Accueil |
Articles |
Photos |
Profil |
Contact |
Dossier spécial début des élections 2/3
Sortir de la paralysie politique
Les Echos, 7 avril 2014
ANALYSE - S'il est certes toujours tentant de considérer qu'une élection générale est décisive, c'est spécialement vrai de celle-ci - beaucoup plus que la précédente de 2009, qui intervenait alors que l'Inde semblait sur les rails d'un développement rapide, appuyé sur une croissance de 9 % et plus.
Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi
Les cinq années du deuxième gouvernement de Manmohan Singh (qui aura été Premier ministre dix ans de suite) auront été marquées par un atterrissage brutal. Sur le plan économique : la croissance s'est effondrée. Durant l'année fiscale 2012-2013 à la fin mars, elle s'est établie à 4,5 %. Pour l'exercice qui vient de s'achever, le chiffre devrait demeurer sous les 5 %. Et la reprise anticipée n'interviendra que lentement.
Sur le plan social : l'informatique de pointe et l'enrichissement rapide des classes moyennes ne doivent pas faire illusion, l'Inde demeure un pays pauvre. Son PIB par habitant de 1.400 à 1.500 dollars représente à peine le quart de celui de la Chine et est de loin le plus faible des BRICS. La croissance de la décennie écoulée a certes fait reculer l'extrême pauvreté, mais la vie de centaines de millions d'Indiens demeure très difficile. Selon le consultant McKinsey, 680 millions du 1,2 milliard d'Indiens n'ont pas les moyens de répondre à leurs « besoins essentiels ». Non pas que le gouvernement n'ait pas essayé d'aider les populations en difficulté, mais la moitié des fonds publics qui leur sont consacrés ne leur parvient pas, estime le consultant.
Rahul Gandhi, photogénique et puis? |
Les raisons de ces contre-performances sont multiples : mauvaise gestion macroéconomique, choix budgétaires désastreux, comme le fait de dépenser plus pour les subventions des produits pétroliers que pour l'éducation et la santé. Il y a surtout la paralysie dans laquelle s'est enfoncée la machine administrative et politique depuis cinq ans. Une impressionnante série de scandales de corruption s'est abattue sur le gouvernement, allant de l'attribution de fréquences de téléphonie mobile à celle de licences minières. Quelques arrestations à haut niveau et l'ouverture d'enquêtes sur les décisions gouvernementales, pour bienvenues qu'elles aient été, ont eu un effet pervers : ministres et hauts fonctionnaires se sont convaincus que la seule option pour être insoupçonnable était de ne plus rien décider.
Fort logiquement, tout le processus d'investissement public et privé a été frappé. Les projets d'infrastructures sont bloqués faute de pouvoir acheter les terrains, les nouvelles usines sont restées en plan par manque de permis environnementaux, les centrales électriques privées n'ont pas vu le jour n'ayant pu signer de contrat d'approvisionnement en charbon auprès du groupe public Coal India.
En quête d'un homme fort
Pour les Indiens, la priorité numéro un est de remettre en route l'administration, toute-puissante, omniprésente. « Les électeurs veulent un gouvernement qui fonctionne », résume Philip Oldenburg, professeur de sciences politiques à la Columbia University. Dans ces conditions, on comprend la popularité de Narendra Modi, le leader de l'opposition, qui s'est méthodiquement bâti une image de leader fort, autoritaire, capable de faire marcher les administrations à la baguette et accordant la priorité au développement du pays.
Lui ou un autre, le prochain Premier ministre devra trouver le moyen de débloquer des investissements massifs dans les infrastructures physiques (énergie, transports…) et sociales (éducation, santé) de l'Inde. Avec un impératif en toile de fond : pour absorber le flot des jeunes arrivant à l'âge adulte, le pays va devoir créer pendant dix ans 1 million de nouveaux emplois… chaque mois.
Les deux grands partis proches sur l'économie, pas sur le social
Le programme du Parti du Congrès...
Pendant les dix années écoulées, le parti de la famille Gandhi a institué divers « droits » : à l'information, à l'éducation, à l'alimentation, aux emplois garantis dans le monde rural. Il promet plusieurs nouveaux droits.
- Un droit à la santé offrira un accès universel à des soins de qualité : les dépenses publiques seront portées à 3 % du PIB.
- Un droit à la retraite universel et un droit au logement iront aux populations défavorisées.
- Une formation professionnelle sera fournie à 100 millions de jeunes dans les cinq ans.
- L'économie retrouvera une croissance de 8 % par an d'ici à trois ans.
- L'Inde passera en cinq ans du 134e au 75e rang mondial dans le classement de la facilité à faire des affaires, grâce à des réformes administratives.
