Accueil |
Articles |
Photos |
Profil |
Contact |
L'ASIE DESSINÉE
BD pour l'été : quatre sagas d'aventures en Chine, au Japon et en Inde
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 9 juillet 2018
Pirates ou aventurières, trois femmes hors du commun nous invitent à des voyages mouvementés en Chine, au Japon et en Inde. Et une BD fleuve permet de s’initier au récit de cape et d’épées à la chinoise.
Patrick de Jacquelot
Quoi de mieux qu’une bonne série de BD d’aventures à emporter en vacances ? « L’Asie dessinée » a sélectionné pour vous quatre sagas historiques dont trois mettent en vedette des femmes au tempérament pour le moins explosif.
Prenez Shi Xiu, dont les aventures occupent quatre albums aux Éditions Fei (série terminée). La fiction écrite par le Français Nicolas Meylaender et dessinée par le Chinois Wu Qing Song s’inspire très directement de la vie incroyable de Ching Shih : une Chinoise du début du XIXème siècle qui se fit pirate et se retrouva à la tête d’une flotte de plusieurs centaines de navires employant des dizaines de milliers d’hommes. Une véritable armée qui lui permit de faire régner la terreur sur la mer de Chine, de mettre en échec les forces de l’Empire et de s’en prendre aux navires occidentaux. Le grand écrivain argentin Jorge Luis Borgès consacre même un article à cette femme dans son Histoire universelle de l’infamie sous le titre La veuve Ching, pirate.
Couverture de "Shi Xiu, reine des pirates, Tome 3 : L'appât", Éditions Fei (Copyright : Éditions Fei) |
L’héroïne de la bande dessinée Shi Xiu, reine des pirates* n’est pas, contrairement à la description qu’en donne Borgès, « une femme osseuse, aux yeux éteints, au sourire carié ». Il s’agit d’une somptueuse prostituée de Canton dont le charme conjugué à la redoutable intelligence font la conquête de Zheng Yi, capitaine d’une vaste flotte de pirates. Au point que Zheng Yi n’hésite pas à partager à égalité son pouvoir avec sa femme et à imposer cette dernière à des troupes peu habituées à obéir à une représentante du « sexe faible », expression particulièrement mal venue dans ce cas précis. Les quatre albums narrent la rencontre de Shi Xiu et du pirate, l’accession au pouvoir de la jeune femme, les rivalités internes dans le camp des pirates, les règles rigoureuses d’organisation et de comportement imposées par Shi Xiu ou encore les combats incessants contre les forces impériales. Dans le troisième tome, la « reine » se fait passer pour la femme d’un négociant portugais en détresse pour infiltrer la flotte britannique et organiser son attaque. Le dernier volume voit Shi Xiu assumer seule les pleins pouvoirs sur la flotte après le décès de son mari, avant de négocier finalement une amnistie générale avec l’Empire.
Bourrée d’action et de rebondissements incessants, la saga de la femme pirate se lit d’une traite. Sa personnalité exceptionnelle est finement développée, ainsi d’ailleurs que celle de son mari, amoureux fou, jaloux et totalement subjugué par l’intelligence de son épouse. Le dessin réaliste de Wu Qing Song sert admirablement le récit. On y trouve à la fois des reconstitutions de grande beauté des décors, navires et autres vêtements de l’époque, ainsi que de grandioses scènes de batailles.
Couverture et trois pages de "Shi Xiu, reine des pirates" |
Encore une femme pirate, mais au Japon cette fois : Tomoë** raconte l’histoire (complète en deux volumes) de Sayo, fille de pêcheurs au XVème siècle et descendante de la « déesse de l’eau » Tomoë qui, deux siècles plus tôt, avait formé avec le capitaine Yoshinaka un couple de guerriers à la réputation légendaire. Le descendant de ce dernier, nommé Yoshinaka lui aussi, est un pirate aux ambitions sans limite. Il capture la jeune fille pour la former au combat et en faire ensuite son épouse, afin de reformer le couple mythique et prendre le pouvoir dans le pays. Sayo, rebaptisée Tomoë, ne se prête à ces projets que contrainte et forcée, d’autant plus qu’elle est tombée amoureuse du fils de Yoshinaka. En parallèle sont racontées les intrigues de la Cour impériale où deux grands seigneurs ennemis jurés complotent l’un contre l’autre auprès du shogun. Dans une atmosphère étouffante, les luttes pour le pouvoir mènent petit à petit à la catastrophe finale de la destruction de Kyoto, avec au cœur de l’intrigue une femme redoutable, à la fois sœur de l’un des seigneurs rivaux, épouse de l’autre et maîtresse du shogun, qui fait appel à Tomoë et Yoshinaka pour exécuter ses noirs desseins.
