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L'ASIE DESSINÉE
BD : Face à la répression chinoise au Xinjiang
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 16 mai 2025
Erkin Azat, lanceur d’alerte des camps
ouïghours retrace la prise de conscience
progressive et les combats d’un habitant du Xinjiang
confronté à la violence des autorités chinoises. Destins
coréens évoque le triste sort des mères
célibataires coréennes qui se retrouvent au ban de la
société, obligées d’abandonner leurs enfants.
Patrick de Jacquelot
Une
dénonciation implacable du système répressif mis en
place par la Chine au Xinjiang : c’est ce que propose le
roman graphique Erkin Azat, lanceur d’alerte des camps
ouïghours* sous forme d’une autobiographie d’un membre
de la communauté turcophone du Xinjiang devenu
journaliste lanceur d’alerte et réfugié en France.
Appelé Riiem dans le livre, le jeune homme est né en
Chine dans la région du Xinjiang peuplée surtout par les
Ouïghours mais aussi par une importante minorité
turcophone. Une population qui se retrouve dans
différents pays d’Asie centrale, au premier chef le
Kazakhstan. Au début du récit, Riiem travaille dans ce
dernier pays, en expatrié donc, pour le compte d’un
groupe pétrolier chinois. Alors qu’il passe la
frontière, les douaniers chinois fouillent son
ordinateur et y trouvent des recherches effectuées par
lui sur Wikipédia à propos de l’ancienne République
indépendante du Turkestan Oriental qui s’était étendue
jadis sur une partie de l’actuel Xinjiang. Il n’en faut
pas plus pour le faire soupçonner d’indépendantisme… Le
voilà arrêté et soumis à des journées d’interrogatoires.
Questions sur sa famille, ses amis, son éducation, les
pratiques religieuses de son entourage… En l’absence de
tout élément compromettant chez ce jeune homme qui n’a
jamais fait de politique, il est relâché mais après
avoir été contraint de faire des aveux bidon devant une
caméra et avoir été fermement prié de devenir
informateur de la police chinoise sur la communauté
ouïghoure au Kazakhstan.
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Double page de 'Erkin Azat, lanceur
d’alerte des camps ouïghours', scénario
Erkin Azat, dessin Luxi, Delcourt
(Crédit Delcourt)
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Tout ceci l’amène à se lancer sur les réseaux sociaux, sous le pseudonyme d’Erkin Azat, avec des articles sur la répression au Xinjiang. Cette initiative rencontre un grand succès : il reçoit en particulier de multiples témoignages sur les nombreux « camps de rééducation » où sont internés Ouïghours et turcophones sous les prétextes les plus futiles. Son action se développe ensuite avec la création d’une association d’entraide qui se fait connaître de la presse internationale. Rencontrant de plus en plus d’écho, ses initiatives finissent évidemment par le mettre en danger : il fuit le Kazakhstan, décidément trop proche de la Chine, et se réfugie en France en 2019.
Tout au long de ce copieux volume, Erkin Azat décrit les mécanismes de l’oppression qui frappe les habitants du Xinjiang. De multiples anecdotes illustrent l’ampleur d’un phénomène qui n’épargne rien ni personne. Ce sont des enfants de la communauté turcophone qui parlent chinois en jouant dans la rue parce que si leur professeur passe et les entend jouer en kazakh ils auront de mauvaises notes. Ou encore une vieille dame incarcérée pour le crime de ne pas parler chinois. Quand un collègue de Riiem est arrêté, les Chinois refusent de le libérer parce qu’ils « n’ont pas d’éléments suffisants pour prouver qu’il ne participe pas à des activités suspectes. » Bel exemple de renversement complet de la charge de la preuve.
Centré sur la personnalité d’Erkin Azat, avec son histoire familiale, ses cas de conscience et ses états d’âme, le récit est très humain. Il n’en comporte pas moins également un contenu informatif important, avec des développements historiques sur les périodes troublées du XXe siècle dans cette région coincée entre la Chine et l’URSS. Le livre est mis en image par Luxi, une Chinoise installée en France, auteure par ailleurs du remarquable Les enfants du rêve chinois, chronique de la Chine rurale d’aujourd’hui, entre conservatisme de la société et paranoïa sécuritaire.
