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Inde : les réformes de Modi attendront



Les Echos, 18 mai 2015

Arrivé au pouvoir il y a juste un an, le Premier ministre indien n’a pas réussi à ce jour à répondre aux gigantesques attentes qu’il avait fait naître. Les grandes réformes envisagées ne se sont pas matérialisées.

Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

C’est une décision que le gouvernement indien aura prise la mort dans l’âme. A quelques jours du premier anniversaire, le 16 mai, de sa spectaculaire victoire lors des élections générales de 2014, le Premier ministre a dû accepter de repousser le vote des deux réformes économiques phares sur lesquelles il comptait pour stimuler l’activité économique : la modernisation radicale de la fiscalité indirecte et une simplification des achats de terres pour l’industrie et les infrastructures. Confronté à une opposition résolue à la Chambre haute du Parlement, où le BJP, parti nationaliste hindou de Modi, est minoritaire, le chef du gouvernement s’est résigné à un renvoi des textes en commission, dans l’espoir d’un déblocage – au mieux – cet été.

Cette affaire va alimenter le sentiment de déception très répandu ces temps-ci dans les milieux d’affaires indiens et internationaux vis-à-vis de l’action d’un homme dont ils attendaient énormément. Chez les patrons indiens, cette déception se traduit par de rares déclarations publiques – le très respecté Deepak Parekh, président de l’établissement financier HDFC, a affirmé que « l’impatience montait » chez les chefs d’entreprise, étant donné que « rien n’avait changé » concrètement pour eux – et par de vives critiques en privé. Chez les étrangers, qui avaient massivement joué le changement politique à New Delhi et ont été ulcérés par une nouvelle vague de taxations rétroactives ces derniers mois, le changement de sentiment se traduit depuis peu par de gros désengagements de la Bourse de Bombay.

Le temps de changer de différence?

Ce n’est pas que le nouveau gouvernement indien n’ait rien à son actif. Il a mené à bien des enchères importantes de fréquences télécoms et de licences de mines de charbon, et a un peu libéralisé le régime des investissements directs étrangers, notamment dans la défense et l’assurance. Autre changement moins visible mais très important dans un pays à l’administration omniprésente : « dorénavant, les hauts fonctionnaires sont à leur bureau ! », soulignent les hommes d’affaires étrangers travaillant en Inde. Globalement, enfin, l’Inde profite d’une embellie conjoncturelle avec une reprise de l’activité favorisée par l’effet d’aubaine de la baisse des prix du pétrole.

Reprise modeste

L’ampleur réelle de la reprise demeure malgré tout modeste. Un problème majeur, souligne l’économiste Rajiv Kumar du Centre for Policy Research, tient à « l’échec de la relance de l’investissement privé. La distribution de crédits bancaires augmente à un rythme incroyablement faible de 3 à 4 %, contre plus de 20 % » il y a quelques années.

Narendra Modi a multiplié les effets d’annonce : programme de « cent villes intelligentes », un concept encore flou et peu financé ; ouverture de dizaines de millions de comptes en banque pour les populations défavorisées, mais qui demeurent majoritairement inactifs, etc. Les grandes réformes envisagées, en matière de législation sociale ou de refonte des subventions versées par l’Etat, ne se sont pas matérialisées : Narendra Modi s’est révélé extraordinairement prudent vis-à-vis de tout ce qui risquait de susciter une réelle opposition. Il a choisi une politique des petits pas « avec le risque de se trouver englué dans l’inertie bureaucratique », estime Rajiv Kumar.

S’il est un domaine, en revanche, où le nouvel homme fort de l’Inde n’a pas fait preuve de timidité, c’est pour tout ce qui lui a permis d’asseoir son autorité : marginalisation des ministres au profit d’un tout-puissant « bureau du Premier ministre », remplacement de très nombreux hauts fonctionnaires, sanctions administratives contre les ONG critiques envers la politique gouvernementale… Les ennemis de Modi lui reprochent enfin la passivité dont il a fait preuve vis-à-vis des éléments les plus radicaux du mouvement hindouiste dont les initiatives anti-minorités musulmanes ou chrétiennes suscitent l’inquiétude.

