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L'ASIE DESSINÉE

BD : le mystère Xi Jinping à la loupe


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 2 novembre 2024

Un épais roman graphique ausculte la personnalité méconnue et complexe du dictateur chinois. Et le premier volume de la collection « Albert Londres » nous fait redécouvrir les grands reportages d’Henri de Turenne pendant la guerre de Corée.

Patrick de Jacquelot

C’est sans doute l’individu le plus puissant de la planète, le président américain étant davantage contraint que lui : Xi Jinping, secrétaire générale du Parti communiste chinois et dirigeant aux pouvoirs quasiment illimités de la deuxième superpuissance mondiale, a de quoi fasciner et inquiéter à parts égales. Mais cet homme plutôt secret n’est finalement guère connu du public occidental. C’est tout le mérite de la copieuse bande dessinée Xi Jinping, l’empereur du silence* que de livrer un portrait complet des plus instructifs sur le maître de la Chine.

Scénarisé par Eric Meyer qui fut pendant plus de trente ans journaliste en Chine, l’album commence par des pages sur l’enfance de Xi qui seront une découverte pour la plupart des lecteurs. On y voit l’environnement dans lequel est élevé un « petit prince rouge » (c’est le titre du premier chapitre). Fils de ministre, l’enfant baigne dans le culte de la Révolution tout en menant une existence des plus privilégiées : belle villa, école et plage réservées à l’élite… Des privilèges totalement justifiés par le fait que « on était les gosses de l’élite, ceux qui, de père en fils, vivaient jour et nuit pour la Révolution ». Ce qui vaut des perles comme la suivante : alors que la mère de Xi s’émeut d’avoir vu un vieillard misérable à la porte de sa résidence, son mari lui reproche son « sentimentalisme de bourgeois libéral ».

Détail de la couverture de "Xi Jinping, l’empereur du silence", Delcourt (Crédit : Delcourt)
Mais dans le monde impitoyable du Parti communiste chinois, l’abîme n’est pas loin du sommet… Voilà que le père de Xi est dénoncé pour révisionnisme : du jour au lendemain, la famille modèle du communisme triomphant se transforme en « parias ». Ce qui amène le jeune homme à se fixer deux objectifs pour les années à venir : « réhabiliter mon père sans nier ses fautes ni perdre foi dans le parti », et surtout consacrer « toutes mes forces » à survivre… Les horreurs de la Révolution culturelle n’épargnent pas Xi et sa famille – une demi-sœur est poussée au suicide par les mauvais traitements – et le jeune homme est soumis à des emprisonnements et des périodes de rééducation. Dans ces épreuves, il se forge une conviction : quoi qu’il arrive, « on aura toujours besoin de sa famille ». De fait, quand des jours meilleurs arriveront avec la fin de la Révolution culturelle, les liens familiaux du jeune homme, et surtout sa mère, très introduite dans les sphères dirigeantes, joueront à plein pour faciliter sa carrière.

Pour Xi, ces années d’épreuves s’achèvent avec sa réhabilitation à l’âge de 22 ans. Il en ressort avec un foi inébranlable dans le Parti, « seule source d’énergie infinie ». C’est le paradoxe difficilement compréhensible que l’on retrouve par exemple dans l’exceptionnelle Une vie chinoise de Li Kunwu : des personnes ayant subi les pires atrocités et assisté aux incroyables désastres du Grand bond en avant et de la Révolution culturelle sans remettre en cause un instant leur dévotion envers Mao et le Parti communiste.

La BD chronique ensuite les différentes étapes de la carrière de Xi Jinping, durant laquelle il suit deux règles d’or : « ne jamais se faire d’ennemis, ne jamais se mettre en avant ». Étape importante : sa nomination à la tête d’une ville moyenne de province où il déploie ses qualités d’organisateur en améliorant les infrastructures, l’agriculture, la lutte contre le crime, etc. Petit à petit, il se forge l’image d’un homme efficace, qui ne dévie jamais de la ligne du Parti.
Les différentes phases de son irrésistible ascension vers les sommets sont ensuite retracées. Issu des élites rouges, poussé par elles, Xi, dont l’ambition est sans limite, gravit une à une les marches du pouvoir en écartant impitoyablement toute voix dissidente. Les « hauts faits » du leader en matière de répression au Tibet, au Xinjiang et à Hong Kong sont rappelés, ainsi que ses convoitises envers les îles au large des Philippines et bien sûr Taïwan. En toile de fond de la description de la vie de Xi Jinping, l’évocation des mœurs de l’élite communiste vaut le détour : privilèges sans fins, train de vie extravagant nourri par la corruption, règlements de compte, assassinats, disparitions…

Efficace, le dessin de Gianluca Costantini se met tout entier au service du très abondant texte pour produire au final un ouvrage des plus informatif qui brosse un portrait terriblement inquiétant : celui d’un homme déterminé, impitoyable, mais parfois aussi rongé par le doute sur son destin, et qui ne reculerait sans doute pas devant n’importe quelle fuite en avant.


