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LIVRES D'ASIE DU SUD
Littérature indienne : Le cheval en feu
d'Anuradha Roy, poterie et tourments intimes
Thèmes: Culture |
Asialyst, 14 février 2024
Dans son nouveau roman, Anuradha Roy tresse une
intrigue mélancolique autour d’un potier hindou et de
son amoureuse musulmane. Fin et touchant.
Patrick de Jacquelot
L’auteure indienne Anuradha Roy
commence à être bien connue en France où plusieurs de
ses livres ont été publiés, dont le plus marquant, Sous les lunes
de Jupiter. Dans son nouveau roman, Le
cheval en feu, elle explore de nouveau la
complexité des relations et des sentiments de
personnages qui ont bien du mal à s’affirmer face aux
contraintes multiples et étouffantes imposées par
leurs communautés et les normes sociales.
Le cheval en feu comprend deux récits
enchevêtrés. Dans le premier, une jeune Indienne,
Sara, arrive dans une université britannique où elle a
reçu une bourse. Elle supporte mal le déracinement, le
froid, l’humidité et surtout la solitude totale dans
laquelle elle tombe. Seule éclaircie : les heures
qu’elle passe dans un atelier de poterie, où elle
retrouve les techniques apprises jadis en Inde. Ses
souvenirs d’enfance mènent au deuxième récit, centré
sur Elango, l’homme qui lui a enseigné l’art de la
poterie bien des années auparavant.
L'écrivaine
indienne Anuradha Roy (Source : Les Echos) |
On peut croire un moment que le roman va alors s’orienter vers le schéma classique de l’explosion de violence communautaire avec assassinat des « coupables », c’est-à-dire le sculpteur hindou et son amie musulmane. Ce n’est en fait pas tout à fait le cas. Bien sûr, violence il y a : la maison d’Elango est brûlée, le cheval géant qui faisait l’admiration des foules est détruit. Mais le couple d’amoureux peut s’enfuir et se construit une vie paisible ailleurs. Des années plus tard, Elango, reconnu comme maître potier, fera même une « tournée » en Angleterre où Sara le retrouvera.
Au-delà d’une intrigue toute simple, c’est dans la description de ses personnages et de leurs tourments intimes qu’excelle Anuradha Roy. Des personnages qui ont bien du mal à trouver leur place. Cœur simple qui ne s’intéresse pas aux normes sociales ni aux préceptes religieux, Elango ne peut se résoudre à admettre que sa liaison amoureuse avec Zohra est inacceptable pour la communauté : « Il lui était impossible d’imaginer une vie sans Zohra. C’était insupportable. Mais il n’osait pas non plus imaginer une vie avec elle. C’était inconcevable. » Tout à sa naïveté, il pense d’ailleurs que personne n’est au courant de sa liaison, alors qu’elle défraie la chronique locale…
Sara, pour sa part, flotte entre les cultures. Hindoue,
elle a fait ses études en Inde dans une école musulmane
– une bizarrerie qui n’est pas expliquée – et voilà
qu’elle se retrouve dans une Angleterre déprimante à
étudier les vers de Milton qui n’ont aucune
signification pour elle. Sa solitude est d’autant plus
complète que ses relations avec sa sœur Tia, jadis
excellentes, se sont distendues et qu’elle a le plus
grand mal à communiquer avec sa mère. Détail
significatif, cette dernière n’arrive pas à lui écrire –
le récit se passe à une époque où l’on communiquait
encore par lettres – alors même qu’elle est journaliste
! Sara vit en fait beaucoup dans le souvenir de son père
décédé. En travaillant l’argile dans son club
universitaire anglais, elle rétablit un lien avec sa
ville d’origine et plus encore avec son père, passionné
de géologie, à qui elle s’adresse en tournant ses
pièces.
Les autres personnages du roman ne sont pas plus
« à leur place ». C’est le cas de Karin Wang,
la seule amie que se fait Sara dans son université.
Karin vient de Malaisie. Athlète très douée, elle a
obtenu une bourse de sportive de haut niveau et subit la
pression incessante de son père qui rêve d’en faire une
championne olympique. Alors même que cela n’intéresse en
rien la jeune fille qui ne rêve que d’une chose :
piloter des avions. Quand Karin se découvre une passion
pour une autre étudiante, qui ne lui rend pas du tout,
la voilà rejetée par ses camarades : avec moins de
violence, certes, que pour Elango, mais avec en
conséquence là aussi un isolement dévastateur.
Outre les tourments de ses personnages, Anuradha Roy
nous livre de belles évocations du cadre dans lequel ils
évoluent, dont surtout la petite ville d’où viennent
Elango et Sara. Le grouillement des rues, les petits
commerces, les différents quartiers prennent vie, ainsi
que leurs habitants. L’auteure frappe juste avec des
tirades comme celle lancée par un commerçant à une
voisine d’Elango, sur le passage du père de Zarah :
« Il est allé voir travailler son futur gendre…
Prépare-toi à voir débarquer des mangeurs de bœuf à
côté de chez toi, Akka. Et aux prières cinq fois par
jour. Les mollahs arrivent dans ton quartier. »
Le genre de « plaisanteries » incendiaires qui
finiront par mener au déchaînement de violence contre le
couple transgressif. Et puis il y a aussi un personnage
à part entière inattendu : le chien Chinna, adopté par
toute la ville, le seul être à pouvoir se mouvoir
librement entre toutes les communautés…
Sans avoir la force de Sous les lunes de Jupiter,
Le cheval en feu, qui se présente par moments
comme un petit traité de poterie, art que pratique
l’auteure, est un roman plein de finesse et de
mélancolie, à savourer délicatement.
A LIRE
Le cheval en feuAnuradha Roy
Traduction de Myriam Bellehigue
272 pages
Actes Sud
22,50 euros
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