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L'ASIE DESSINÉE

Quand les arts graphiques s'emparent de l'Asie : "Voyages dessinés" du Japon à l'Indonésie


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 15 juin 2024

Il n’y a pas que la bande dessinée dans la vie, il y a aussi les arts graphiques. « L’Asie dessinée » se penche aujourd’hui sur plusieurs ouvrages mettant en valeur les représentations du continent sous le pinceau d’artistes variés.

Patrick de Jacquelot

Pour qui s’intéresse aux représentations artistiques du Japon, le monde des estampes est évidemment inépuisable. Les éditions Hazan consacrent une vaste collection aux « grands maîtres de l’estampe japonaise ». Dernier volume paru, Le printemps par les grands maîtres de l’estampe japonaise* livre une moisson de belles images consacrées à cette saison chère au cœur des Japonais. Comme toujours dans cette collection, le volume se présente sous une forme inhabituelle : il s’agit en fait d’un coffret qui renferme un long « accordéon » d’images. Soixante-quinze estampes sont reproduites, œuvres de dix-sept artistes du XVIIIème au XXème siècles avec une majorité de représentants du XIXème dont bien sûr Hokusai et Hiroshige. C’est en effet la période où s’est fortement développée la production d’estampes de paysages sous l’impulsion d’éditeurs désireux de répondre à la demande du public pour des vues du pays.

"Indonesia", ATAK, Louis Vuitton Travel Book
 (Crédit : Louis Vuitton Travel Book)
Cette présentation inhabituelle permet d’effectuer une véritable promenade à travers les paysages représentés. En dépliant les « pages » de l’accordéon, on passe d’une large vue de campagne à une fleur en gros plan, d’un bord de mer avec le mont Fuji en arrière-plan à une scène de promenade sous les arbres en fleurs. Les cerisiers en fleurs sont omniprésents comme il se doit, tant la période, brève et intense, de leur floraison est un événement attendu et célébré chaque année par les Japonais. Ce thème de la « contemplation des cerisiers en fleurs » occupe ainsi de nombreuses pages de l’ensemble et fournit l’occasion de scènes bucoliques avec de nombreux petits personnages pique-niquant sous leurs arbres favoris.

La nature elle-même est largement représentée, arbres, fleurs et oiseaux en gros plans. Parmi les paysages, on peut relever deux très belles scènes de pluie aux intéressants effets de lumière. Les humains sont également très présents avec quelques élégantes contemplant les arbres fruitiers vêtues de somptueux kimonos.

Toutes ces images occupent l’intégralité de « l’accordéon » sans le moindre texte. Mais le coffret renferme par ailleurs un livret de 48 pages fort bien fait. On y trouve les légendes de toutes les estampes (titre, auteur, date, dimensions…) et aussi un intéressant texte de présentation. L’auteur Jocelyn Bouquillard y évoque en particulier la signification du printemps pour les Japonais, cette saison du renouveau de la nature symbolisant la fragilité de la vie…

Dans la même collection, signalons le volume L’automne par les grands maîtres de l’estampe japonaise paru l’année dernière, tout aussi beau que celui consacré au printemps, dans des gammes de couleurs très différentes bien entendu.

À côté de ces coffrets au format relativement grand, Hazan publie des « accordéons » sur le même principe au format réduit de moitié. Le rendu des images est moins spectaculaire mais le prix en bénéficie : 24,95 euros au lieu de 35 euros pour les grands formats. Dans cette série, relevons le séduisant volume consacré aux Temples, pagodes et sanctuaires.


ATAK, nom d’artiste de l’Allemand Georg Barber, a sillonné l’archipel indonésien et en rapporté un fort volume d’images, Indonesia**, publié dans la collection Travel Book de Louis Vuitton. Paysages, temples, objets quotidiens, scènes de rue, statues, bouddhas, rien n’échappe aux observations de l’artiste qui livre ici un carnet de voyage de luxe. À côté de nombreuses scènes urbaines prises à Java ou à Bali, les images bucoliques de Sulawesi, avec ses rizières et ses maisons sur pilotis sont particulièrement frappantes.



Le style de l’artiste se caractérise par un dessin parfois quasi enfantin combiné à l’utilisation de couleurs très fortes : le vert omniprésent de la nature, les jaunes, les rouges, les oranges des statues et autres peintures murales… Une approche très personnelle qui colle bien à la luxuriance et à la vitalité d’un pays largement méconnu en France. Des touches d’humour figurent ici ou là avec la présence discrète dans tel ou tel paysage d’un petit Tintin ou d’un Babar, en écho aux pratiques d’ATAK dans la bande dessinée et l’illustration pour enfants.

L’œuvre de l’artiste est mise en valeur par la très belle réalisation de ces carnets de voyage au format allongé publiés par le groupe de luxe. Comme dans Le printemps par les grands maîtres de l’estampe japonaise, les images occupent la totalité de chaque page. Les légendes et textes explicatifs sont renvoyés à la fin du volume. Les textes sont publiés en trois langues, anglais, français et indonésien.


