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POLITIQUE
Cinéma indien : les splendeurs de Bollywood au
Quai Branly
Thèmes: Culture |
Asialyst, 30 septembre 2023
Une grande exposition, « Bollywood
Superstars », jusqu’au 14 janvier au Musée du
Quai Branly, permet au public français de plonger dans
le tourbillon d’images, de couleurs et de musique qui
caractérise le cinéma indien, tout en explorant son
enracinement dans les pratiques culturelles
traditionnelles.
Patrick de Jacquelot
C’est
le triste sort du cinéma indien en France : presque
complètement inconnu, largement méprisé – et d’autant
plus méprisé qu’il est inconnu. Et pourtant, cette
prodigieuse fabrique d’images sort depuis plus d’un
siècle des films fascinants, inscrits dans une
approche cinématographique complètement différente de
la nôtre. La grande exposition « Bollywood
Superstars », histoire d’un cinéma indien qui
ouverte depuis le 26 septembre au Musée du Quai Branly
– Jacques Chirac, vient donc courageusement proposer
au public français de se lancer à la découverte de ces
films à nuls autres pareils. Avec une approche
« immersive » propre à séduire le plus grand
nombre.
(Photos copyright
: Patrick de Jacquelot) |
S’agissant d’une production du Quai
Branly, on ne trouve pas dans « Bollywood
Superstars » une approche systématique et
encyclopédique du (ou des) cinéma(s) indien(s). Le
visiteur n’y verra rien sur le passionnant cinéma
indépendant d’aujourd’hui par exemple et très
peu de choses sur les grands cinémas des divers États
du pays. L’exposition est centrée sur le cinéma
Bollywood (c’est-à-dire le cinéma réalisé à Bombay en
langue hindi pour le public du nord de l’Inde), la
façon dont il est apparu et s’est inscrit dans le
contexte culturel spécifique du pays, et dont il a
produit des stars qui « ne sont pas des dieux
mais sont plus que des êtres humains ».
« FAIRE SORTIR LES DIEUX DES
TEMPLES »
À cet égard, la première partie de l’exposition est remarquable. Les deux commissaires, Hélène Kessous, grande spécialiste du cinéma indien, et Julien Rousseau, responsable de la section Asie au Quai Branly, y montrent comment ce cinéma, apparu dès la fin du XIXème siècle, s’est inscrit dans un environnement marqué par de multiples arts narratifs populaires. Les conteurs qui allaient de village en village s’aidaient de multiples accessoires pour illustrer leurs grands récits mythologiques : rouleaux peints, boîtes à histoires dont les multiples panneaux mobiles révèlent petit à petit les épisodes successifs, théâtres d’ombres ou autres. Des exemples de ces différents objets, de toute beauté, sont proposés aux visiteurs, qui peuvent également admirer une lanterne magique ou un extraordinaire « bioscope » : une sorte de grosse boîte présentée dans les fêtes foraines, où les spectateurs regardaient par des trous sur le côté des scènes animées défilant à l’intérieur pendant qu’un tourne-disque donnait l’ambiance sonore. Précision abondamment soulignée par les organisateurs de l’exposition : ces divers arts populaires n’ont pas disparu avec l’avènement du cinéma et perdurent encore aujourd’hui (même si c’est à une échelle moindre). La tradition des rouleaux peints se maintient, par exemple, et l’exposition en montre représentant le tsunami de 2007 ou la construction d’un métro.
À l'entrée de l'exposition "Bollywood
Superstars" |
Boîte à histoire |
"Pichvai" représentant le dieu Krishna en train de danser au milieu d’un cercle d’adoratrices, et sur grand écran à droite, montage de séquences dansées de grands films |
|
Bioscope |
Bollywood reprenant les mêmes motifs |
Le cinéma de Bollywood s’inscrit ainsi
dans une continuité d’images. Une salle près de
l’entrée présente côte à côte un magnifique
« pichvai » (peinture de temple sur toile)
du XIXème siècle représentant le dieu Krishna en train
de danser au milieu d’un cercle d’adoratrices et, sur
grand écran, un montage de séquences dansées de grands
films Bollywood reprenant les mêmes motifs. « La
danse traditionnelle, soulignent les
commissaires de l’exposition, est un art narratif,
qui se poursuit dans les films. » Le
visiteur découvre également une autre source d’images
mythologiques ayant eu une « énorme influence »
sur le cinéma : les chromolithographies de Ravi Varma,
qui à la fin du XIXème siècle a inondé le pays de
représentations colorées des multiples dieux du
panthéon hindou.