- 1.000 milliards de dollars seront investis dans les infrastructures en dix ans (chiffre déjà prévu dans le plan quinquennal en cours, très loin d'être tenu).
- La production industrielle devra passer à 25 % du PIB (contre 16 % en 2013), avec la création de zones d'investissement, de corridors industriels et de villes nouvelles.
- Toutes les villes de plus de 1 million d'habitants seront reliées par les trains à grande vitesse (il n'en existe pas un seul à ce jour).
- L'accès à l'électricité passera de 94 à 100 % dans les villes et de 67,3 à 90 % dans les campagnes.
- Le programme reprend l'idée de quotas pour les basses castes dans le secteur privé, contre laquelle les entreprises luttent depuis des années.
... et celui du BJP
Apparemment difficile à mettre au point, le programme du BJP ne sera publié que ce matin. On en connaît néanmoins les grandes lignes.
- La priorité numéro un sera de « faire revivre l'investissement », a affirmé à la presse internationale Arun Jaitley, chef de l'opposition à la Chambre basse du Parlement. Pour « rétablir la confiance dans l'économie », le gouvernement s'attachera à améliorer la facilité à faire des affaires en Inde.
- « Renverser le flux des sorties de capitaux » est aussi une priorité, le parti se préoccupant du fait que de nombreux entrepreneurs indiens choisissent « d'investir à l'étranger ».
- Le BJP est toujours hostile aux investissements directs étrangers dans la grande distribution, une réforme lancée par le gouvernement sortant. Mais ça ne veut pas dire que le parti « a la moindre réserve » sur le principe même des investissements directs étrangers (IDE), selon Arun Jaitley. Le BJP pourrait par exemple favoriser les investissements étrangers dans la défense afin d'aider au développement d'une industrie locale dans ce secteur.
- Les grands investissements dans les infrastructures seront prioritaires : création des cent « villes nouvelles intelligentes », mise en place d'un réseau de TGV…
- La position du parti sur les grandes lois sociales du Congrès, populaires et coûteuses, est ambiguë. D'un côté il les a toutes votées, d'un autre il peut vouloir utiliser l'argent ailleurs. Selon Arun Jaitley, « l'important, c'est de mettre ces droits en oeuvre, plutôt que d'en créer de nouveaux et de ne pas les appliquer ».
P. de J.
L'ex-patron d'Infosys se lance dans la politique
Une reconversion à risque.
Un homme qui a symbolisé l'Inde qui gagne, le succès mondial des services informatiques made in Bangalore, peut-il connaître une nouvelle carrière politique au sommet ? C'est le pari de Nandan Nilekani, l'un des plus célèbres hommes d'affaires indiens, candidat pour un siège de député à Bangalore précisément.
Nandan Nilekani, tout sauf un profil de perdant |
La carrière de Nilekani est intimement liée à la capitale de la high-tech indienne. C'est là que, avec quelques collègues, il a créé Infosys en 1981, une SSII devenue un géant du secteur et qui a imposé l'Inde comme fournisseur de services informatiques pour le monde entier. Une « success story » qui fait rêver la jeunesse indienne et qui a bien profité à ses promoteurs : dans sa déclaration de patrimoine pré-électorale, Nilekani affiche une fortune de 930 millions d'euros, ce qui en fait sans doute le plus riche de tous les candidats.
Nilekani n'est pas passé sans transition de la direction générale d'Infosys au combat électoral dans les rues de Bangalore. En 2009, le Premier ministre, Manmohan Singh, lui a demandé de mener, avec rang de ministre, le projet monumental d'attribution à chaque Indien d'un numéro d'identification unique. Un projet qui se voulait aussi innovant sur les plans technique que social. L'idée était d'utiliser la biométrie pour sécuriser notamment la distribution des prestations sociales aux populations pauvres, prestations qui sont massivement détournées. Le projet est pour l'heure au milieu du gué. L'agence créée par Nilekani a distribué 600 millions de numéros d'identification, ce qui n'est pas rien. Mais divers problèmes, y compris l'hostilité d'une partie du gouvernement, font que ces numéros sont encore peu utilisables.
Après les mondes de l'entreprise et de la haute administration, Nilekani veut désormais se consacrer au développement de l'Inde par le biais de l'action politique traditionnelle, où il estime que son expérience en matière d'innovation fera merveille. Une seule chose intrigue : il se lance sous les couleurs du Parti du Congrès, ce qui est naturel vu les fonctions qu'il occupait jusqu'ici. Mais le Congrès est donné perdant dans ces élections. Et choisir le camp des perdants, ça ne lui ressemble pas.
P. de J.
Accueil |
Articles |
Photos |
Profil |
Contact |