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L'ASIE DESSINÉE

BD : de la Chine médiévale à l'Inde du XIXe siècle, des fêtes sous le signe de l’aventure


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 10 décembre 2021

Chine, Inde, Japon, du passé et du futur : voici une brassée de grandes BD d’aventure qui feront d’excellents cadeaux pour les fêtes de fin d’année. Tout comme un étonnant « livre accordéon » de 20 mètres de long chroniquant la vie d’un village chinois.

Patrick de Jacquelot

Ce n’est pas l’axe principal des ouvrages passés en revue dans « L’Asie dessinée », mais les BD d’aventures se passant en Asie sont nombreuses, et souvent de grande qualité. Elles donnent, elles aussi, l’occasion d’apprendre sur ce continent, ses mœurs, son Histoire, et bien sûr de découvrir ses paysages. Notre chronique vous présente donc à l’occasion des fêtes de fin d’année une demi-douzaine de séries qui, superbement dessinées, feront de parfaits cadeaux pour les lecteurs de tous âges.

Pour de la grande aventure, en voici avec le premier tome des Brumes écarlates* ! Ce récit de fantasy situé dans une Chine médiévale fantasmée obéit à toutes les lois du genre : royaumes rivaux, magie, recherche d’une pierre mystérieuse aux grands pouvoirs, complots, trahisons, etc. Principale caractéristique de cet univers : la présence des « brumes écarlates », d’origine inconnue qui, lorsqu’elles se répandent, détruisent la vie. Ce qui oblige les hommes à se réfugier sur le sommet des collines et des montagnes.

Extrait de "Nautilus", tome 1 : "Le théâtre des ombres", scénario Mathieu Mariolle, dessin Guénaël Grabowski, Glénat (Copyright : Glénat) 

Si la trame de l’histoire n’est pas fondamentalement originale par rapport à de multiples autres histoires de fantasy, ce manhua (bande dessinée chinoise) se singularise par son graphisme. Le dessinateur chinois Wu Qingsong, déjà remarqué pour l’excellent Shi Xiu, reine des pirates y déploie une virtuosité confondante, qu’il s’agisse de scènes de nature, d’armures fantastiques, de monstres ou de batailles se déroulant dans l’inquiétante atmosphère pourpre qui baigne le récit. La trame de celui-ci n’est pas toujours évidente à suivre mais la beauté des pages emporte tout.

 



À lire : le « Best of » de l’Asie dessinée, les vingt-cinq meilleures BD chroniquées depuis 2016

"Les brumes écarlates", couverture et page 14

Après la Chine médiévale, place à l’Inde du XIXème siècle avec la saga Nautilus** dont les deux premiers tomes, Le théâtre des ombres et Mobilis in Mobile viennent de paraître. L’histoire est basée sur la rencontre de deux héros de la littérature de l’époque : Kim, le personnage de Kipling dans le roman du même nom, et le capitaine Nemo de Jules Verne. Passablement alambiquée, l’intrigue voit Kim, agent secret au service de l’Empire britannique des Indes, victime de fausses accusations dans un sombre complot visant à déclencher la guerre entre la Russie et l’Angleterre. La preuve du complot et de l’innocence de Kim se trouvant dans une épave au fond de la mer, ce dernier a besoin du Nautilus de Nemo pour y accéder. Mais le célèbre commandant du sous-marin, prince indien déchu, a ses propres motivations qui n’incluent pas de venir en aide à l’Empire.

Inspirée des romans feuilletons du XIXème siècle, l’histoire nous entraîne à un rythme d’enfer à travers toute l’Inde, de Bombay jusqu’à l’Himalaya, avec même une longue incursion en Sibérie. Comme dans Les brumes écarlates, la réussite de la BD tient pour beaucoup à la beauté de la réalisation graphique. Les scènes de rue et les paysages séduisent, mais la palme revient à la prodigieuse machine qu’est le Nautilus et aux scènes de mer. Un troisième et dernier album viendra clore la série.

"Nautilus", tome 2, couverture et page 11

Pour les jeunes Français de la fin des années 1980, bien avant la déferlante des mangas, c’est l’arrivée du dessin animé Goldorak à la télévision qui a marqué la découverte de la culture populaire japonaise. Les histoires de science-fiction mettant en scène ce robot géant ont ainsi fait rêver des générations de jeunes garçons. C’est aujourd’hui un surprenant hommage qui est rendu à cette série mythique. Quatre auteurs français de bande dessinée, pas moins, se sont associés pour réaliser un gros album qui imagine une suite aux histoires d’origine.

