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L'ASIE DESSINÉE

BD : aventures chinoises et rêves en japonais


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 27 septembre 2019

Un parfait mode d’emploi de l’expatriation en Chine : c’est ce qu’offre le roman graphique Bienvenue en Chine. Dans un tout autre registre, Mon premier rêve en japonais se penche sur le difficile apprentissage de sa double identité par une enfant franco-japonaise.

Patrick de Jacquelot

Rien de plus tendance, ces derniers temps, que de faire une bande dessinée après avoir séjourné en Chine. On l’a vu avec …en Chine, Petite balade et Grande muraille ou encore La Ptite Lu, les aventures d’une Française en Chine. Malheureusement, le contenu de ces ouvrages est souvent bien léger : il ne suffit pas d’avoir passé quelques mois dans un pays lointain pour avoir quelque chose d’intéressant à en dire. Ce n’est pas le cas, bien au contraire, de la dernière parution dans ce registre : Milad Nouri, l’auteur de Bienvenue en Chine*, y vit depuis une douzaine d’années et a beaucoup à raconter.

Arrivé en Chine dans le courant des années 2000, ce Français d’origine iranienne y venait au départ en tant qu’étudiant. Mais séduit par l’effervescence du pays et les opportunités qu’il offrait, il décide rapidement d’y commencer sa vie professionnelle. Dans ce roman graphique autobiographique, il raconte donc son parcours d’étudiant, puis de salarié d’Alcatel, d’enseignant, et enfin de créateur d’une société de conseil pour les investisseurs étrangers, le tout dans différentes villes du pays, Canton, Shanghai ou Hangzhou. 

Extrait de "Bienvenue en Chine"
(Copyright Delcourt, 2019 - Nouri, Zheng

Mené sur un ton léger, truffé d’anecdotes vécues, ce récit fournit mine de rien une foule d’informations. On y apprend énormément sur les chausse-trappes de la communication avec les Chinois : les casse-tête du protocole, les rituels liés à la consommation d’alcool, la façon de présenter correctement sa carte de visite… Les précautions incessantes qu’il faut prendre pour ne pas faire perdre la face ou manquer de respect, bien involontairement, à son interlocuteur sont détaillées, de même que l’art de se créer un réseau de relations et d’influence qui se révélera bien utile en cas de problèmes administratifs ou juridiques. Milad Nouri évoque aussi les pièges de l’apprentissage de la langue chinoise avec ses cinq « tons » et ceux de la superstition (ne jamais offrir d’horloge, symbole de mort !).

De façon plus pointue encore, il aborde les difficultés de la création d’entreprise dans le pays, les problèmes de recrutement et de gestion du personnel, l’art subtil de la gestion des relations avec clients et fournisseurs. Et explique même comment son intégration dans la société chinoise a été grandement facilitée par sa maîtrise du mah-jong.

Bienvenue en Chine n’est pas pour autant un simple répertoire de conseils pratiques pour l’expatriation dans le pays. Le récit demeure très humain avec l’évocation des sentiments personnels de l’auteur dont le parcours en Chine a été émaillé de grandes joies et aussi d’un drame terrible, le tout imprégné d’un amour profond pour son pays d’adoption qu’il « ne quitterait pour nul autre au monde ».

"Bienvenue en Chine", couverture et page 10

Pour qui veut découvrir cette Chine si déroutante que décrit Milad Nouri, se doter de quelques connaissances de base n’est pas inutile. Mais par où commencer ? Entre l’histoire, la géographie, les concepts philosophiques ou l’économie, le champ à étudier est immense. L’ambition d’une nouvelle série, Histoire de la Chine en BD**, est de permettre une première approche. L’ensemble comprendra quatre volumes dont les deux premiers viennent de paraître. Ils couvrent respectivement Les fondations de la civilisation chinoise – De l’empereur jaune à la dynastie Han (de -2697 à 220) et Division et unification de la Chine impériale – Des Trois Royaumes à la dynastie Tang (220-907). L’approche se veut très didactique et donne quelques repères avec un accent particulier sur l’évolution des grandes idées qui ont façonné la Chine. Ces petits volumes qui ressemblent plus à des livres formés de textes très courts et abondamment illustrés qu’à de la bande dessinée classique, ne constituent, bien sûr, qu’une invitation à approfondir ultérieurement la découverte de l’histoire du pays.

"Histoire de la Chine en BD", tome 1, couverture et page 94

Dans le registre de la BD d’aventure, enfin, le troisième et dernier tome de la série, La chute du Palais d’été*** vient clôturer l’excellente BD Lao Wai (voir notre chronique du tome 1 et celle du 2). Cette longue histoire (160 pages en tout) se déroule dans la deuxième moitié du XIXème siècle, dans le cadre des guerres de l’opium qui virent les puissances occidentales, au premier rang desquelles la Grande-Bretagne et la France, attaquer l’empire chinois pour l’obliger à ouvrir ses frontières au commerce international, et singulièrement à l’opium. Lancée sous de nobles prétextes comme la fin des persécutions menées par les autorités chinoises contre les chrétiens, cette « sale guerre », selon les mots de l’historien Jean-François Klein dans sa préface, aura contribué à affaiblir profondément la population chinoise, minée par la consommation d’opium importé du Bengale indien sous domination britannique.

