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L'ASIE DESSINÉE
BD : du danger d’être journaliste au Pakistan
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 29 avril 2023
Taha Siddiqui livre avec Dissident Club
un témoignage terrifiant – mais plein d’humour – sur
la radicalisation d’une famille pakistanaise ordinaire
et le danger de mort auquel s’expose un journaliste
qui veut faire son travail dans son pays. À lire
également, un thriller angoissant sur la guerre du
Vietnam et un ouvrage sur l’ethnie oubliée des Hmongs.
Patrick de Jacquelot
Être
journaliste au Pakistan, et qui plus est journaliste
d’investigation, ce n’est pas de tout repos. La bande
dessinée Dissident Club, Chronique d’un journaliste
pakistanais exilé en France*, autobiographie de
Taha Siddiqui, commence ainsi très fort avec la
tentative d’enlèvement et d’assassinat qui l’a visé à
Islamabad en 2018. Événement qui l’a conduit à fuir son
pays et à s’installer en France où il réside de nos
jours.
Après cette brutale entrée en matière, Siddiqui fait un
long retour en arrière et revient à la base : sa
naissance en 1984 en Arabie saoudite où résidaient ses
parents. Un « petit couple » aimant…
dont il décrit minutieusement la radicalisation.
Progressivement, les enfants de la famille se voient
interdire les contes de fées occidentaux, les fêtes
d’anniversaire, les coloriages Batman et Superman. En
grandissant, Taha Siddiqui découvre la proximité de son
père et de sa famille avec le mouvement terroriste
Lashkar-e-Taiba. Curieusement, ses parents, tout en se
radicalisant de plus en plus, veulent malgré tout
assurer à leurs enfants une éducation moderne. D’où des
va-et-vient incessants. À une année dans une école
coranique où l’enseignement se limite à la mémorisation
du Coran succède une école internationale qui mêle
garçons et filles alors même que l’enseignement mixte
est strictement interdit en Arabie.
Extrait de "Dissident Club",
scénario Taha Siddiqui et Hubert
Maury, dessin Hubert Maury (Crédit :
Glénat)
|
C’est à l’université que Taha Siddiqui découvre sa vocation : devenir journaliste pour pouvoir véritablement « comprendre son pays » et « faire partie de ce nouveau Pakistan en devenir ». Sa candidature à la chaîne de télévision CNBC est acceptée, à la grande horreur de ses parents. Puis le jeune journaliste fait ses armes sur la chaîne d’information Geo News où il couvre la politique. Il plonge dans les méandres des relations troubles entre l’armée et les groupes terroristes, couvre l’attentat contre Benazir Bhutto. Installé à Islamabad, Taha travaille désormais pour différents médias internationaux où il couvre des affaires aussi explosives que l’assassinat de Benazir Bhutto, la chute de Musharraf, les attentats de Bombay organisés par le mouvement terroriste que soutient son père, des attentats à la pelle… Puis viennent les manœuvres d’intimidation de la part de l’armée, des assassinats de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme. Jusqu’à la tentative d’assassinat contre Siddiqui évoquée au début du volume. Après laquelle il ne lui reste plus qu’à s’exiler à Paris où il ouvre un bar destiné à accueillir les dissidents du monde entier, le « Dissident Club ».
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Passionnant de bout en bout, ce long récit livre à la fois un résumé de l’histoire récente du Pakistan et la chronique de la radicalisation d’une famille ordinaire. Les deux volets, l’intime et le politique, se mêlent en toute fluidité, portés par le dessin anguleux d’Hubert Maury. Nul ne pouvait mieux que ce dernier, sans doute, réaliser cet album : Maury présente en effet la caractéristique certainement unique d’avoir été militaire, diplomate et spécialiste du Pakistan. On lui doit d’ailleurs déjà la remarquable BD Le Pays des Purs consacrée aux reportages au Pakistan de la photographe Sarah Caron. Empreint d’un humour constant, notamment dans la description des réactions enfantines face aux oukases de l’intégrisme religieux, Dissident Club s’impose comme un manifeste indispensable en faveur du travail des journalistes face à l’oppression.