Intitulé sobrement Goldorak***, ce volume a été réalisé avec l’autorisation de Go Nagai, le créateur de la série. Sur une trame classique d’arrivée d’extraterrestres hostiles sur Terre (qui demandent qu’on leur livre le territoire du Japon, pas moins), les auteurs (dont trois dessinateurs qui travaillent ensemble sur les mêmes dessins !) livrent un réjouissant hommage à cette SF très typée du siècle dernier. Les fans du Goldorak originel seront évidemment ravis de retrouver leurs personnages favoris mais même les lecteurs qui n’ont jamais regardé le dessin animé seront conquis par, là encore, la qualité exceptionnelle du dessin, la virtuosité de la mise en scène et la beauté des couleurs. De quoi enchanter les ados des années 80 et ceux d’aujourd’hui.

"Goldorak", couverture et page 72

Au printemps dernier, paraissait le premier tome de l’adaptation en bande dessinée du célèbre roman Le clan des Otori de l’auteure britannique Lian Hearn. Une pleine réussite, tant par la fidélité au texte d’origine que par la qualité de la réalisation graphique. Le tome 2**** qui vient de paraître poursuit dans le registre de l’excellence. On y retrouve les deux jeunes gens héros de la saga, Takeo et Kaede, avec dans ce volume leur rencontre et la naissance de leur passion qui sera source de biens des drames à venir. La transposition visuelle de ce Japon médiéval mythique, avec sa touche de fantastique, est toujours un enchantement.

"Le clan des Otori", tome 2, couverture et page 13

La remarquable série China Li, vaste fresque couvrant la première moitié du XXème siècle en Chine, poursuit sa parution avec le tome 3, La fille de l’eunuque***** (lire les critiques du tome 1 et du tome 2). On y retrouve d’une part le jeune femme Li qui, désireuse de faire une interview du chef révolutionnaire Mao, se retrouve à suivre la Longue Marche, et d’autre part son père adoptif, Zhang, dont on découvre le passé : comment il est devenu eunuque puis chef des gangs de Shanghai. Des personnages fouillés, un contexte historique fascinant et toujours le dessin magistral de Jean-François Charles : une grande réussite.

"China Li", tome 3, couverture et page 15

Pour terminer cette sélection de BD d’aventures, voici une réédition bienvenue : celle de La balade de Yaya******. Publiée à plusieurs reprises ces dernières années sous des formes différentes, l’intégralité des neuf tomes de cette grande aventure enfantine ressort chez Dargaud en trois gros et beaux volumes. Destinée aux jeunes lecteurs à partir de sept ou huit ans (mais tout à fait séduisante pour des lecteurs de tous âges), La balade de Yaya raconte les démêlés de deux jeunes enfants chinois à Shanghai quand la guerre éclate entre le Japon et la Chine. Pleine de charme et de fantaisie, avec une touche de violence, l’histoire promène les deux jeunes héros au milieu d’un pays sur lequel s’abat la guerre. Due à la plume de trois scénaristes français, la saga est dessinée par le grand artiste chinois Golo Zhao. L’excellente qualité de l’impression des volumes met particulièrement en valeur la beauté des couleurs de ce dernier.

"La balade de Yaya", Intégrale tome 1, couverture et page 4

 

ET AUSSI… DEUX BEAUX LIVRES QUI VIENNENT DE SORTIR

Rarement une bande dessinée aura-t-elle aussi bien porté ce nom : Qin Opera******* est un « leporello », c’est-à-dire un livre accordéon de vingt mètres de long reproduisant une image unique ! Cette œuvre hors du commun est l’adaptation d’un roman chinois qui chronique la vie d’un village pendant les années 1990. L’artiste Li Zhiwu a choisi d’utiliser la technique traditionnelle de la peinture sur rouleau, livrant une image continue où s’enchaînent les événements résumés en bas de l’image. Le rouleau original mesure 70 mètres de long. Il a été réduit pour la reproduction en livre, en étant ramené à une très respectable longueur d’une vingtaine de mètres.

À défaut d’une intrigue unique, on passe en revue les multiples incidents de la vie du village : fêtes, jeux de pouvoir, rivalités, adultères, difficultés de la vie quotidienne, manque d’eau ou d’électricité, construction d’un nouveau marché… Les injonctions administratives peuvent susciter des drames : alors que des paysans ont osé planter des légumes au milieu d’une plantation officielle de forêt, l’amende qui leur est infligée pousse l’un d’eux au suicide. Des femmes s’allient pour contrer la directive de l’enfant unique. Un projet de remembrement divise profondément les paysans. Une véritable révolte a lieu quand les autorités cherchent à prélever des impôts exorbitants. Manifestement, le Parti a souvent bien du mal à faire accepter ses directives par la population… Très morcelé, le récit n’est pas toujours facile à suivre. Mais l’ouvrage, techniquement fort bien réalisé, est une vraie curiosité.