Le récit, captivant, mêle habilement l’histoire de Tomoë et celle de cette période historique troublée. Le somptueux dessin de Tieko, qui va jusqu’à citer explicitement l’immense artiste japonais Hokusai, livre une multitude d’images spectaculaires : île des pirates, combats navals, affrontements entre samouraïs… Les extraordinaires scènes de guerre sous la neige du tome 2 semblent sorties tout droit des films de Kurosawa, Ran ou Kagemusha. Du drame individuel vécu par Tomoë à la grande aventure en passant par les complots politiques et un zeste de fantastique, une plongée dans le Japon médiéval.
"Tomoë", tome 2, couverture et pages 3, 7 et 8 |
Retour en France – au début du moins – avec la saga des aventures de Jolanne de Valcourt, Rani***. Là, il s’agit d’un récit dans la grande tradition du feuilleton, conçu en huit volumes dont six sont déjà parus (le septième est prévu début 2019). A l’origine de cette histoire échevelée, le scénariste vedette Jean Van Hamme (XIII, Thorgal, Largo Winch, etc.) a d’abord écrit Rani (« reine » en hindi) pour le scénario d’une série télévisée de France 2. Le récit a ensuite été adapté en BD par le scénariste Alcante et dessiné par Francis Vallès (qui avait déjà collaboré avec Van Hamme pour la série à grand succès Les maîtres de l’orge).
Dans cette histoire rocambolesque située au milieu du XVIIIème siècle, Van Hamme s’amuse avec tous les codes du feuilleton : enfant illégitime, traîtrises, assassinats, perte de mémoire, coups de théâtre incessants, méchants horriblement méchants, coïncidences monstrueuses, amours contrariées et même un zeste d’érotisme.
Jolanne est la fille illégitime (mais reconnue) du marquis de Valcourt. A la mort de son père, plein de bonté pour elle, elle se heurte de front à son demi-frère Philippe, héritier du titre, qui cumule toutes les tares imaginables : joueur, coureur, parricide ou traître à sa patrie. Accusée à tort par les soins de Philippe de ses propres actes de meurtre et de trahison au profit des Anglais, Jolanne est condamnée à mort. Sauvée par des brigands, elle partage leur vie un moment avant d’être capturée. Ayant dissimulé son identité, elle est condamnée à la déportation à Mahé, la colonie française aux Indes. Elle y est achetée par la maison close de l’endroit dont elle devient rapidement la directrice. Mais son passé français la rattrape et il lui faut s’enfuir. Elle mène un temps la vie d’une villageoise dans la campagne indienne avant d’être recueillie à Pondichéry par Jeanne Dupleix, l’épouse du gouverneur général des comptoirs français. Les choses pourraient s’arranger si l’arrivée de son demi-frère en tant que vice-gouverneur ne venait tout compromettre. Alors que Philippe de Valcourt entreprend de trahir une nouvelle fois la France au profit des Anglais qui montent en puissance en Inde, il exhume la condamnation à mort de Jolanne. A la fin du sixième tome, la jeune femme est sur le point d’être décapitée quand elle est sauvée par l’arrivée d’un puissant maharadja allié clé des Français qui, amoureux fou de Jolanne, exige de l’épouser. On devine que le tome sept, intitulé Reine, la verra parvenir effectivement au rang de souveraine indienne.
