corruption que partout ailleurs en Inde et que seuls les gros investisseurs extérieurs en sont exemptés. Complètement intégrée dans le système indien, la corruption ne peut pas être éliminée rapidement. La vie politique va être d'autant plus difficile à moraliser que la proportion d'élus faisant l'objet de poursuites criminelles a encore augmenté avec le nouveau Parlement : 34 %, contre 30 % il y a cinq ans.
Si l'espoir d'un redressement économique et d'une meilleure gouvernance est universellement répandu, le socle dur de l'électorat BJP a d'autres attentes. Pour les hindouistes fondamentalistes, l'Inde doit être sauvée d'un grave péril : le multiconfessionnalisme, la menace que la minorité musulmane (13 % de la population) fait peser sur la majorité hindoue (80 %). Ces militants purs et durs attendent du futur Premier ministre qu'il restaure la fierté et la grandeur de l'Inde. Pour eux, les soupçons qui entourent le rôle joué par Modi dans les massacres de musulmans intervenus au Gujarat en 2002, soupçons qui lui ont beaucoup nui pendant des années, sont à inscrire à l'actif de leur héros. Modi ne leur a rien promis pendant la campagne, ne s'est pas adressé à eux, mais son entourage a lancé des signaux. Le plus probable est qu'un succès économique fera oublier de telles revendications. Mais Modi peut se heurter à un problème de calendrier. « Les attentes des Indiens sont énormes, ils veulent du changement. Ils vont donner un petit peu de temps au gouvernement, mais ils voudront voir des résultats d'ici à un an ou deux », estime Nirupam Bajpai. Si, pour une raison quelconque, le redressement économique n'arrive pas assez vite, les tentations pourraient être grandes de céder aux vieux démons. Dans ce scénario pessimiste, il faudrait alors peut-être sauver l'Inde de son sauveur.
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