"Qin Opera", couverture et "accordéon"

Le dernier livre de l’auteure de bandes dessinées Catherine Meurisse, La jeune femme et la mer********, est le fruit de deux séjours effectués récemment au Japon. L’artiste se met en scène dans sa découverte de ce pays qu’elle ne connaissait absolument pas. Elle y rencontre un tanuki (esprit de la forêt), un peintre « à la recherche de l’état qui permet de peindre un tableau », une vieille dame sourde, une jeune femme aux multiples maris, des artistes amateurs…

Tout ce petit monde discute beaucoup. D’art, de nature, de beauté, de mythologie japonaise, des mérites comparés de La Vague d’Hokusai et de l’Ophélie de Millais, de typhons et de tsunamis, entre autres. Avec des aphorismes du genre : « Notre humanité n’est pas séparée du monde. Chacun est tour à tour influent et responsable. »

Pour qui trouverait tout cela un peu verbeux, il y a en tout cas de superbes représentations de la campagne japonaise et d’une nature qui a envoûté l’artiste. Pas de vues des grandes villes et de la modernité que l’on associe habituellement au Japon, si ce n’est l’irruption des murailles de béton anti-tsunami qui défigurent les côtes et qui rappellent que la nature est toujours prête à rappeler aux hommes « qu’elle aussi sait y faire » en matière de destruction, comme le souligne la jeune femme du titre (qui n’est pas l’auteure, contrairement à ce que l’on pourrait croire).

"La jeune femme et la mer", couverture et page 3

 

ET ENFIN… LA CONCLUSION DE DEUX SÉRIES DE MANGAS

« L’Asie dessinée » a souvent parlé de la série Sengo (lire les chroniques sur les tomes 1 et 2, le tome 3, le tome 4, le tome 5 et le tome 6). Le septième et dernier volume vient de paraître. Intitulé Adieux*********, il apporte une conclusion à la hauteur de cette histoire hors du commun.

Sengo, rappelons-le, se déroule à Tokyo immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le pays s’est effondré, la capitale est ravagée, les soldats démobilisés, les enfants abandonnés, les civils ruinés cherchent les moyens de survivre – et parfois tout simplement des raisons de vivre. L’histoire est centrée sur un sergent-chef qui ne se remet pas d’avoir survécu aux terribles combats qui ont coûté la vie à presque tous ses hommes. Une truculente galerie de personnages l’entoure : prostituées, gangsters, enfants de la rue, samouraï déchu, petits trafiquants…

Pleine d’humanité, cette série a comme grande singularité d’adopter un ton sans cesse changeant : humour noir, gaudriole, tragique, nostalgie… Fidèle à cette ligne, le final associe horreur, sentiment et farce : un joyau.

"Sengo", tome 7, couverture et page 170

Dans le registre « manga parlant des mangas », la série Trait pour trait vient de s’achever avec la parution de son cinquième tome**********. L’auteure, Akiko Higashimura, y termine le récit autobiographique de son entrée dans la profession de mangaka avec sa rencontre avec le succès, due à un travail acharné des années durant, et en parallèle le prix à payer : l’abandon de son maître, le professeur qui lui a tout appris, au moment où il avait le plus besoin d’elle.

"Trait pour trait", tome 5, couverture et page 64

* Les brumes écarlates, tome 1
Scénario et dessin Wu Qingsong
192 pages
Glénat
22,50 euros

** Nautilus, tome 1 Le théâtre des ombres, tome 2 Mobilis in Mobile
Scénario Mathieu Mariolle, dessin Guénaël Grabowski
64 pages le volume
Glénat
14,95 euros le volume

*** Goldorak
Scénario Xavier Dorison et Denis Bajram, dessin Denis Bajram, Brice Cossu et Alexis Sentenac
168 pages
Kana
24,90 euros

**** Le clan des Otori, tome 2
Scénario Stéphane Melchior, dessin Benjamin Bachelier
80 pages
Gallimard
17,80 euros

***** China Li, tome 3 La fille de l’eunuque
Scénario Maryse et Jean-François Charles, dessin Jean-François Charles
72 pages
Casterman
15,50 euros

****** La balade de Yaya, Intégrale en trois volumes
Scénario Jean-Marie Omont, Charlotte Girard et Patrick Marty, dessin Golo Zhao
144 pages le volume
Dargaud
19 euros le volume

******* Qin Opera
Scénario Li Zhiwu et Men Xiaoyan, dessin Li Zhiwu
Leporello de 84 plis, 20 mètres de long
Éditions Patayo
35 euros

******** La jeune femme et la mer
Scénario et dessin Catherine Meurisse
116 pages
Dargaud
22,50 euros

********* Sengo, tome 7 Adieux
Scénario et dessin Sansuke Yamada
192 pages
Casterman
9,45 euros

********** Trait pour trait, tome 5 
Scénario et dessin Akiko Higashimura
144 pages
Éditions Akata
7,95 euros

 

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