Faire revivre les grands reportages couronnés jadis par le prix Albert Londres, tel est l’objectif de la nouvelle collection « Albert Londres » créée par les éditions Aire Libre/Dupuis et l’Association du Prix Albert Londres. Avec dans l’idée à la fois de raconter des grands moments de l’histoire du XXème siècle et de décrire la pratique du métier de journaliste. Cinq volumes ont été mis en chantier pour des parutions échelonnées jusqu’en 2027 et le premier vient de paraître : il s’agit de Sur le front de Corée** d’après les reportages d’Henri de Turenne.

Né en 1921, ce dernier part en 1950 couvrir la guerre de Corée pour l’AFP. Ses reportages parus dans Le Figaro lui vaudront le prix Albert Londres en 1951. Conformément à la ligne éditoriale de cette nouvelle collection, le volume évoque le contenu des reportages de Turenne mais aussi les conditions dans lesquelles ils ont été réalisés.

Au fil des pages dessinées dans un style réaliste par l’artiste argentin Rafael Ortiz, on revit ce conflit dont on ne sait souvent plus grand-chose aujourd’hui, à part le fait qu’il a débouché sur la création de deux Corées. On assiste aux revers initiaux subis par l’armée américaine puis aux incroyables retournements de situation avec les prises successives de Séoul par les troupes du Nord et celles du Sud. Parmi les scènes les plus marquantes, Turenne décrit le débarquement massif de l’arme américaine à Incheon, sur les arrières des troupes du Nord ou encore l’assassinat de sang-froid de collaborateurs des Nord-Coréens par les troupes du Sud. Reprenant le dessus, les Américains s’emparent sans résistance de Pyongyang, la capitale du Nord, avant que l’entrée en guerre de l’armée chinoise ne vienne rebattre les cartes.

Outre cette plongée dans les événements militaires de quelques mois de la guerre de Corée, l’album évoque abondamment les conditions de travail d’Henri de Turenne et de ses collègues. Il faut dire que les auteurs ont eu accès aux Mémoires inédits du journaliste qui fournissent de multiples détails à cet égard. Le travail du correspondant de guerre est donc mis en scène : les difficultés pour trouver des moyens de déplacement au milieu des combats, les galères pour accéder à un téléphone afin de dicter les articles au bureau de l’AFP à Tokyo, les périodes de calme trompeur suivies d’explosions de violence, les moments de peur et de doute. Et puis les face-à-face avec la mort, dont celle de confrères et amis. Un premier volume très réussi pour une collection qui méritera d’être suivie de près.


Durant les derniers mois de 1944, alors que le Japon sent venir la défaite, un groupe de pilotes d’élite est rassemblé pour organiser la défense de Tokyo contre les bombardements américains. C’est leur histoire que raconte le manga 343 Sword Squad*** dont le tome 1 vient de paraître. On y voit Naoshi Kanno, as des as de l’aviation japonaise, être choisi pour diriger cette équipe. Une nomination qu’il cherche à refuser : cela voudrait dire abandonner les combats sur le front au moins dans un premier temps, ce qui serait déshonorant. Le pilote vedette préfèrerait de loin être le premier à inaugurer la nouvelle tactique des attaques kamikazes mise au point par l’état-major…

Ce manga se présente comme un hommage absolu aux pilotes de l’armée de l’air japonaise. L’auteur Souichi Sumoto précise d’ailleurs en introduction : « J’ai mis dans ma plume toute mon âme et mon énergie pour relater la détermination au combat [de nos as de l’aviation] ainsi que les exploits qu’ils nous ont laissés. » Autant dire qu’il n’y a pas le moindre recul dans cette évocation de la fin de la guerre du Pacifique. Les pilotes ne rêvent pas de plus grand honneur que de mourir en lançant ce que l’on appelle par euphémisme une « attaque spéciale », c’est-à-dire une mission suicide kamikaze. Et quand Naoshi Kanno reçoit la visite de sa petite sœur et lui annonce qu’ils ne se reverront jamais, celle-ci se met au garde-à-vous et lui lance : « Tu es notre héros à tous, bats-toi de toutes tes forces ! »

Ce manga résolument militariste vaut malgré tout pour sa virtuosité graphique. Les scènes de combats aériens sont impressionnantes avec des successions échevelées d’angles de vue, plongées et contre-plongées. De quoi ravir les amateurs de BD de guerre et d’aviation. Pour des mangas donnant un point de vue japonais plus distancié sur la Seconde Guerre mondiale, on pourra se reporter à deux extraordinaires séries : Peleliu et Sengo.



* Xi Jinping, l’empereur du silence
Scénario Eric Meyer, dessin Gianluca Costantini
240 pages
Delcourt
27,95 euros

** Sur le front de Corée
Scénario Stéphane Marchetti, dessin Rafael Ortiz
128 pages
Aire Libre
25 euros

*** 343 Sword Squad, tome 1
Scénario et dessin Souichi Sumoto
176 pages
Delcourt/Tonkam
8,50 euros


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