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LIVRES D'ASIE DU SUD

Littérature pakistanaise : du sort des femmes dans les hauteurs de l’Himalaya


Asialyst, 28 septembre 2024

La romancière pakistanaise Feryal Ali-Gauhar livre avec Mille et une roses sauvages une fascinante plongée dans les mentalités d’une petite communauté à la frontière entre le Pakistan et l’Inde.

Patrick de Jacquelot

C’est dans un univers profondément dépaysant que nous transporte Mille et une roses sauvages, le roman de l’auteure pakistanaise Feryal Ali-Gauhar : celui de la haute montage, les régions de l’Himalaya où vivent des communauté isolées. Plus précisément dans le Karakoram, cette zone du nord-est du Pakistan aussi inhospitalière que stratégique puisque frontalière de l’Inde et de la Chine.

L’action de ce roman puissant se déroule ainsi dans le village de Saudukh Das. Un village souvent complètement isolé, que ce soit par la neige l’hiver ou par les glissements de terrain le reste du temps. Dans cette petite communauté, on n’ignore pas complètement la modernité : on reçoit plus ou moins bien la télévision et l’on a des téléphones portables – sauf durant les nombreuses coupures de réseau. Mais l’irruption du monde moderne s’arrête à peu près là : le mode de vie et, surtout, les mentalités, n’ont pas évolué depuis bien longtemps.

Autour d’un incident relativement mineur – la découverte d’un parfait inconnu gravement blessé par la chute d’un arbre -, Feryal Ali-Gauhar nous plonge dans cet univers clos et brosse une série de fascinants portraits.

(Source : UP)
Dans cette micro société patriarcale, tout tourne autour des hommes qui pèsent de tout leur poids sur les femmes de leur entourage, même et parfois surtout par leur absence. Car des hommes, on en manque beaucoup à Saudukh Das. Dans une région dépourvue de la moindre opportunité économique, leur seule ressource est généralement de s’engager dans l’armée. Guerres ouvertes parfois avec l’Inde, escarmouches plus ou moins continuelles, accidents fréquents, le métier n’est pas de tout repos. Si bien que les femmes du village comme Zarina, l’infirmière dont le mari sert dans l’armée, vivent dans la terreur de voir arriver une jeep porteuse de très mauvaises nouvelles. De fait, il y a les hommes qui ne sont plus là parce qu’ils sont morts : la disparition de ses deux fils soldats dans un accident a creusé un trou béant dans la vie de Moussa, le chef du village. Et aussi les hommes manquants parce qu’ils ne sont pas nés : Naoushad ne se remet pas du déshonneur de n’avoir que des filles.

Du coup, quand les hommes sont présents, cela ne vaut guère mieux. Naoushad, justement, abject et pathétique, drogué au sirop pour la toux, reporte sa rage permanente sur son épouse Koulsoum, incapable d’engendrer un enfant mâle, et fait de sa vie un enfer. Moussa, le chef, l’homme riche du village, a les moyens d’avoir trois épouses. Mais le vieil homme traite en véritables esclaves ses deux épouses les plus âgées, tandis qu’il dorlote sa très jeune et très jolie troisième épouse, une fille qui n’a pas eu d’autre choix que de se vendre à lui.

Face à cette quasi-malédiction masculine, les femmes font ce qu’elles peuvent. Zarina l’infirmière se dévoue sans limite au service de la communauté et tente de protéger autant que possible ses voisines et amies. Résignées à leur sort, les deux épouses aînées de Moussa réagissent – un peu – quand il s’en prend violemment à sa fille Sabiha. Cette dernière, adolescente, suscite en effet une crise majeure dans sa famille quand il apparaît qu’elle a reçu une lettre d’amour et qu’elle refuse d’en dénoncer l’auteur à son père. Fou de rage, hurlant au déshonneur familial, le chef du village enferme sa fille dans une remise et refuse de la laisser sortir tant qu’elle n’aura pas cédé. De quoi pousser Sabiha à un geste désespéré. C’est également l’irréparable que commet Koulsoum quand elle apprend que le nouveau bébé qu’elle porte en elle est une fois de plus une fille : terrorisée à l’idée de la réaction de son mari, elle préfère prendre les devants…

En dépit de la violence des relations ainsi décrites, le portrait des personnages n’est pas manichéen. C’est particulièrement notable dans le cas de Moussa. Le chef du village a beau mépriser ses épouses et maltraiter sa fille, il n’en est pas moins « un homme bon » aux yeux de l’infirmière, pourtant la plus ouverte au monde moderne de la communauté, qui admire le mal que Moussa se donne pour tenter de sauver l’inconnu blessé. Un homme bon, donc, « même s’il se montrait dur avec ses épouses les plus âgées. Mais il en allait ainsi dans ces contrées : les femmes étaient interchangeables, tout juste bonnes à servir les hommes et à enfanter des fils. Un fait aussi incontestable que les tempêtes en hiver ». Le sort des femmes, précise d’ailleurs l’auteure dans ses notes finales, tient notamment au fait qu’en envoyant les filles à l’école on leur ouvre une fenêtre sur le monde, mais qu’on ne leur ouvre pas une porte leur permettant d’y accéder.

Tous les hommes décrits dans Mille et une roses sauvages ne sont d’ailleurs pas des personnages négatifs. De fort belles pages sont consacrées à l’amitié et la solidarité qui lient deux soldats qui séjournent dans des conditions effroyables dans un poste d’observation de l’armée tout en haut du glacier et la manière dont ils survivent, tout juste, à une terrible tempête. L’occasion de découvrir comment se passe sur le terrain la guerre de positions qui oppose le Pakistan et l’Inde depuis des décennies sur les hauteurs de l’Himalaya. Une guerre surréaliste dans des régions littéralement inhabitables. « Comment s’en sortirait-il tout seul dans les conditions extrêmes de ce poste avancé, se demande l’un d’eux, le dernier d’une série de bases de haute altitude où des hommes observaient d’autres hommes, de part et d’autre d’une frontière invisible, attendant de voir qui mourrait en premier ? »

De fait, le roman livre aussi un beau portrait de cette région de montagne où la nature est aussi belle que cruelle. Cette nature s’exprime d’ailleurs directement dans le livre. Entre les chapitres s’intercalent de brefs textes où l’on voit les « esprits de la nature » commenter avec consternation les agissements des humains et les dégâts qu’ils causent à leur environnement. Des textes qui puisent apparemment dans les fonds d’anciennes croyances locales et qui ne sont pas facilement accessibles aux lecteurs occidentaux, faute d’en détenir les clés.

Aussi dépaysant par son cadre géographique que par l’univers mental de ses personnages, Mille et une roses sauvages vient enrichir le rayon peu fourni des romans pakistanais parus ces dernières années, parmi lesquels on peut rappeler les excellents La huitième reine et Embrasements.

A LIRE
Mille et une roses sauvages
Feryal Ali-Gauhar
Traduction d’Emmanuelle Guez
352 pages
Editions Paulsen
22 euros

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