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L'ASIE DESSINÉE
BD: de l’Afghanistan au Cambodge, trois
destins hors du commun
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Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 26 novembre 2025
Les cieux noirs et Hazara blues
nous montrent les réalités complexes de l’Afghanistan
d’aujourd’hui à travers la vie de deux contemporains.
Dans La danseuse aux dents noires, c’est un
personnage historique qui nous plonge dans le Cambodge
de l’époque coloniale.
Patrick de Jacquelot
L’Afghanistan
ne fait pas partie des pays les plus souvent représentés
dans la bande dessinée. Deux albums récemment parus
livrent des aperçus captivants sur son histoire récente.
Les cieux noirs* retrace la vie d’un personnage
aussi réel qu’étonnant: Yves Faivre. Agronome de
profession, celui-ci a passé pas loin de trente ans à
œuvrer au développement de l’agriculture afghane. Et
cela en dépit des joyeusetés que l’on associe volontiers
à l’Afghanistan: enlèvement, emprisonnement, menaces sur
sa vie…
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| Image extraite de "Hazara blues", scénario Reza Sahibdad, dessin Yann Damezin, Sarbacane (crédit Sarbacane) |
Entre les deux, Yves Faivre aura passé de nombreuses années à aider les agriculteurs du pays à développer l’irrigation de leurs terres, remettre en état les systèmes traditionnels d’adduction d’eau, sélectionner les plantations les plus appropriées… Son plus haut fait d’armes: avoir convaincu les troupes françaises envoyées en Afghanistan après les attentats contre les tours jumelles de Manhattan d’aider la population rurale en plantant « 500 000 amandiers sauvages et en menant de gros chantiers de maîtrise de l’eau ». De quoi transformer une mission de combat qui avait commencé par de lourdes pertes pour les soldats français en « mission d’apaisement, d’accompagnement de projets agricoles ». Un réel succès, qui ne durera qu’un temps évidemment.
Alternant les scènes de prison de 2022 et les souvenirs des années précédentes, le récit permet de plonger dans les états d’esprit successifs de l’agronome: détermination à poursuivre sa mission dans les premiers temps, satisfaction quand il met en place des programmes fonctionnels, phases de désespoir pendant son emprisonnement final… Au fil de l’histoire, on glane de multiples informations sur l’histoire récente de l’Afghanistan, les modes de vie et les mœurs de ses habitants. Un volume très réussi, qui bénéficie d’un graphisme séduisant.
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La deuxième bande dessinée « afghane » se passe en fait davantage en Iran qu’en Afghanistan. Mais ce dernier pays figure constamment en toile de fond puisque Hazara blues** traite d’une minorité afghane persécutée dans son pays et chez le voisin iranien. Il s’agit de la vie de Reza Sahibdad, telle qu’il la raconte à l’auteur français de bande dessinée Yann Damezin. Reza est né en Iran de parents afghans qui s’y étaient réfugiés. Car les Hazaras forment une minorité ethnique souvent victime de discriminations violentes dans son pays d’origine. C’est pour fuir les persécutions que les parents de Reza s’étaient installés en Iran, un choix qui semblaient logique: les Hazaras sont chiites, tout comme les Iraniens et contrairement à la majorité sunnite de la population afghane. Mais la famille n’avait pas réalisé que les Hazaras sont méprisés et détestés par les Iraniens à peu près autant que par les ethnies majoritaires en Afghanistan. Le jeune Reza Sahibdad a donc vécu une enfance et une jeunesse victimes de discriminations en tous genres: absence de papiers d’identités, acceptation dans les écoles au bon vouloir des enseignants, menace constante d’être expulsé en Afghanistan…
Fort peu scolarisé, le jeune garçon travaille très tôt dans différents ateliers pour contribuer aux gains de la famille. Son grand frère l’initie à la politique: c’est un militant de la cause hazara, ce qu’il paiera d’un emprisonnement dans des conditions très dures dans les geôles iraniennes. Pour Reza, une voie de salut s’ouvre de manière inattendue quand, jeune adulte, il se prend de passion pour le cinéma. Une petite formation plus tard, le voilà qui commence à tourner des court-métrages dans une semi-clandestinité. Suffisamment pour que son travail soit remarqué et qu’on lui propose un poste de réalisateur en Afghanistan. Là, il se rend compte qu’il ne sera finalement pas mieux traité qu’en Iran. Il saisit l’occasion d’une remise de prix en Europe pour se réfugier en France. Des mois de galère et de vie de sdf plus tard, sa demande d’asile finira par être acceptée: il a fait depuis sa vie en France.
