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L'Inde sur la voie d'un difficile redressement
Les Echos, 9 septembre 2014
Trois mois après le changement de gouvernement à New Delhi, la conjoncture indienne se redresse. Mais les indispensables réformes de fond sont encore à venir.
Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi
Un taux de croissance de l'économie qui bondit de plus de 1 % d'un trimestre à l'autre, voilà qui n'est pas banal en ces temps d'activité économique mondiale plutôt modeste. C'est pourtant ce qui vient de se produire en Inde : la croissance s'est établie à 5,7 % au deuxième trimestre 2014, contre 4,6 % au premier. La barre des 5 % est de nouveau allègrement franchie, pour le plus grand soulagement d'un pays habitué voici encore peu à une croissance de l'ordre de 9 % par an. Dans le même temps, la Bourse indienne est au plus haut : l'indice Nifty du National Stock Exchange a franchi pour la première fois le 1er septembre le seuil des 8.000 points, gagnant environ 28 % depuis le début de l'année. Baignant dans l'euphorie de la victoire électorale, en mai dernier, de Narendra Modi, le leader nationaliste hindou considéré comme « pro-business », les hommes d'affaires proclament leur optimisme retrouvé. L'Inde serait-elle donc tirée d'affaire, après plusieurs années de stagnation ?
Pas de doute, « les choses vont nettement mieux », affirme Rajat Kathuria, directeur général du think tank économique Icrier. D'abord, avec un retour de la confiance : « Les gens croient de nouveau à la croissance, aux réformes, la perception du risque a diminué », détaille-t-il. Ensuite, parce que « le gouvernement central et ceux des Etats recommencent à agir, tout cela crée un cercle vertueux ». Il est clair que l'économie indienne a touché le fond voici quelques mois. La crise de défiance qui avait frappé le pays il y a un an, avec des chutes de la roupie et de la Bourse de Bombay, a forcé le gouvernement de l'époque à prendre quelques mesures énergiques. La nouvelle équipe en tire les premiers bénéfices.
(Dessin Françoise Ménager) |
L'heure n'est pas pour autant à l'optimisme débridé. En témoignent les commentaires des agences Standard & Poor's et Moody's, qui toutes deux placent la note de l'Inde juste un cran au-dessus de la catégorie « junk ». S&P vient d'exprimer son « optimisme prudent » quant à l'évolution du pays. Soulignant le manque de détails sur les projets concrets du gouvernement pour relancer la croissance, l'agence ne semble envisager au mieux que de retirer la « perspective négative » qu'elle attache à la note de l'Inde, mais pas de relever celle-ci. Dans la pratique, les économistes considèrent que l'Inde est bien partie pour revenir progressivement à une croissance de 6 % ou un peu plus. Citibank prévoit 5,6 % sur l'ensemble de l'exercice à fin mars 2015 et 6,5 % l'année suivante.
Un tel redressement serait évidemment très appréciable, mais on resterait encore loin des 8 à 9,5 % observés voici quelques années, nécessaires si l'Inde veut sortir réellement de la pauvreté. Pour qui douterait de la gravité des problèmes du pays, il suffit de regarder le classement de la compétitivité que vient de publier le Forum économique mondial : l'Inde y est tombée en un an de la 60e à la 71e place. En 2009, elle était 49e… En cause, souligne le Forum, les performances calamiteuses du pays dans des domaines aussi fondamentaux que la mortalité infantile, la malnutrition, la qualité de l'éducation, les infrastructures, la bureaucratie, etc. Autant de secteurs où des réformes en profondeur sont attendues - précisément ce pour quoi Narendra Modi a été élu.
La consolidation de la reprise de l'économie indienne et, surtout, sa capacité à passer à la vitesse supérieure vont donc dépendre pour l'essentiel de l'action du nouveau Premier ministre. Un peu plus de cent jours après son arrivée, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Alors que tout le monde s'attendait à des initiatives spectaculaires et au lancement de réformes de fond, le nouvel homme fort de l'Inde fait quasiment profil bas. Il se concentre sur des problématiques internes à l'administration afin d'en améliorer le fonctionnement. Ainsi a-t-il supprimé les nombreux comités interministériels qui servaient à enterrer les dossiers, tout comme la Commission du Plan, vestige d'un passé socialiste révolu. Les instances chargées de veiller aux normes environnementales ont été largement privées de leurs pouvoirs, en raison des obstacles qu'elles mettaient aux projets industriels. Pour le reste, les initiatives de Modi demeurent modestes. L'annonce en grande pompe d'un objectif d'attribution de comptes bancaires à tous les Indiens pauvres ne fait que reprendre un projet ancien. L'ouverture de l'économie aux capitaux étrangers est carrément timide : le gouvernement veut porter le plafond des investissements étrangers dans les compagnies d'assurances de 26 à 49 %, comme ses prédécesseurs, mais n'a pas réussi à faire voter le texte pendant la session d'été du Parlement. Il a aussi porté de 26 à 49 %, par voie de décret, le plafond des investissements dans les entreprises de défense, sans que l'impact d'une telle mesure soit clair.
Cette prudence, qui colle mal avec la forte personnalité de Modi, est délibérée, estime Rajiv Kumar, économiste au Centre for Policy Research : « Dans une première étape, il se concentre sur l'amélioration de l'efficacité administrative, le temps de revenir à une croissance de 7 %. Ensuite, il s'attaquera aux décisions » nécessaires pour tirer la croissance plus haut. Retrouver des niveaux de croissance élevés va nécessiter « des réformes structurelles profondes », souligne pour sa part Rajat Kathuria, qui énumère, pêle-mêle, une réforme fiscale, une restructuration bancaire, une refonte du droit du travail, le développement de centres industriels… Des initiatives « politiquement très difficiles », estime l'économiste, qui ne croit pas au retour des 9 % de croissance « pendant les dix années à venir ».
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