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L'Inde vote massivement pour un changement radical
19 mai 2014
Le candidat nationaliste hindou, Narendra Modi, a été plébiscité par les électeurs.
Voir l'article Modi, l'homme à deux faces de la politique indienne
Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi
C'est un choix massif pour une Inde nouvelle qui est sorti des urnes vendredi 16 mai à l'issue des élections législatives générales. Le parti d'opposition BJP (Parti nationaliste hindou) a obtenu 282 députés à lui seul, plus que la majorité absolue à la Chambre basse du Parlement, qui est de 272 sièges. Avec ses alliés, le BJP détient 337 sièges. Cette victoire dépasse toutes les attentes. C'est la première fois depuis trente ans qu'un parti dispose de la majorité absolue au Parlement, ce qui met un terme à l'époque des coalitions hétéroclites qui étaient devenues la norme dans la politique indienne.
Ce raz de marée électoral tient largement à la personnalité du leader du BJP, Narendra Modi, qui a totalement dominé la campagne, imposant ses thèmes et écrasant ses adversaires de par sa très forte personnalité. Alors même que l'homme demeure controversé, notamment du fait de son implication au moins indirecte dans les massacres de musulmans intervenus en 2002 dans l'Etat du Gujarat dont il était ministre en chef, sa campagne sur le thème du développement de l'Inde a balayé toutes les réticences. Inlassablement, le candidat du Parti nationaliste hindou a promis au peuple indien de se consacrer à la croissance et à la modernisation du pays ainsi qu'à la lutte contre la corruption.
La tâche s'annonce extraordinairement difficile (voir ci-dessous) mais l'ampleur de la « vague Modi » rebat les cartes de la politique en Inde et lui donne de sérieux atouts. Changement essentiel : le futur Premier ministre va pouvoir composer le gouvernement à son gré, sans avoir à négocier avec des partenaires avides et difficiles. De quoi permettre un fonctionnement bien plus efficace que son prédécesseur, le gouvernement dominé par le Parti du Congrès et dirigé depuis dix ans par Manmohan Singh.
Jour de fête au BJP (photo BJP) |
Absence d'opposition forte
Autre changement radical : l'absence d'une opposition forte. Le Congrès de la famille Gandhi est en effet balayé. Il passe de 206 à 44 élus, même pas assez pour obtenir le titre officiel de « leader de l'opposition ». Bien sûr, cet effondrement résulte du redoutable effet amplificateur du scrutin majoritaire à un tour : le Congrès a tout de même obtenu près de 20 % des voix des Indiens. Mais le parti est rejeté pour son bilan au gouvernement : une inflation qui sape le pouvoir d'achat de la population, une incapacité à prendre des décisions, des scandales de corruption à répétition. Alors que Manmohan Singh, jadis encensé en tant que réformateur de l'économie, a démissionné ce week-end dans l'indifférence générale, Sonia Gandhi, présidente du Congrès, et son fils Rahul, organisateur de la désastreuse campagne électorale, s'apprêtent à vivre des jours difficiles. Accessoirement, le scrutin marque également l'échec du nouveau parti anti corruption AAP, qui n'obtient que 4 élus.
Seul maître à bord du gouvernement indien, Narendra Modi n'aura pas pour autant les mains entièrement libres. Dans bien des domaines, de la fiscalité jusqu'à l'implantation d'infrastructures, les compétences sont partagées entre le gouvernement central et les Etats de la fédération. Il lui va donc falloir négocier avec des gouvernements locaux, dont bon nombre appartiennent à des partis d'opposition et qui sont jaloux de leurs prérogatives. Une difficulté de taille pour Modi, connu pour ne tolérer aucun désaccord et qui a pris l'habitude de gouverner le Gujarat sans l'ombre d'un contre-pouvoir.
Débloquer l'économie, priorité numéro un de Narendra Modi
Le nouveau gouvernement va devoir s'attaquer à la paralysie administrative et relancer les infrastructures.
Remettre l'économie en marche : ce sera la priorité numéro un de Narendra Modi. Il y a de quoi faire : la croissance, qui dépassait les 9 % au milieu des années 2000, est tombée à 4,5 % pour l'année fiscale 2012-2013 (à fin mars) et aura fait à peine mieux en 2013-2014. Simultanément, l'investissement s'est figé.
Infrastructures, le grand défi de Modi |
Deux indicateurs publiés la semaine dernière illustrent l'ampleur du défi : la production manufacturière a reculé de 1,2 % en mars et les prix à la consommation ont augmenté de 8,6 % en avril. Le nouveau gouvernement va donc devoir trouver les moyens de relancer l'activité tout en luttant contre une inflation persistante qui a beaucoup joué dans le rejet de l'équipe sortante.
Restaurer la confiance des investisseurs
L'équipe Modi va s'attaquer aux freins qui entravent l'économie : l'administration, qui ne prend pas de décisions, les projets d'infrastructures qui ne se concrétisent pas, avec en conséquence une insuffisance dramatique en matière de routes, de ports, de centrales électriques, de production de charbon, etc. Remettre l'administration au travail ne va pas de soi : les hauts fonctionnaires sont traumatisés par les efforts de lutte contre la corruption et la crainte d'être accusés de favoritisme chaque fois qu'ils prennent une décision. Le gouvernement devra restaurer la confiance des investisseurs, tant indiens qu'étrangers. Il pourrait prendre des initiatives en matière fiscale (en revenant sur des mesures de taxation rétroactive qui ont causés des dégâts dans l'esprit des investisseurs) ainsi que dans le domaine de la simplification administrative. A plus long terme, il pourrait aussi remodeler le droit du travail, considéré comme trop protecteur par les entreprises.
Les décisions de Modi en matière d'investissements étrangers sont très attendues. Le pays ne pourra assurer son développement industriel qu'avec l'aide d'importants investissements directs étrangers. Mais le BJP est très ambigu en la matière : favorable aux investissements étrangers dans leur principe, le parti, qui a une forte tradition de nationalisme économique, les refuse dans le secteur clé de la grande distribution.
Dans ses initiatives, le gouvernement va être freiné par un contexte budgétaire difficile. La maîtrise des déficits demeure impérative, comme viennent de le rappeler les agences de notation. D'importantes réformes fiscales pourraient intervenir, avec la mise en place d'un système de taxes indirectes harmonisées à l'échelle du pays.
Au chapitre de l'inflation, il sera intéressant de voir quelles relations Modi établit avec le gouverneur de la banque centrale Raghuram Rajan : la politique de taux d’intérêt élevés pratiquée par ce dernier sans beaucoup d'efficacité pour tenter d'enrayer la hausse des prix pourrait entrer en conflit avec la volonté de Modi de relancer la croissance.
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