Tout naturellement, ce sont les films à
thèmes mythologiques qui ont constitué le point de
départ du cinéma indien car ils permettaient de « faire
sortir les dieux des temples ». Les deux
immenses épopées que sont le Mahabharata et le
Ramayana ont inspiré de multiples cinéastes
dès l’origine et jusqu’à nos jours. Des écrans
présentent notamment des extraits des feuilletons
télévisés des années 1980 adaptant ces récits, qui
avaient suscité un engouement difficilement imaginable
: à l’heure de leur projection le dimanche matin, les
trains s’arrêtaient, dit-on, pour que les passagers
puissent aller regarder le spectacle !
EXPÉRIENCE TOTALE
Le parcours se termine sur une évocation des superstars actuelles de Bollywood. Un triple grand écran projette un montage dynamique d’extraits de films à grand spectacle en une véritable explosion d’images. Et des silhouettes géantes des stars entourées d’ampoules comme dans les rues indiennes saluent les visiteurs proches de la sortie.
L’aspect le plus séduisant de l’exposition tient à l’approche résolument « immersive » de sa scénographie. Des écrans disposés un peu partout permettent de regarder de nombreux extraits de films, souvent à proximité immédiate des objets dont ils s’inspirent. Une petite salle en dôme projette sur toutes ses parois un véritable kaléidoscope d’images de danse. La grande tradition du cinéma de quartier à écran unique, « temple » dans lequel les Indiens se sont rendus des décennies durant pour regarder les films, est évoquée avec la reconstitution d’une mini-salle. Là, les visiteurs peuvent s’asseoir sur les rangées de fauteuil pour y regarder quelques extraits de Sholay : un monument du cinéma Bollywood, transposition en Inde des westerns occidentaux avec des scènes entières reprises plan par plan de Il était une fois dans l’Ouest, un film de légende qui a vu émerger le monstre sacré qu’est Amitabh Bachchan. Enfin, un « studio Bollywood » permet aux visiteurs de danser au milieu d’une scène de film avec leur image qui s’y inscrit. Autant de manières ludiques de donner aux visiteurs occidentaux un petit aperçu de la façon dont les films Bollywood sont vécus en Inde : une expérience totale, visuelle et sonore, dans laquelle le spectateur s’immerge complètement.
Costumes en
vitrine et sur écrans |
Reconstitution
d'une salle de cinéma de quartier |
Projection
d'extraits de films à grand spectacle sur
triple grand écran |
Silhouettes géantes des stars de Bollywood comme dans les rues indiennes |
On peut bien sûr regretter l’absence de thèmes importants comme le cinéma indépendant, ou encore celui des relations sociales telles qu’elles apparaissent dans les histoires d’amour des films Bollywood. On peut aussi rester sceptique face au bref « intermède » au milieu de l’exposition, consacré à Satyajit Ray : le réalisateur bengali, auteur de films réalistes à la mode occidentale, n’a strictement rien à voir avec Bollywood et sa présence ne semble justifiée que parce que c’est le seul réalisateur indien connu et apprécié des cinéphiles français.
L’essentiel n’est pas là : l’exposition donne avant tout au public l’occasion de se plonger dans le tourbillon d’images, de couleurs, de musique et de danse qu’offrent les films de Bollywood. En sortant du quai Branly, tout amateur de cinéma normalement constitué devrait se ruer sur Netflix ou les sites de téléchargement de films à la découverte de quelques pépites indiennes.
À VOIR
Exposition « Bollywood Superstars, histoire d’un cinéma indien », jusqu’au 14 janvier 2024, du mardi au dimanche, au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, 37 quai Branly, 75007 Paris. L’exposition s’accompagne d’un programme culturel et cinématographique.
Renseignements à consulter ici.
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