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EXPOSITIONS ASIATIQUES

Expo : le site des bouddhas de Bamiyan reprend vie à Paris


Thèmes: Culture - International

Asialyst, 3 novembre 2017

Le plasticien Pascal Convert présente une étonnante « reproduction » photographique du lieu symbole des destructions causées par les Talibans en Afghanistan.

Patrick de Jacquelot

C’est dans le lieu improbable que constitue un fond de cour du quartier du Temple, à Paris, que revit actuellement l’un des sites les plus symboliques de la folie nihiliste des Talibans. Celui des grands bouddhas de Bamiyan, dont la destruction en mars 2001 annonçait celle du World Trade Center de New York six mois plus tard. L’artiste Pascal Convert a rapporté d’un séjour en Afghanistan un exceptionnel travail photographique, exposé jusqu’au 19 novembre. « J’ai voulu montrer ce que les Talibans n’ont pas réussi » à détruire, explique-t-il à Asialyst.

Le visiteur qui pénètre dans la vaste salle de la Galerie Eric Dupont se trouve confronté à une immense photo : 1,66 mètre de haut, 16,5 mètres de long au total, découpée en quinze panneaux déployés sur trois côtés. L’ensemble montre la falaise de Bamiyan sur environ 1,5 km de long et 110 mètres de haut. La paroi rocheuse s’affiche avec une précision stupéfiante, montrant les centaines de grottes qui la parsèment et, bien sûr, les niches – vides – qui abritaient les deux bouddhas géants de 38 mètres et 55 mètres respectivement, célèbres dans le monde entier. Des bouddhas détruits à l’explosif par les Talibans le 11 mars 2001.

"À Bâmiyân" de Pascal Convert à la galerie Eric Dupont à Paris, 2017 (Copyright : galerie Eric Dupont, Paris)

La beauté sauvage du site, le mystère de ces quelque 750 grottes creusées à la main par les moines bouddhistes, la tragédie de la destruction de statues uniques au monde fascinent. D’autant plus que l’hyperréalisme de la photographie géante offre à l’œil une multitude inépuisable de détails auxquels s’accrocher.

En réalisant cette installation photographique, l’artiste plasticien Pascal Convert n’a pas cherché à montrer ce que les Talibans avaient fait mais bien au contraire « ce qu’ils n’ont pas réussi à faire », explique-t-il. « Certes ils ont détruit les grands bouddhas, mais il y a toujours une présence absolument dingue. On ne peut pas effacer le vide et le vide, c’est cette spiritualité qui a fait que les moines bouddhistes se sont installés là. » S’ils sont venus à Bamiyan et ont creusé ces centaines de grottes sanctuaires, « ça n’est pas pour rien, affirme le plasticien. Le choix du site est très particulier avec ce côté « bout du monde » : le monde s’arrête et commence à cet endroit-là. Malgré le geste des Talibans, cette spiritualité reste totalement présente. » Le site de Bamiyan, souligne Pascal Convert, subit en fait des destructions et des pillages « depuis très longtemps. Il se détruit lui-même avec l’érosion de la falaise… On est face à une destruction à la fois naturelle et humaine, volontaire et involontaire. »

"À Bâmiyân" de Pascal Convert
(Copyright : galerie Eric Dupont, Paris)

Pascal Convert dit également avoir été frappé dès le début par le parallèle entre la destruction des deux bouddhas et celle des tours jumelles de New York. « Il y a une correspondance dans les dates, le 11 mars 2001 pour Bamiyan et le 11 septembre 2001 pour le World Trade Center – soit un écart de six mois exactement. Ce qu’il y a d’assez étrange, c’est le monument qui a été fait à New York : deux trous gigantesques [sur l’emplacement des tours détruites]. Cette présence du vide dans le Mémorial du 11 septembre et sur le site des bouddhas crée une présence extraordinaire. Il y a une symétrie dans la destruction, il y a une symétrie dans ces monuments qui n’en sont pas. Il y a un rapport au vide et au sacré, poursuit l’artiste. Les Talibans sont très peu de choses face à cela. »

