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L'ASIE DESSINÉE
Des BD pour Noël : Blake et Mortimer à Hong Kong ou bourlingueurs des Indes au Mékong
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 14 décembre 2018
De l’Inde à Hong Kong, les parutions de cette fin d’année couvrent une large partie de l’Asie, y compris des pays que l’on voit peu en BD comme l’Indonésie et le Laos.
Patrick de Jacquelot
Pour ados ou pour adultes, de la grande aventure au carnet de voyage, situés dans des pays très variés, les nombreux albums parus ces dernières semaines ont de quoi ravir les aficionados de l’Asie à l’heure des cadeaux de Noël. Très variés sur le fond, ce sont tous de fort beaux volumes, bien reliés et bénéficiant de très belles couleurs.
L’Indonésie a beau être l’un des plus grands pays d’Asie du Sud-Est, on voit peu de BD qui en viennent ou qui la choisissent comme cadre. On ne peut donc que se réjouir de la nouvelle publication de Rampokan*, longue saga située dans ce pays. Publiée initialement en deux volumes en bichromie au début des années 2000, la BD sort pour la première fois en une intégrale entièrement en couleurs.
Extrait de "La Vallée des Immortels", tome 1 "Menace sur Hong Kong", scénario Yves Sente, dessin Peter Van Dongen et Teun Berserik, Éditions Blake et Mortimer |
Le récit se situe en 1946. La Seconde Guerre mondiale est terminée mais les Pays-Bas, expulsés d’Indonésie par le Japon pendant la guerre, entendent bien reprendre le contrôle du joyau de leurs colonies. Dans une atmosphère extrêmement lourde, l’armée néerlandaise affronte les indépendantistes et leurs attaques terroristes, et pratique une répression impitoyable. Assez complexe, l’histoire suit des personnages variés : un jeune Hollandais né en Indonésie qui rêve de retrouver la nourrice qui a bercé son enfance, des militaires purs et durs qui ne veulent qu’écraser la rébellion, un magouilleur qui cherche à tirer profit du chaos ambiant ou encore un Néerlandais communiste militant pour l’indépendance du pays. Tous ces personnages se cherchent et s’affrontent en un jeu de faux-semblants : certaines identités sont dissimulées, leurs motivations ne sont pas forcément ce qu’elles paraissent être.
La sophistication de ce récit à tiroirs s’appuie sur une magistrale mise en scène : des baraquements de l’armée aux rizières, des bourgades poussiéreuses aux scènes de jungle, c’est toute une époque et tout un pays qui revivent sous le crayon de Peter Van Dongen. Néerlandais par son père et Indonésien par sa mère, l’artiste était à l’évidence bien placé pour traiter de ce sujet difficile.
"Rampokan", couverture et page 9 |
Dessinateur vedette actuel du style « ligne claire » à la Hergé ou à la Jacobs, Van Dongen vient en parallèle de reprendre le flambeau de la célébrissime série Blake et Mortimer. Le premier volume qu’il a dessiné, en collaboration avec son collègue Teun Berserik, séduira lui aussi les passionnés d’Asie puisqu’il se passe pour l’essentiel sur ce continent. Il s’agit de Menace sur Hong Kong**, premier volume d’un diptyque intitulé La Vallée des Immortels. L’histoire enchaîne directement sur la fin du Secret de l’Espadon, la première aventure de Blake et Mortimer. On y voit les autorités du Kuomintang en train de se réfugier à Taïwan pour fuir l’avancée des communistes de Mao, tandis qu’un seigneur de la guerre basé au Yunnan convoite un secret remontant aux tout débuts de l’Empire chinois pour asseoir son pouvoir. Dans ce contexte politique explosif, le capitaine Blake et le professeur Mortimer arrivent à Hong Kong pour aider à la protection de la colonie britannique menacée de toutes parts… Complètement fidèle à l’esprit et au dessin d’Edgar P. Jacobs, cet album enchantera les fans de la bande dessinée franco-belge traditionnelle.
"La Vallée des Immortels", tome 1, couverture et page 40 |
Quoi de plus à la mode que les bandes dessinées de reportage et de voyages lointains ? Si les BD consacrées à des pays exotiques envahissent depuis quelques années les bacs des libraires, pour la plus grande joie des lecteurs de « L’Asie dessinée », cette vague éditoriale ne fait pas l’affaire de tout le monde. Les aventuriers du Mékong*** met en scène deux auteurs de BD animalières qui, virés par leur éditeur parce que leurs histoires ne sont plus à la mode, décident de faire eux aussi un reportage dessiné. Et pour cela, ils choisissent un pays qui « n’a jamais été visité par ces hordes de dessinateurs avides et médiocres » : le Laos (ce qui n’est d’ailleurs pas exact, voir Un million d’éléphants et La longue marche des éléphants). Pour ces deux auteurs à la petite semaine qui n’ont jamais quitté le Tarn, l’expédition ne s’annonce pas de tout repos… Leur projet de descendre dans le sud du Laos à bicyclette en pleine saison des pluies se heurte aux réalités des intempéries ; les maisons coloniales françaises qu’ils visitent sont mangées par les termites ; leur chemin croise sans cesse celui d’un routard français pique-assiette qui pille leurs maigres ressources… Jusqu’à ce que leur canard de compagnie acheté sur un marché de Vientiane les lance dans une aventure à la Indiana Jones ! Cette parodie des BD de reportage dessinée dans un style caricatural se révèle carrément drôle et, mine de rien, fournit pas mal d’informations et d’images sur le Laos.