Pas très souvent présent dans les bandes dessinées de ces dernières années, le Vietnam envahit les rayons BD depuis quelques mois avec une série d’œuvres de premier ordre : 40 hommes et 12 fusils, Sông, Taï Dam et The magic fish. Alors que tous ces albums sont à des degrés divers (auto)biographiques, Latah** est une fiction pure, tirant même sur le fantastique. Cet album coup de poing qui évoque les horreurs de la guerre du Vietnam vient ainsi compléter parfaitement la gamme des publications récentes.
On y suit un petit groupe de soldats américains, flanqués d’un photographe vietnamien qui s’est imposé parmi eux, dans la jungle du Sud-Vietnam en 1965. En s’enfonçant dans la forêt, ils sont confrontés à des phénomènes de plus en plus terrifiants : découverte de cadavres horriblement mutilés, mort de certains membres de la troupe sans cause compréhensible, perte de tous leurs moyens d’orientation… Au fur et à mesure de leur avancée, le groupe se fait décimer. Le lecteur comprend au bout d’un moment que l’horreur qui submerge les soldats n’est que le reflet de celle qu’ils ont causé précédemment lors d’un « dérapage » au début de leur mission. Le récit bascule alors dans le fantastique, sur un thème que l’on ne dévoilera pas.
Ce véritable thriller, qui mêle récits de guerre et de survie, offre une plongée hallucinante dans les horreurs d’un conflit où les tueurs sont eux-mêmes complètement perdus. De facture très classique avec son dessin réaliste, la BD, qui évoque à certains moments le film de Coppola Apocalypse Now, ne se lâche pas tout au long de ses plus de 120 pages. Une réussite impressionnante.
Ce roman graphique commence par un véritable petit traité sur le peuple hmong avant de tourner à la chronique familiale. Considérant à juste titre que les lecteurs ignorent tout de son peuple, l’auteure résume l’histoire de ce dernier : originaires de Chine, les Hmongs ont fui les persécutions au XVIIIème siècle pour s’installer en Asie du Sud-Est. Après une évocation de leurs rites et coutumes traditionnels, elle aborde le sujet douloureux de l’histoire récente de ce peuple qui s’est retrouvé « du mauvais côté de l’histoire », comme le note dans sa préface le grand reporter Cyril Payen, spécialiste de la question.
De fait, cette ethnie guerrière a accumulé après la Seconde Guerre mondiale des choix qui se révèleront désastreux : collaboration avec les autorités coloniales françaises, engagement au côté de la monarchie laotienne contre les communistes, trafic d’opium avec les services secrets français, travail pour la CIA après le retrait de la France… Au nom de « la lutte pour leurs libertés », les Hmongs se sont systématiquement trouvés du côté des perdants, Français, Américains ou royalistes laotiens. Le prix à payer a été lourd : la victoire des communistes au Laos a entraîné une répression sévère contre le peuple hmong dont une grande partie a opté pour l’exil en France, aux États-Unis ou ailleurs.
Après cette première partie très pédagogique, Vicky Lyfoung aborde une registre beaucoup plus personnel en décrivant sa découverte progressive de son histoire familiale : la trajectoire de ses parents au Laos, la fuite en Thaïlande de sa mère, l’installation de la famille en France, etc. Avec deux sentiments en conclusion : la gratitude envers ses parents pour être venus en France (où elle est née) et lui avoir donc permis de mener une vie « normale », conjuguée à une terrible angoisse pour les Hmongs restés au Laos, victimes d’une disparition progressive et silencieuse.
Bien mené, le volume se caractérise par le décalage constant entre des textes « sérieux » et informatifs et l’humour léger des dessins qui fait passer une histoire fondamentalement tragique.
* Dissident Club, Chronique d’un
journaliste pakistanais exilé en France
Scénario Taha Siddiqui et Hubert Maury, dessin
Hubert Maury
272 pages
Glénat
29 euros
** Latah
Scénario et desin Thomas Legrain
128 pages
Le Lombard
23,50 euros
*** Hmong
Scénario et dessin Vicky Lyfoung
160 pages
Delcourt
16,50 euros
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