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L'ASIE DESSINÉE

BD : deux enfants face aux conséquences de Fukushima


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 4 octobre 2024

Une émouvante bande dessinée montre le combat de deux enfants pour revenir à la vie après la catastrophe nucléaire. Également au sommaire de cette chronique, une superbe plongée dans la Corée des années 1930.

Patrick de Jacquelot

La catastrophe de Fukushima – l’accident nucléaire provoqué par un tsunami le 11 mars 2011 – a inspiré de multiples auteurs de bandes dessinées. On se souvient de Fukushima, chronique d’un accident sans fin, qui reconstitue le fil des événements, de Les cerisiers fleurissent malgré tout, qui évoque la façon dont une Japonaise expatriée a vécu la catastrophe, et de Au cœur de Fukushima, étonnant reportage à l’intérieur du chantier de démantèlement de la centrale accidentée. Avec Retour à Tomioka*, c’est une approche complètement différente qu’adoptent deux auteurs français.

Ce très beau récit « jeunesse » suit deux enfants : Osamu, un jeune garçon d’une dizaine d’années, et sa grande sœur Akiko. Ils ont perdu leurs parents dans la catastrophe et vivent depuis chez leur grand-mère, non loin de la zone interdite. Osamu s’est réfugié dans un monde imaginaire, plein de yôkai, petits êtres magiques du folklore japonais. Akiko, pour sa part, s’intéresse surtout aux tutoriels de maquillage qu’elle réalise sur Internet pour ses amies.

Détail de la couverture de "Retour à Tomioka", scénario Laurent Galandon, dessin Michaël Crouzat, Jungle. (Crédit : Jungle)
Quand leur grand-mère meurt, les deux enfants n’ont plus d’autre ressource que d’aller vivre à Tokyo chez une cousine éloignée qu’ils connaissent à peine. Mais Osamu décide qu’il faut d’abord, conformément aux traditions, aller déposer les cendres de la grand-mère dans la maison familiale de Tomioka, en pleine zone irradiée dont l’accès est rigoureusement interdit.

Après avoir tenté de le dissuader, Akiko finit par lui apporter son plein soutien. Tous deux se lancent dans la dangereuse traversée des environs de Fukushima, poursuivi par la cousine, le petit ami de celle-ci qui voudrait tout laisser tomber, et la police locale. Déployant des trésors d’ingéniosité pour échapper aux recherches, les enfants font des rencontres étonnantes : des autruches, des chiens sauvages, un vieil homme qui se consacre aux animaux abandonnés dans la zone interdite – et aussi des yôkai, pas toujours gentils. Osamu fait connaissance du yôkai des radiations, mortel, qui tente de le dissuader d’avancer dans la zone irradiée avant de lui apporter une aide inattendue…

D’une grande sensibilité, cette histoire oscille entre le réalisme et le merveilleux. Réalisme quant aux conséquences de la catastrophe de Fukushima sur les populations locales une dizaine d’années plus tard, et sur l’attitude de rejet de nombreux Japonais vis-à-vis des habitants de la zone. Une attitude personnifiée par le petit ami de la cousine qui veut s’éloigner au plus vite de la région et est extrêmement réticent à accueillir chez lui des enfants qui viennent de Fukushima. Quand il finira par rompre, la cousine conclura : « Il devait choisir entre la vie et la peur, il a opté pour la peur. Moi, pour la vie. » Merveilleux : les petits êtres fantastiques qui peuplent le monde d’Osamu prennent de plus en plus de consistance avec l’avancée du récit et finissent par lui permettre de mener sa quête à bien avant de le pousser à revenir dans le monde réel.

Bien loin de tout réquisitoire pour ou contre le nucléaire, Retour à Tomioka est avant tout une histoire émouvante, très joliment dessinée, sur le deuil, le retour à la vie et l’amour qui unit un frère et une sœur dans l’adversité.


Changement de lieu et d’époque avec le tome 1 de Les enfants de l’Empire**. Nous voici en Corée au début des années 1930. Une Corée occupée par le Japon et qui commence tout juste à s’ouvrir au monde. Le récit est là encore centré sur deux adolescents, mais pas frère et sœur cette fois. Il y a d’un côté Arisa Jo, fille d’un très riche commerçant, et de l’autre Jun Seomoon, descendant d’une ancienne famille aristocratique ruinée entrée au service de M. Jo. Ce dernier et sa fille adoptent avec bonheur les façons de vivre venues du Japon et d’Occident. Arisa s’habille à l’européenne, sort seule dans les rues, adresse la parole aux hommes qu’elle rencontre et mange du « beef steak » dans les restaurants chics de la capitale… Toutes choses qui scandalisent la société ultra traditionaliste qui prévaut encore en Corée.