La réalisation d’une telle œuvre photographique dans l’Afghanistan d’aujourd’hui n’allait pas de soi. Pascal Convert s’intéressait à l’islamisme radical depuis des années : « J’avais écrit sur le sujet, sur l’utilisation d’un geste iconoclaste qui est en fait un geste de communication : on dit qu’on détruit des icônes mais en fait on produit de nouvelles images. C’est une stratégie de propagande » de la part des Talibans, explique-t-il. Cet intérêt lui a valu d’être invité en 2016 par l’ambassadeur de France de l’époque à Kaboul qui souhaitait faire venir quelques artistes et écrivains à l’occasion du quinzième anniversaire de la destruction des bouddhas. Pascal Convert a sauté sur l’occasion et a emmené avec lui deux techniciens de la société Iconem, spécialisée dans l’archéologie en zones de guerre. Leur séjour sur place s’est déroulé dans des conditions assez particulières : « C’est très compliqué d’aller là-bas. cela aurait été impossible sans l’ambassade, raconte l’artiste. Il y avait des gens du RAID avec nous, une présence armée en permanence. Nous nous déplacions dans des voitures blindées ! Nous sommes restés à peu près une semaine sur place. C’était beaucoup par rapport aux risques encourus. »

"À Bâmiyân" de Pascal Convert
(Copyright : galerie Eric Dupont, Paris)

Sur le plan technique, la réalisation de cette énorme photo a été rendue possible grâce à un matériel très particulier prêté par la société Cornis. « Il s’agit d’un appareil photo très sophistiqué, robotisé, conçu pour détecter les microfissures dans les pales d’éoliennes, précise Pascal Convert. Il permet une précision optique délirante, où l’on voit le moindre grain, le moindre caillou. Cette extrême précision est très importante pour faire sentir la notion de plan vertical, de temporalité, de lieu stratifié comme une coupe géologique ou comme un fossile. L’appareil photo est monté sur un pied robotisé et balaye le paysage. Chaque prise de vue fait 4 000 photos par passage. Ensuite, un algorithme redresse les verticales selon un système de tuilage [pour aboutir à une photo unique]. Mais évidemment, pendant ce temps-là, le ciel a bougé donc il faut faire une autre prise de vue qui donne encore 4 000 images… L’algorithme calcule le tuilage de façon à aboutir à une harmonisation de l’ensemble des prises, c’est assez complexe… »

Le plasticien Pascal Convert en Afghanistan en 2016
(Crédit : DR)

Enfin, comme l’artiste aime mélanger, dans son travail, « des techniques très contemporaines, high-tech, et des techniques anciennes, » il a eu recours, pour le tirage de la photo, à un procédé créé dans les années 1870, le tirage contact platine-palladium. L’intérêt de cette technique, explique-t-il, c’est que « le palladium est un métal lourd qui rentre dans le papier. Cela participe à cette étrangeté de l’objet en donnant une très grande présence, un peu comme un bas-relief. C’est ce qui produit cette espèce d’interface, où il y a quelque chose d’étrange, de sacré. »

L’exposition comprend également la projection d’un film de vingt minutes, Les enfants de Bamiyan, qui complète la vision du site en mettant l’accent sur les nombreux enfants qui vivent dans la vallée. Des enfants qui jouent dans les grottes du site et qui « imagineront peut-être la falaise elle-même comme le front gigantesque d’un personnage bienveillant encore sous la terre, et qui resurgira un jour dans une puissance qu’aucun pouvoir ne pourra plus contenir, » écrit Georges Didi-Huberman dans un livre d’artiste publié à l’occasion de l’exposition.

Extrait du film "Les enfants de Bâmiyân", 2017 (montage Fabien Béziat), 20 mn.
(Crédit : Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris)







A VOIR

Exposition Pascal Convert A Bamiyan, jusqu’au 19 novembre 2017, à la Galerie Eric Dupont au 138 rue du Temple, 75003 Paris.

 

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