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Amazon : l’atypique stratégie indienne du cyber-géant américain


Thèmes: Business

Les Echos, 8 octobre 2014

Le président-fondateur d’Amazon Jeff Bezos a passé une semaine en Inde où il a affiché de grandes ambitions sur un marché qui ne ressemble à aucun autre.

Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

L’Inde ? « Un pays qui déborde d’une énergie incroyable », où nous rencontrons « un succès étonnant », et qui est d’ailleurs « en piste pour devenir le pays où nous aurons atteint le plus vite le milliard de dollars de ventes brutes » : Jeff Bezos n’a pas lésiné sur les superlatifs lors d’une conférence donnée à Delhi. En Inde pendant une semaine, le président-fondateur d’Amazon, numéro un mondial de l’e-commerce, accueilli comme une superstar, a multiplié rencontres, manifestations publiques et interviews, avec un double message : ce pays est désormais une priorité stratégique de première importance pour Amazon et c’est un marché qui ne ressemble à aucun autre.

Un an après avoir démarré les opérations en Inde , « le goût du succès » est là, a lancé Jeff Bezos. Un succès tel que le groupe de Seattle a annoncé fin juillet un programme de 2 milliards de dollars d’investissements supplémentaires dans le pays. Un succès d’autant plus frappant qu’il correspond à « une approche unique en son genre », selon le légendaire patron. De fait, Amazon.in est sur la voie du milliard de dollars de volume d’affaires… sans qu’Amazon vende quoi que ce soit en Inde. Le site indien du géant américain n’est en effet qu’une place de marché où la totalité des vendeurs sont des PME ou des microentreprises, 11.500 à ce jour, pour lesquelles Amazon intervient comme pur prestataire de services. « Alors que les opérations de places de marché représentent 40 % de notre activité globalement, elles font 100 % en Inde », a expliqué Jeff Bezos.
  
Solutions innovantes

Jeff Bezos à New Delhi

Cette singularité tient à la législation indienne qui interdit tout investissement étranger dans le commerce en ligne. En revanche, la fourniture de services informatiques et logistiques et de plate-forme de transactions est autorisée. Mais dans cette réglementation très stricte, le groupe a voulu voir « une opportunité ». Pour attirer les petits vendeurs sur Amazon.in, il a dû « créer des solutions innovantes » qui remportent un tel succès, selon Jeff Bezos, qu’Amazon regarde maintenant « comment les exporter dans le reste du monde ».

Les services en question permettent de libérer les vendeurs de la gestion de la livraison et des relations avec les clients. Dans un pays où les contraintes logistiques sont très fortes et où il n’est, par exemple, pas question de livrer par la poste, Amazon propose « Easy ship » qui prend en charge le colis chez le vendeur et s’occupe du reste. Son programme « Fulfillment by Amazon » va encore plus loin puisqu’il assure également le stockage des produits dans les entrepôts du distributeur. Ces services permettent également aux vendeurs d’offrir à leurs clients le paiement en cash à la livraison, une prestation indispensable vu la méfiance qu’inspire le paiement par carte sur Internet. Parmi les innovations mises au point pour le marché indien, Jeff Bezos s’est aussi enthousiasmé pour « les équipes qui vont former les microentreprises au commerce en ligne, à l’utilisation des logiciels, à la construction d’un catalogue ».

Nouveaux centres de traitement des commandes

Les 2 milliards de dollars que le groupe compte investir dans le pays seront consacrés à de nouveaux centres de traitement des commandes, et aussi au développement d’outils de téléphonie mobile, a détaillé le patron d’Amazon, pour qui « la rapidité de la croissance du mobile en Inde est stupéfiante ». La grande majorité des connexions à Internet se font déjà sur téléphone, et c’est naturellement sur ce support que l’e-commerce va connaître ses principaux développements.

Sur un marché dont la croissance sur les trois années à venir est estimée par l’agence de notation Crisil entre 50 % et 55 % par an et où la pénétration du commerce en ligne est encore infime, les perspectives de développement d’Amazon justifient l’optimisme légendaire de son fondateur. A condition que le cadre réglementaire kafkaïen de la distribution en Inde ne lui mette pas des bâtons dans les roues. L’administration fiscale du Karnataka, l’Etat de Bangalore où le groupe a son siège, a lancé des procédures contestant le fait qu’Amazon interviendrait comme une pure place de marché.

 

Les opérateurs locaux se livrent une concurrence acharnée

Flipkart , l'acteur domestique qui domine le marché, vient de lever 1 milliard de dollars.

Flipkart, leader du marché en Inde, créé par des anciens d'Amazon

Lundi 6 octobre, il fallait aller à la page 5 du « Times of India » pour trouver le premier article. Les deux premières pages (et les deux dernières) étaient occupées par des publicités géantes de Flipkart, le leader indien du commerce en ligne, annonçant pour ce même jour des promotions géantes. Les pages 3 et 4 hébergeaient des publicités de son concurrent Snapdeal, affirmant que, chez lui, les meilleurs prix c'est tous les jours…

Cette débauche publicitaire le montre, le marché indien de l'e-commerce est très concurrentiel et n'a pas attendu l'arrivée d'Amazon. Et, disent les professionnels, « on n'a encore rien vu ! ». Le secteur est dominé par Flipkart, pionnier créé en 2007 par… deux anciens d'Amazon. Fonctionnant lui aussi sur le principe de la place de marché, Flipkart offre de multiples catégories de produits : livres, DVD, électronique, vêtements, articles de sport, équipement de la maison… Le site a dépassé le milliard de dollars de ventes (en valeur brute) en douze mois et, en l'absence de chiffres précis, on lui attribue une part de marché proche de 50 % dans l'e-commerce de marchandises (hors voyages). Confronté depuis un an à l'arrivée d'Amazon, le groupe, qui bénéficie de puissants soutiens de la part de fonds d'investissement comme Tiger Global Management ou le fonds souverain de Singapour GIC, a levé 1 milliard de dollars d'argent frais en juillet dernier. Il vient également de se renforcer considérablement dans le segment très porteur de la mode en achetant son concurrent Myntra pour 300 millions de dollars au mois de mai.

L'autre gros acteur est Snapdeal, qui bénéficie d'actionnaires prestigieux dont le groupe eBay mais aussi de grandes personnalités indiennes, Azim Premji (PDG de la SSII Wipro) et Ratan Tata (ex-PDG du conglomérat Tata), à titre personnel. Snapdeal a levé au printemps 100 millions de dollars supplémentaires.

Et la bataille ne fait que commencer. L'e-commerce pourrait voir bientôt débarquer les poids lourds de l'industrie : Tata, Reliance Industries ou Birla, présents dans la distribution classique, ont, dit-on, de grandes ambitions sur Internet. Enfin, nombre d'observateurs du secteur sont persuadés que le chinois Alibaba, fort de sa récente et triomphale introduction en Bourse à New York, lorgne l'Inde…

P. de J.

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