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L'ASIE DESSINÉE

BD : une éblouissante plongée dans la Chine de l’époque Ming


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 21 février 2022

Une BD aux images somptueuses fait revivre la fin tragique d’une monarchie du sud de la Chine, tandis qu’un album pour jeunes lecteurs évoque le mode de vie des enfants chinois d’aujourd’hui.

Patrick de Jacquelot

Format réduit pour cette édition de L’Asie dessinée ! Le programme éditorial de ce début d’année est particulièrement creux en bandes dessinées traitant de notre continent de prédilection. En attendant que la production redevienne plus fournie, les passionnés d’Asie ont au moins un somptueux album à se mettre sous la dent : Pierre rouge plume noire* du scénariste dessinateur Thierry Robin.

L’histoire de ce gros récit mi-historique mi-fantaisiste est en elle-même très curieuse. Comme l’explique l’auteur dans sa postface, ce livre « fait de moi le premier auteur à avoir produit un livre de bande dessinée directement pour le marché chinois ». Passionné de Chine depuis toujours, Thierry Robin avait séjourné dans le pays à plusieurs reprises et avait réalisé une série de BD Rouge de Chine. Ce qui lui valut de recevoir un jour une proposition originale. La province du Guizhou, au sud du pays, venait d’obtenir le classement au patrimoine mondial de l’Unesco d’un site spectaculaire : les vestiges d’une sorte de Cité interdite miniature perchée au sommet d’une colline. Il s’agissait désormais de faire connaître l’endroit pour le transformer en destination touristique de premier plan. D’où l’idée de demander à un auteur occidental de bande dessinée de lui consacrer un album.

Extrait de "Pierre rouge plume noire", scénario et dessin Thierry Robin, Dargaud (Copyright : Dargaud) 

Contacté, Thierry Robin, qui raconte tout cela dans une très intéressante postface, saute sur l’occasion. Plusieurs voyages s’ensuivent, agrémentés de réunions de travail avec des officiels du Parti communiste qui n’avaient « jamais vu une page de bande dessinée européenne ». Un accord ayant finalement pu être trouvé, le dessinateur passe plusieurs années dans le pays pour réaliser son œuvre. Celle-ci sera finalement publiée, après de longs retards, par l’éditeur chinois, avec un certain manque d’enthousiasme. « J’ai cru comprendre, explique l’artiste, que les commanditaires, au-dessus de l’éditeur, n’avaient pas aimé. Le récit est sans doute trop âpre et inconfortable pour le public chinois. »

Que le livre soit ou pas adapté au public chinois, toujours est-il que sa publication en France devrait enthousiasmer le lecteur occidental. Car ce Pierre rouge plume noire est une réussite totale. La mission de Thierry Robin était d’évoquer les événements historiques ayant conduit à la destruction de ce palais montagnard par les troupes de l’empereur Ming. En repérage sur place, il constate qu’il reste peu de choses et qu’il « faudrait broder. Tant mieux. »

Le récit combine donc une certaine vraisemblance historique avec beaucoup d’imagination. On y suit l’exode de la population rurale des environs venue se réfugier dans la forteresse du roi de la région pour fuir l’avancée des troupes de l’empereur Ming. De nombreux civils s’entassent dans la forteresse palais, rapidement encerclée par les armées impériales. On assiste à la dégradation progressive de la situation, le manque de nourriture qui se fait petit à petit sentir, jusqu’à l’assaut final qui se termine par le massacre de l’ensemble des occupants des lieux.

Toute une galerie de personnages permet d’incarner le récit : depuis le paysan qui se retrouve combattant sans avoir bien compris pourquoi jusqu’au redoutable commandant militaire de la place, dévoué à son roi jusqu’à la mort, en passant par le roi, justement, complètement détaché des réalités et qui, en plein siège, ne se soucie que de ses tentatives artistiques.

À lire : le « Best of » de l’Asie dessinée, les vingt-cinq meilleures BD chroniquées depuis 2016

Deux « personnages » plutôt inattendus dominent le récit : un corbeau et la montagne elle-même sur laquelle est édifiée la forteresse. Tous deux observent les événements, le corbeau les décrivant à la montagne dépourvue d’yeux, et les commentent entre cynisme (pour le corbeau) et compassion (pour la montagne).