 

Les chiffres clefs du pays

7,5 % - TAUX DE CROISSANCE
de l’économie indienne prévu par la Banque mondiale pour 2015-2016 (année fiscale s’achevant fin mars), contre une prévision de 8,5 % par le gouvernement.

4,9 % - AUGMENTATION DES PRIX DE DÉTAIL EN AVRIL
La chute de l’inflation, qui évoluait autour des 10 % il y a encore un an, est spectaculaire. Elle résulte avant tout de la baisse des prix du pétrole.

–21% - CHUTE DES EXPORTATIONS
de marchandises par l’Inde en mars 2015 sur un an. Sur les douze mois de 2014-2015, le déficit commercial s’est dégradé à 137 milliards de dollars contre 135,8 milliards un an plus tôt, en dépit de la chute des prix du pétrole dont l’Inde est grosse importatrice.

3,9 % - OBJECTIF DE DÉFICIT BUDGÉTAIRE
pour 2015-2016 revu à la hausse par rapport aux 3,6 % initialement envisagés. La maîtrise des finances publiques est l’un des principaux défis auxquels est confronté le gouvernement.


Une diplomatie indienne devenue hyperactive

Narendra Modi, qui vient d’effectuer sa première visite en Chine, est allé y chercher, comme aux Etats-Unis ou au Japon, un soutien massif à ses projets de développement.

Modi tend la main à Xi... (photo indiatvnews.com)

Pour sa première visite en Chine, la semaine dernière, en tant que Premier ministre, Narendra Modi a pu se targuer d’une « victoire » symbolique sur son grand rival asiatique : pour la première fois, l’Inde affiche un taux de croissance supérieur à celui de la Chine, 7,5 % pour la première au dernier trimestre 2014 contre 7,3 % pour la seconde. Mais cette performance indienne n’aura guère impressionné le président chinois, Xi Jinping, tant la Chine domine l’Inde sur les plans économique, diplomatique et militaire.

Cette visite de Narendra Modi s’inscrit dans le cadre d’une impressionnante stratégie de rencontres diplomatiques au plus haut niveau déployée à un rythme d’enfer depuis un an. Le Premier ministre indien a reçu les chefs d’Etat chinois, américain et russe, s’est rendu aux Etats-Unis, au Japon, en Australie, en Allemagne, en France et au Canada, sans compter de nombreuses autres rencontres bilatérales ou multilatérales, notamment avec les pays voisins de l’Inde.

Cet activisme forcené, qui contraste avec l’effacement de son prédécesseur, Manmohan Singh, répond à au moins deux objectifs. Modi, qui appartient au parti nationaliste hindou BJP, veut proclamer à la face du monde que l’heure de l’Inde est arrivée et que son pays entend désormais jouer un rôle de premier plan dans les affaires mondiales. Simultanément, le chef du gouvernement veut aussi obtenir de ses interlocuteurs un appui à son programme de développement, sous formes de partenariats économiques ou technologiques, d’investissements, etc.

Un exercice d’équilibriste

Se projeter en grande puissance internationale tout en demandant de l’aide à ses partenaires peut être un exercice d’équilibriste. C’est particulièrement le cas avec la Chine. La volonté d’hégémonie de celle-ci en Asie inquiète New Delhi, d’autant que les deux pays ont de sérieux différends frontaliers. Les Indiens n’apprécient guère, non plus, le soutien indéfectible apporté par Pékin à leur frère ennemi pakistanais.