Élevé dans ces traditions, justement, Jun n’est pas moins choqué par les extravagances et la liberté d’allures d’Arisa. Choqué mais aussi fasciné : Arisa est extrêmement belle et s’intéresse beaucoup à lui. Refusant de le traiter en domestique, elle recherche sa compagnie, sensible à l’intelligence de ce jeune homme qui brille dans ses études.

Au-delà de l’intrigue sentimentale qui pointe dans ce premier volume, Les enfants de l’Empire brosse un très intéressant portrait d’une société en transition. Cette Corée d’il y a quatre-vingt-dix ans, soumise au Japon, est encore plus proche de l’ère médiévale que de l’époque contemporaine, et bien éloignée du pays symbole de modernité qu’elle est devenue aujourd’hui. Œuvre d’une scénariste et dessinatrice coréenne, Yudori, le volume bénéficie de son dessin enchanteur, au trait raffiné et aux couleurs subtiles. Une série à suivre.


Casterman poursuit la réédition des œuvres de Taniguchi, l’un des plus grands auteurs de mangas. Après notamment le chef-d’œuvre qu’est Quartier lointain, voici Un zoo en hiver***. Partiellement autobiographique, ce long récit raconte l’arrivée à Tokyo d’un jeune homme qui rêve de devenir mangaka (auteur de mangas), sa découverte de la vie professionnelle et de la vie tout court. Un beau récit d’apprentissage qui présente l’intérêt de faire découvrir de l’intérieur le fonctionnement de l’industrie de la bande dessinée japonaise, son organisation par ateliers autour d’un maître et ses horaires de travail proprement stupéfiants…



Vous rêvez de vous initier aux médecines traditionnelles chinoises, au yin et au yang, au feng shui, au qigong, à l’acuponcture ? Alors La montagne du Tao**** est une BD faite pour vous. Écrit par un scénariste pratiquant et enseignant plusieurs de ces disciplines, cet album fondamentalement pédagogique emprunte les chemins de la fiction pour délivrer son message. On y suit une jeune Française, Fany, arrivant à Shanghai en 1937. Étudiant le mandarin, elle vient en Chine pour approfondir sa connaissance de la culture du pays. Très vite, les Chinois qu’elle rencontre l’initient à la philosophie du Tao et aux diverses pratiques médicinales traditionnelles. L’utilisation de la fiction, avec un brin d’aventure, permet de faire passer facilement les exposés sur les doctrines en question. Évidemment, on n’échappe pas au personnage de l’Occidental sceptique qui non seulement rejette la culture chinoise mais en plus la pille pour alimenter un commerce d’antiquités. Mais le lecteur intéressé y trouvera une information de base.


Destiné aux enfants qui se passionnent pour le sujet, Le livre extraordinaire du Japon ancestral***** répond à un concept original : un livre très grand format qui présente sur autant de doubles pages 36 objets représentatifs du Japon ancien. Ces objets ne sont pas photographiés mais entièrement redessinés. Ils sont accompagnés de notices détaillant leur signification et de fiches techniques donnant les précisions nécessaires (âge, origine, dimensions, etc.). En feuilletant l’ouvrage, on passe d’une armure de samouraï à une estampe représentant un combat de sumo, d’un kimono ancien à un bouddha géant, d’un éventail en papier à un paravent fleuri. Une belle réalisation qui peut faire découvrir aux enfants que la culture japonaise n’a pas commencé avec les mangas et les animés !


* Retour à Tomioka
Scénario Laurent Galandon, dessin Michaël Crouzat
104 pages
Jungle
19 euros

** Les enfants de l’Empire, tome 1
Scénario et dessin Yudori
224 pages
Delcourt
19,99 euros

*** Un zoo en hiver
Scénario et dessin Jirô Taniguchi
272 pages
Casterman
24 euros

**** La montagne du Tao
Scénario Yohan Coeurderoy, dessin Lorenzo Chiavini
128 pages
Quadrants
17,95 euros

***** Le livre extraordinaire du Japon ancestral
Texte Peter Chrisp, dessin Engenia Nobati
80 pages
Little Urban
24 euros


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