Dans ce dernier tome, on retrouve le corps expéditionnaire français avec ses soldats venus vivre une grande aventure, des officiers corrompus cherchant à mettre la main sur une part des prodigieux bénéfices du trafic de la drogue, son général vaniteux et incapable, sa journaliste intrépide et sa belle Chinoise au rôle trouble. L’histoire avance à bon rythme vers son dénouement et son morceau de bravoure : le sac du Palais d’été de l’empereur, merveille d’architecture, de richesses et de raffinement, pillé et incendié par les troupes anglaises et françaises. Une honte dénoncée en son temps par Victor Hugo.

Toujours solidement mené et illustré, le récit mêle de façon équilibrée la grande Histoire et les destins individuels des principaux personnages. Une excellente BD, donc, sur un thème historique trop peu connu en Europe. Sur le sujet des guerres de l’opium, on peut se reporter à l’extraordinaire trilogie du romancier indien Amitav Gosh, Un océan de pavots, Un fleuve de fumée et Un déluge de feu (Éditions 10/18).

"Lao Wai", tome 3, couverture et page 9

Grandir (pour les enfants) et vivre (pour les adultes) entre deux cultures n’est pas toujours facile, on le sait. Un fort beau livre aborde la question avec une sensibilité et une force d’autant plus frappantes qu’il s’agit de la toute première œuvre d’une nouvelle auteure de BD. Mon premier rêve en japonais**** est un album autobiographique écrit et dessiné par Camille Royer, une Française dont la mère est japonaise. Le personnage central de la BD est une petite fille, Camille elle aussi, espiègle et turbulente. Française, certes, mais pas comme les autres. A l’école, on la traite de « chinoise » parce que chinoise et japonaise, c’est pareil. Il lui faut subir, bon gré mal gré, les cours de japonais dispensés par une enseignante revêche. Mais avoir une double culture est aussi une grande richesse : le soir, sa mère vient lui chanter des comptines en japonais et lui raconter des légendes de son pays natal. De quoi nourrir les rêves – et les cauchemars – de la petite.

Si l’apprentissage de sa double culture par la petite fille est difficile, c’est aussi, on le sent, parce que sa mère vit mal son expatriation. Il y a eu rupture avec sa famille, et un profond sentiment de déracinement s’est installé. Au point de susciter chez Camille la terreur de voir sa mère repartir pour toujours. Mais à travers ses nuits agitées, la petite assimile petit à petit cette double identité qui est la sienne. Jusqu’à ce qu’elle puisse annoncer triomphalement à sa mère, un matin, qu’elle vient de « rêver en japonais » : le début d’une acceptation. Plein de finesse, ce roman graphique joue joliment avec les codes, montrant en noir et blanc les scènes de la vie réelle et en couleurs les contes et les rêves. Un début des plus prometteurs.

"Mon premier rêve en japonais", couverture et page 44

Vu de France, la Corée du Sud pourrait passer pour un de ces pays où règne l’ordre social, la discipline, l’obéissance aux autorités quelles qu’elles soient. Et pourtant, les entreprises y sont le lieu de conflits entre direction et salariés comme plus ou moins partout ailleurs. Le héros d’Intraitable*****, dont vient de paraître le premier des six volumes annoncés, est un syndicaliste de choc qui se démène pour convaincre ouvriers et employés de faire respecter leurs droits. Son chemin croise la route d’un jeune cadre de la grande distribution qui refuse de se conformer aux ordres qu’il vient de recevoir : faire partir un maximum de vendeurs « par n’importe quel moyen », y compris le harcèlement. Cette plongée hyper réaliste dans les relations sociales coréennes prend une saveur particulière pour le lecteur français quand il apprend que l’histoire est inspirée par les tentatives d’implantation du groupe Carrefour dans le pays.

"Intraitable", tome 1, couverture et page 49

* Bienvenue en Chine
Scénario Milad Nouri, dessin Tian-You Zheng
192 pages
Delcourt
17,95 euros

** Histoire de la Chine en BD, tome 1 Les fondations de la civilisation chinoise, tome 2 Division et unification de la Chine impériale
Scénario et dessin Jing Liu
Tome 1 160 pages, tome 2 144 pages
Éditions Sully
14 euros le volume

*** Lao Wai, tome 3 La chute du Palais d’été
Scénario Alcante et LF Bollée, dessin Xavier Besse
64 pages
Glénat
14,95 euros

**** Mon premier rêve en japonais
Scénario et dessin Camille Royer
160 pages
Futuropolis
21 euros

***** Intraitable, tome 1
Scénario et dessin Choi Kyu-Sok
248 pages
Éditions Rue de l’Échiquier
20 euros

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