Mais ce qui emporte le lecteur, c’est l’extraordinaire beauté de la mise en images. Thierry Robin n’est certes pas un débutant. On lui doit notamment le dessin des très remarquables albums Moscou année zéro et La mort de Staline, consacrés à la Russie. Dans Pierre rouge plume noire, il donne toute la mesure de son talent. Depuis les saisissantes images de la foule misérable avançant dans un nuage de poussière au début du livre jusqu’à celles de l’apocalypse finale, c’est à une succession ininterrompue de scènes plus belles les unes que les autres qu’a droit le lecteur : architectures cyclopéennes, armures fantastiques, raffinement suprême des appartements royaux, images de manœuvres militaires rythmées par les lances des soldats, impressionnantes mêlées lors des combats, etc. Extrêmement détaillé, le dessin est en outre admirablement servi par une mise en couleurs aux harmonies subtiles. Les responsables locaux du Parti communiste n’ont peut-être pas aimé, mais si l’objectif était d’intéresser un public occidental à un lieu et une histoire qu’il ignorait, la mission est accomplie. Après avoir refermé l’album, on se surprend à la reprendre encore et encore pour en savourer les images une à une.

"Pierre rouge plume noire", couverture et trois pages

La Chine toujours, mais avec un changement complet d’époque, de sujet et de public : À l’autre bout de la Chine** est un livre d’images destiné aux enfants. Ce bel album grand format suit deux enfants de six ans, un petit citadin et une jeune campagnarde. Les détails de leur vie quotidienne sont évoqués avec leurs contrastes (chaos de la ville, calme de la campagne…) et leurs ressemblances (les parents des deux enfants tout aussi épuisés les uns que les autres le soir à leur retour du travail). Des départs croisés en vacances permettent aux deux enfants de découvrir l’environnement habituel de l’autre et de conclure, bien entendu, que c’est beaucoup mieux ailleurs que chez eux.

S’agissant d’un album destiné à de jeunes enfants, il ne faut pas s’attendre à trouver beaucoup de réalisme social… On peut s’étonner, par exemple, que la famille rurale, constituée de petits paysans, puisse venir prendre des vacances dans un hôtel au cœur de Pékin. De même, la phrase finale de la petite campagnarde disant qu’elle n’est pas triste d’être rentrée chez elle parce que « je sais que lorsqu’on sera grands, on ira vivre là où on l’entend », peut laisser rêveur vu les limitations sévères toujours en vigueur sur la mobilité interne des citoyens chinois…

Dans le registre des livres permettant d’initier de jeunes enfants à la vie de leurs homologues de pays lointains, À l’autre bout de la Chine fonctionne cependant tout à fait. Très colorées et pleines de petits détails, les images pleine page ont tout pour séduire les jeunes lecteurs.

"À l’autre bout de la Chine", couverture et une page

Tous ceux qui veulent comprendre la gigantesque industrie qu’est le monde des mangas peuvent s’intéresser à la série Réimp !*** dont le deuxième tome vient de paraître. Après un premier volume qui décrivait notamment le fonctionnement commercial du secteur, ce nouveau volume s’attache plus particulièrement aux relations entre l’éditeur et les auteurs dont il a la charge. Des relations houleuses par définition : selon la conception qui prévaut dans les maisons d’édition, l’auteur est un artiste qui veut avant tout dessiner ce qui lui fait plaisir, alors que l’éditeur a pour priorité la satisfaction du lecteur. Résultat : comme le dit un responsable à Kokoro Kurosawa, qui débute dans la profession d’éditrice, « tu dois savoir que le plaisir du lecteur est proportionnel à la souffrance de l’auteur ». Au fil des chapitres, la jeune femme doit traiter avec un dessinateur déprimé par le départ de sa petite amie ou un autre qui vit dans le souvenir de sa gloire passée mais a perdu toute capacité créatrice… Amusant et instructif.

"Réimp’ !", tome 2, couverture

* Pierre rouge plume noire
Scénario et dessin Thierry Robin
128 pages
Dargaud
22,50 euros

** À l’autre bout de la Chine
Texte et illustration Léa Decan
48 pages
L’Agrume
16,50 euros

*** Réimp’ !, tome 2
Scénario et dessin Naoko Mazda
224 pages
Glénat Manga
7,60 euros

 

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