"Les aventuriers du Mékong", couverture et page 29 |
Un bon exemple de ces multiples reportages/carnets de voyage dont se moque – gentiment – Les aventuriers du Mékong est fourni par C’est décidé, je pars en Inde****, journal des six mois de séjour effectué dans ce pays par la Française Clara Viatelle. Cette chronique intimiste s’attarde beaucoup sur les sentiments personnels de la voyageuse et les menus détails de sa vie quotidienne. Il en ressort l’évocation d’une façon de voyager un peu déconcertante, où les jeunes routards occidentaux vont de restaurants pour jeunes routards occidentaux en dortoirs pour jeunes routards occidentaux, et où, à Amritsar, l’auteure ne « traîne pas » au Temple d’Or des sikhs (une des merveilles architecturales et spirituelles de l’Inde) parce qu’elle est pressée de rejoindre ses amis (qui n’y sont même pas allés) au « McDo végétarien d’â côté ».
"C’est décidé, je pars en Inde", couverture et page 24 |
Pour retrouver ce qui se fait de mieux en bande dessinée de reportage, rien de tel que de se replonger dans un classique, Bonjour les Indes*****,de l’explosif trio Dodo, Ben Radis et Jano. Ces auteurs-dessinateurs de choc du magazine Métal Hurlant de la grande époque avaient publié en 1991 cet album que Futuropolis vient opportunément de rééditer. Réalisé voici près de trente ans, à une époque où les infrastructures indiennes étaient encore fort primitives, leur reportage n’a pas pris une ride. L’album juxtapose des textes développés, parfois durs voire brutaux à l’égard de la réalité indienne, des pages de BD et des dessins pleine page. Leur style inimitable mêle caricatures (avec des personnages à têtes d’animaux) et décors extrêmement fouillés. Les paysages urbains, rues, gare ou ghâts de Bénarès, sont de toute beauté. Bourré d’informations, le livre offre également de vraies trouvailles comme la démonstration-dénonciation du système des castes par le jeu de l’oie… Explication : le jeu fonctionne comme un jeu de l’oie ordinaire, à ceci près qu’au préalable, un tirage de dé aura déterminé la « caste » de chaque joueur. A partir de là, chaque case du plateau de jeu se comportera différemment selon le joueur. Arriver sur la case « argent » permettra au joueur brahmane de prendre l’avion et d’avancer directement jusqu’à la case « hôtel » ; mais le joueur « intouchable » se verra, lui, accusé d’avoir volé l’argent et sera envoyé à la case « prison »…
"Bonjour les Indes", couverture et page 5 |
La très belle série Le sixième dalaï-lama****** s’achève avec la parution du troisième tome (lire la critique des deux premiers). Alors qu’approche le jour de son ordination, le jeune dalaï-lama est plus déchiré que jamais entre ses obligations et son amour de jeunesse. Ce récit conçu pour de jeunes ados garde jusqu’à la fin son charme et surtout ses remarquables qualités graphiques.
"Le sixième dalaï-lama", tome 3, couverture et page 25 |
De la grande aventure encore pour terminer, avec le début d’une série prometteuse, Shanghai Dream*******. Intitulé Exode 1938, ce tome 1 d’un ensemble qui en comprendra deux commence à Berlin en 1938. On y suit un couple de juifs allemands, Bernhard et Illo, qui, face aux persécutions nazies, rêvent de s’expatrier. Mais il est bien tard et il est devenu quasiment impossible d’obtenir un visa pour quelque pays que ce soit. Sauf… pour Shanghai, dernier territoire au monde à accepter les juifs allemands sans visa préalable. Encore faut-il y arriver… Bernhard, parti le premier, constate vite que le « rêve de Shanghai » tient beaucoup du cauchemar. La majeure partie de ce premier volume se passe en Allemagne, les dernières pages retraçant son arrivée en Chine. Le dessin réaliste sert un récit dur et prenant dont on attend la fin avec intérêt.
"Shanghai Dream", tome 1, couverture et page 52 |
* Rampokan
Scénario et dessin Peter Van Dongen
Aire Libre
176 pages
26 euros
** La Vallée des Immortels, tome 1 Menace sur Hong Kong
Scénario Yves Sente, dessin Peter Van Dongen et Teun Berserik
Editions Blake et Mortimer
56 pages
15,95 euros
*** Les aventuriers du Mékong
Scénario Marc Pichelin, dessin Guillaume Guerse
Delcourt
112 pages
18,95 euros
**** C’est décidé, je pars en Inde !
Scénario et dessin Clara Vialletelle
Hikari
208 pages
21,90 euros
***** Bonjour les Indes
Scénario et dessin Dodo, Ben Radis et Jano
Futuropolis
80 pages
20 euros
****** Le sixième dalaï-lama, tome 3
Scénario Shen Nianhua, dessin Zhao Ze
Editions Fei
104 pages
19 euros
******* Shanghai Dream, tome 1 Exode 1938
Scénario Philippe Thirault, dessin Jorge Miguel
Les Humanoïdes Associés
56 pages
14,50 euros
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