Toute cette histoire est présentée comme faisant l’objet de longues conversations entre Reza Sahibdad et Yann Damezin. Les questions que pose ce dernier permettent de livrer naturellement dans le récit les éléments pédagogiques nécessaires. Au fil de cet épais volume, on en apprend ainsi beaucoup sur le peuple hazara et sur l’histoire récente de l’Afghanistan. La vie d’une famille immigrée en Iran est également abondamment décrite, tout comme la violence du régime des mollahs. Son absurdité aussi, parfois: Reza raconte comment, alors qu’il « risquait à tout moment une arrestation et une expulsion, il a reçu un prix de la part du président ultra-conservateur (de l’Iran) pour un film qui dénonçait le racisme d’État et l’hypocrisie religieuse » du régime!
Extrêmement vivant, truffé d’anecdotes vécues, le livre alterne moments très durs - persécutions politiques, plongée dans l’enfer de la drogue…- et rébellions à répétition: jamais Reza n’a accepté le sort qui lui était promis. Ce récit très fort est sublimé par le dessin exceptionnel de Yann Damezin. Passionné par la culture persane, ce dernier était déjà l’auteur d’un remarquable roman graphique, Majnoun et Leïli : chants d’outre-tombe (La boîte à bulles), somptueuse mise en images d’une histoire d’amour célèbre dans tout le monde musulman. Dans Hazara blues, il s’inspire constamment de la tradition des miniatures persanes pour offrir une bande dessinée ne ressemblant à aucune autre. Une approche qui lui permet d’évoquer graphiquement de manière saisissante les sentiments et les concepts abstraits. Une œuvre à ne pas manquer.
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Troisième biographie de cette édition de L’Asie dessinée, La danseuse aux dents noires*** se distingue des précédentes par son caractère romancé. Les deux co-scénaristes, Jean-Laurent et Olivier Truc, se sont inspirés des Mémoires de leur arrière grand-père Hermentaire Truc, pour raconter le voyage qu’il a effectué au Cambodge en 1912 à la demande du gouvernement français. Mission confiée à ce célèbre professeur d’ophtalmologie: opérer de la cataracte le roi Sisowath, en passe de devenir aveugle. Si sa cécité se confirmait, le roi abdiquerait, ce qui pourrait compromettre la domination de la France sur le Cambodge. A priori purement médicale, cette expédition se révèle donc éminemment politique, avec des enjeux cruciaux.
Tout en collant aux grandes lignes de la réalité du voyage de leur ancêtre, ses deux descendants ont choisi d’évoquer les grandes manœuvres diplomatiques et les complots de palais à travers une intrigue de quasi roman d’espionnage. Le malheureux médecin venu de sa province française se retrouve plongé dans un imbroglio de complots impliquant la France, le Cambodge, le royaume du Siam qui a des vues sur son voisin, l’Allemagne qui se verrait bien supplanter la France, etc. En outre, il doit affronter le panier de crabes qu’est le palais royal où la Cour, les bonzes tout puissants et les danseuses du ballet royal rivalisent d’influence auprès du vieux monarque, sans compter un prince rebelle…
Menée tambour battant, l’histoire se lit d’une traite. D’autant qu’elle est parfaitement illustrée par le grand professionnel qu’est le dessinateur Éric Stalner. Architecture coloniale, palais royal, fastes de la Cour avec ses danseuses et ses cortèges d’éléphants, jungle, misère des bas-fonds, son pinceau évoque des atmosphères prenantes dans des gammes de couleurs sépia et vert pâle très séduisantes.
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Voici un peu plus d’un an paraissait le premier tome d’une série prometteuse: Les enfants de l’Empire. Le tome 2**** qui vient de sortir confirme l’intérêt de cette bande dessinée due à une auteure coréenne. Située dans les années 1930, l’histoire fait revivre une période où le pays était occupé par le Japon. On y suit deux adolescents: Arisa, fille d’un riche commerçant, ouverte aux modes de vie sophistiqués et modernes du Japon et de l’Occident, et Jun, issu d’une famille traditionnelle coréenne, aussi choqué que fasciné par les manières d’être de son amie. Les tensions entre les deux se précisent, d’autant que Jun apparaît tenté par les mouvements radicaux et anti-japonais. Multipliant les anecdotes sur la vie quotidienne en Corée à cette époque, le volume à la pagination généreuse séduit évidemment comme le premier par le dessin raffiné de Yudori.
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* Les cieux noirs, Journal d'un
Agronome en Afghanistan
Scénario Alain Bujak, dessin Andrés Abiuso
112 pages
Futuropolis
18 euros
** Hazara blues
Scénario Reza Sahibdad, dessin Yann Damezin
240 pages
Sarbacane
29,50 euros
*** La danseuse aux dents
noires
Scénario Jean-Laurent et Olivier Truc, dessin
Éric Stalner
128 pages
Aire Libre
21,95 euros
**** Les enfants de l’Empire,
tome 2
Scénario et dessin Yudori
224 pages
Delcourt
20,50 euros
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