Rappelant fortement, dans son ambiance, la célèbre série Angélique, marquise des anges, Rani tient le lecteur en haleine par son rythme échevelé. S’il ne faut évidemment pas y chercher de vraisemblance, l’histoire s’appuie sur un solide contexte historique. La rivalité incessante entre la France et l’Angleterre tant en Europe qu’aux Indes sert de toile de fond aux aventures bondissantes de Jolanne, dont le caractère indomptable, la soif de liberté et la volonté de survivre coûte que coûte séduisent. Le dessin de Francis Vallès ressuscite toute une époque disparue : villes et paysages de l’Inde du XVIIIème siècle, temples de l’Inde du Sud, palais et harem des maharadjas. Surtout, on voit revivre dans les pages de Rani ce petit monde si particulier que constituaient les comptoirs français des Indes, où une microscopique population française s’efforçait de vivre comme en métropole au milieu d’un monde indien largement incompréhensible. Bref, une parfaite saga pour l’été.
Couverture et trois pages de "Rani" |
Pas de femme dans les rôles principaux de notre quatrième série : La légende du héros chasseur d’aigles**** est dominée par de multiples guerriers. Contrairement aux trois titres précédents qui s’inscrivent tous dans la tradition de la bande dessinée franco-belge (même quand le dessinateur est chinois !), celui-ci est un pur manhua, c’est-à-dire l’équivalent chinois du manga. Il s’agit de l’adaptation par le dessinateur Li Zhiqing du roman éponyme de l’écrivain Jin Yong. Ce dernier est un maître du wuxia, le roman de cape et d’épée chinois. La légende du héros chasseur d’aigles est un œuvre d’envergure : dix-neuf volumes sont prévus soit sans doute plus de 6 000 pages…
Difficile de résumer l’intrigue d’un tel ensemble sur la base des premiers tomes parus en français, d’autant plus qu’elle est extrêmement complexe. L’histoire se déroule dans la Chine du XIIème siècle. De nombreux combattants appartenant à des clans divers s’affrontent pour de multiples raisons : guerres, vengeances ou rivalités personnelles. Ces guerriers sont tous des maîtres du kung-fu sous des formes variées et leur virtuosité touche parfois au surnaturel. Qu’ils soient du côté des « bons » ou des « méchants », ils partagent tous une vénération pour leurs maîtres (ceux qui leur ont enseigné leurs techniques de combat), un sens de l’honneur très guerrier et, en général, une détermination absolue à venger la mort d’un parent ou d’un ami.
Leurs aventures se déroulent dans un contexte historique largement développé : la rivalité entre les dynasties Jin (au Nord) et Song (au Sud), la montée en puissance des Mongols. L’histoire montre d’ailleurs l’arrivée au pouvoir de Gengis Khan.
Pour le lecteur peu familier des manhuas, la lecture de La légende du héros chasseur d’aigles peut se révéler déroutante. Histoire très complexe, multiplicité de personnages aux noms difficiles à mémoriser, sans compter une construction graphique qui ne privilégie pas toujours la lisibilité comme on l’entend dans la BD européenne. Mais il faut se laisser emporter par le torrent de la narration. Et singulièrement par la virtuosité du dessinateur dont les scènes de bataille (innombrables) sont construites avec une dynamique et un sens du mouvement qui impressionnent.
Couverture et page de "La légende du héros chasseur d’aigles" |
* Shi Xiu, reine des pirates
Scénario Nicolas Meylaender, dessin Wu Qing Song
Quatre tomes, 48 pages pour chacun des trois premiers volumes, 72 pour le dernier
Éditions Fei
13,90 euros chacun des trois premiers tomes, 16,50 euros le quatrième
** Tomoë
Scénario Jack Manini, dessin Tieko
Deux tomes, 56 pages par volume
Éditions Grand Angle
14,50 euros le volume
*** Rani
Scénario Jean Van Hamme et Alcante, dessin Francis Vallès
Six tomes parus, deux à paraitre
48 pages par volume
Éditions Le Lombard
14,45 euros le volume
**** La légende du héros chasseur d’aigles
Scénario Jin Yong, dessin Li Zhiqing
Cinq tomes parus, quatorze à paraître
Entre 336 et 416 pages par volume
Éditions Urban China
19,95 euros le volume.
Accueil |
Articles |
Photos |
Profil |
Contact |