Mais Narendra Modi a choisi de minimiser les tensions avec la Chine pour privilégier le développement des liens économiques entre les deux pays. L’Inde a beaucoup à y gagner : pendant la visite, des accords commerciaux portant sur 22 milliards de dollars ont été signés, concernant notamment l’industrie et les infrastructures indiennes. New Delhi est particulièrement préoccupé par son colossal déficit commercial avec la Chine : en 2014, l’Inde a acheté pour 54 milliards de dollars à son grand voisin et lui a vendu pour 16 milliards…

P. de J.

Rajat Kathuria : « Les promesses de la campagne électorale ne pouvaient pas être tenues »

Selon le directeur général du think tank économique Icrier, l’action menée par le nouveau gouvernement n’est pas à la hauteur des attentes, et des réformes beaucoup plus radicales seront nécessaires.

Rajat Kathuria, économiste, directeur général du think tank Icrier

Un an après les élections, l’économie indienne se porte beaucoup mieux, mais un sentiment de déception est pourtant répandu. Comment expliquer ce paradoxe ?

Cela provient tout simplement des immenses attentes suscitées par les promesses formulées par M. Modi pendant la campagne électorale, promesses qui ne pouvaient pas être tenues. A l’aune de celles-ci, les réalisations effectives du gouvernement sont assez moyennes. Ils se sont rendus compte que mettre en place des réformes comme celle de la fiscalité indirecte, ça n’était pas un jeu d’enfant ! Cela dit, un an ça n’est pas long. On pourra mieux juger de ce qui a été fait à mi-mandat, deux ans et demi après les élections.

Qu’en est-il des grandes réformes que l’on attendait de la part de Narendra Modi ?

Ils n’ont rien lancé de réellement nouveau, ils ont simplement amélioré à la marge des programmes existants. Les campagnes pour l’Inde propre, l’inclusion financière ou l’Inde digitale, tout ça existait déjà. Le problème du gouvernement, comme pour ses prédécesseurs, c’est la mise en œuvre concrète de ces projets. Je ne crois pas, en fait, que ce gouvernement va lancer des réformes radicales. Mais si tout ce qu’il fait se met bien en place, l’effet cumulé sera similaire à celui d’un « big bang » de réformes. Ce que ce gouvernement fait bien, c’est de faire bouger les projets sur le terrain, relancer les constructions de routes, les projets de mines de charbon… Mais ça revient à traiter les symptômes alors que nous aurions besoin d’interventions chirurgicales !

Quelles réformes de fond seraient nécessaires ?

Il faudrait, entre autres, rebâtir complètement le dispositif des partenariats public-privé, qui ne fonctionne pas, en le dotant d’une autorité de régulation très forte. Il faudrait aussi traiter le problème de la fiscalité. Le gouvernement a besoin de fonds, il essaie d’en trouver en formulant des exigences fiscales exagérées (auprès des entreprises). Nous devrions vraiment régler les affaires de taxation rétroactive des investisseurs étrangers. Au-delà, pour pousser la croissance dans la zone des 10 %, il faudrait réformer la législation du travail, ce qui est politiquement difficile. Il y a également beaucoup à faire dans le registre de la propriété intellectuelle. L’Inde ne reçoit que 2,5 % des investissements mondiaux en recherche et développement contre 17 % ou 18 % pour la Chine, parce que nos règles de protection de la propriété intellectuelle sont considérées comme faibles.

Etes-vous optimiste pour les mois qui viennent ?

Quand le budget 2015-2016 a été présenté (en février), j’étais très optimiste parce qu’il me semblait qu’il y avait des objectifs clairs en termes d’investissement, de renforcement des infrastructures, etc. Mais l’atmosphère a changé depuis. La session parlementaire qui vient de s’achever a montré que le gouvernement a beaucoup de mal à faire passer des lois importantes. Aujourd’hui, les gens ont davantage tendance à voir le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein. Du coup, j’ai revu mes attentes à la baisse. J’attendais de Modi une forte capacité à mettre en œuvre les décisions, mais je suis déçu. Diriger un Etat (le Gujarat, dont Narendra Modi a été ministre en chef avec succès, NDLR) et l’ensemble du pays, ce sont deux choses bien différentes.

Propos recueillis par P. de J.

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