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Il ne fait pas bon être une mère célibataire en Corée du Sud, et encore moins dans le cas d’une jeune fille à l’âge de faire ses études supérieures. Autant renoncer tout de suite à celles-ci et entrer dans une semi-clandestinité pour échapper aux regards méprisants des voisins et de l’entourage. Destins coréens** est le récit d’une rencontre bouleversante. Jung, le dessinateur, né en Corée, a été adopté à l’âge de cinq ans par une famille belge et vit en France. Le thème de l’adoption est omniprésent dans son œuvre, et notamment dans sa BD la plus célèbre, l’autobiographie Couleur de peau : miel. A l’occasion d’un voyage promotionnel en Corée, il fait la connaissance d’une jeune fille, Joy, qui vient de lire la traduction de son livre. Joy est dans une situation tragique : alors même qu’elle allait réaliser son rêve en intégrant une excellente école de K-pop, la musique de variété coréenne, elle est tombée enceinte d’un ami étudiant qui l’a aussitôt laissée tomber. Il lui a fallu quitter ses études et cohabiter avec sa mère qui la poussait à abandonner son enfant dès la naissance. Mais la lecture du livre de Jung l’incite à changer d’avis : coûte que coûte, elle gardera son enfant. C’est cette relation étonnante entre l’auteur et Joy que raconte Destins coréens avec énormément de sensibilité. La vie de Joy et celle de son bébé en auront été transformées. Et Jung aura été bouleversé de constater que le récit de son parcours personnel a en quelque sorte sauvé deux vies.
Au-delà du destin des deux principaux protagonistes, cette très belle histoire nous en apprend beaucoup sur la société coréenne contemporaine, où tomber enceinte pour une femme célibataire constitue un « déshonneur » qui ne se rattrape que par un avortement ou un abandon. La Corée, affirme Jung, « a beau être technologiquement et économiquement très développée, elle reste un pays qui asservit les femmes dans un système aux mœurs arriérées. » Le dessin du livre est à la hauteur de son sujet. Jung excelle dans la représentation minutieuse des décors urbains et dans la mise en scène des états d’esprit de ses personnages, le tout dans un noir envahissant éclairé de taches vives de jaune orangé.
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Grandes spécialistes en la matière, les éditions Hazan poursuivent leur publication de nombreux ouvrages consacrés aux estampes japonaises. Difficile de faire plus différents que les thèmes des deux derniers livres : le premier est consacré aux monstres, le second à l’art du thé… Monstres Yokai*** nous plonge dans l’univers infini des créatures surnaturelles qui peuplent le folklore japonais. Chauves-souris, rats, renards et autres êtres moins identifiables pullulent dans la culture populaire du pays et ont abondamment inspiré les artistes, en particulier au XIXe siècle lors de la diffusion massive des estampes. Comportant une couverture en soie et une reliure inspirée de la traditionnelle reliure à la japonaise, ce fort joli volume reproduit une centaine d’estampes, dessins et peintures mettant en valeur la diversité des styles et la richesse d’imagination des artistes s’attaquant aux monstres. Le livre comprend également de nombreux textes courts consacrés à l’évocation de contes horrifiques, accompagnés des illustrations correspondantes. Un ensemble fort intéressant dû à la plume d’un auteur particulièrement qualifié : Philippe Chartier est à la fois archéologue, anthropologue et… médecin légiste, ce qui fait de lui un spécialiste des rituels et des légendes entourant la mort
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Retour au calme et à la sérénité avec le second volume, Le thé par les grands maîtres de l’estampe japonaise****. Cette fois, c’est la place du thé dans la société japonaise qui est à l’honneur. Bénéficiant de la même présentation soignée que le précédent, ce volume propose plus de cent estampes montrant tous les aspects de la présence du thé : production, préparation, consommation. Des textes informatifs et synthétiques traitent de l’histoire du breuvage, de la « cérémonie du thé », de sa récolte et de sa production, et enfin des maisons de thé. Élégance et raffinement sont de rigueur dans ces images où abondent les élégantes, courtisanes ou autres, tout occupées à préparer « l’écume du jade liquide. »
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Suite de l’adaptation en bande dessinée de la série à succès de romans de Lian Hearn Le clan des Ōtori. Ce cinquième volume***** constitue le deuxième volet de Les neiges de l’exil, deuxième cycle de l’ensemble. Takeo, héritier du clan des Ōtori, est aux mains de la Tribu où on lui inculque le métier d’espion et d’assassin, tandis que Kaede tente de s’imposer à la tête de ses immenses domaines face à ses nombreux ennemis. Les auteurs se sortent bien de la difficile adaptation d’un roman long et complexe et la mise en images est somptueuse.
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* Erkin Azat, lanceur d’alerte des
camps ouïghours
Scénario Erkin Azat, dessin Luxi
128 pages
Delcourt
17,95 euros
** Destins coréens
Scénario Jung et Laëtitia Marty, dessin Jung
136 pages
Delcourt
20,50 euros
*** Monstres Yokai
Philippe Charlier
192 pages
Hazan
29,95 euros
**** Le thé par les grands maîtres de
l’estampe japonaise
Caroline Larroche,
192 pages
Hazan
29,95 euros
***** Le clan des Ōtori, tome 5
Les neiges de l’exil
Scénario Stéphane Melchior, dessin Benjamin
Bachelier
88 pages
Gallimard
22 euros
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