Puisque nous parlons de carnets de voyage, signalons la parution du deuxième numéro de Carnets d’ailleurs***, revue trimestrielle dont le sous-titre explicite est Voyages dessinés. Raison d’être de ce magazine fort bien présenté: « montrer le monde avec l’œil bienveillant des meilleurs carnettistes ». Carnets d’ailleurs s’intéresse au monde entier mais réserve une part appréciable à l’Asie. Dans ce numéro, Clément Baloup, auteur de plusieurs bandes dessinées sur le Vietnam et l’Asie du Sud-Est, s’intéresse à Hong Kong et Macao. Dans une petite BD de dix pages, il se livre à une évocation très rapide des caractéristiques de ces deux territoires.



Plus intéressantes, les douze pages consacrées à l’Inde par le dessinateur Christian Cailleaux sous le titre L’illusion de l’Inde. Il y présente de nombreux dessins, essentiellement des portraits, des silhouettes et des scènes de rue. Des images « qui ne devraient pas être montrées », explique-t-il, n’étant que de simples notes prises au cours de ses voyage à travers le pays. Pour l’artiste en effet, l’important n’est pas d’accumuler des scènes exotiques mais bien de construire ultérieurement un récit à partir des images engrangées. Il n’empêche que ces « notes graphiques » se révèlent pleines de charme et de justesse dans leur rendu des multiples scènes de la rue indienne. Et l’auteur a aussi la franchise d’expliquer à quel point, de son séjour de trois mois en Inde, il n’a « rien compris » au pays vu sa taille, sa complexité et ses contradictions… Mais s’il n’a rien compris à l’Inde, il n’en a pas moins été « fasciné du début à la fin ». Une fascination qui s’est concrétisée par sa bande dessinée Tchaï Masala, monologue hindi qui vient d’être rééditée dans un fort volume Les tribulations de Félix Mogo****.


Élégant, raffiné, nonchalant, Félix Mogo est le « héros » des bandes dessinées de Christian Cailleaux. Outre des expéditions africaines, ces « tribulations » incluent donc une longue errance en Inde où Félix Mogo cherche à retrouver la trace d’un capitaine de cargo qui a disparu dans le pays. Une quête lente, rêveuse, où le voyage semble être une fin en soi. Évoquant les grands écrivains voyageurs du siècle dernier, cette traversée de l’Inde où il ne se passe pas grand-chose permet à Cailleaux de multiplier sur 140 pages ses élégantes vignettes au dessin dépouillé décrivant le pays. Une invitation au voyage comme tous les ouvrages passés en revue ci-dessus !


ET AUSSI…
Retour à la bande dessinée classique pour terminer. De Keiko Ichiguchi, on connaissait Les cerisiers fleurissent malgré tout, récit autobiographique dans lequel l’artiste japonaise mariée à un dessinateur italien et vivant en Italie racontait comment elle avait vécu la catastrophe de Fukushima. Elle revient aujourd’hui avec La vie d’Otama*****, album dont elle signe le scénario. Le dessin en est réalisé par un autre artiste italien, Andrea Accardi.

À défaut d’être autobiographique, ce récit entre largement en résonance avec la vie de Keiko Ichiguchi. Il s’agit en effet d’une fiction basée sur un personnage réel, Kiyohara Tama, qui, adolescente en 1877, a épousé un artiste italien en séjour à Tokyo avant d’aller s’installer pour l’essentiel de sa longue vie en Italie où elle développera sa propre carrière de peintre. L’histoire oscille entre l’année 1877, celle où la jeune Otama est subjuguée par ce quasi-extraterrestre d’Italien qui lui enseigne des techniques artistiques et des façons de voir complètement nouvelles, et 1936 quand, à l’âge de soixante-quinze ans, où elle revient au Japon après près de soixante ans d’absence. Keiko évoque avec beaucoup de sensibilité le choc des cultures entre le Japon et l’Italie, le combat d’Otama pour s’adapter à sa nouvelle vie italienne, à une époque où une Japonaise était considérée comme une bête curieuse, son intégration tellement poussée qu’elle en vint à oublier le japonais, etc. Son retour à Tokyo en 1936 donne aussi l’occasion d’aborder de façon assez détaillée « l’incident du 26 février », tentative de coup d’État montée par des officiers ultra-nationalistes. Porté par un dessin 100 % manga, quoique italien, le livre est une pleine réussite.

* Le printemps par les grands maîtres de l’estampe japonaise
Jocelyn Bouquillard
Hazan
35 euros

** Indonesia
ATAK
160 pages
Louis Vuitton Travel Book
55 euros

*** Carnets d’ailleurs – Voyages dessinés n°2
Juin/Juillet/Août 2024
174 pages
17,50 euros

**** Les tribulations de Félix Mogo
Scénario et dessin Christian Cailleaux
616 pages
Glénat
35 euros

***** La vie d’Otama
Scénario Keiko Ichiguchi, dessin Andrea Accardi
136 pages
Kana
15,50 euros


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