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L'ASIE DESSINÉE
BD : L'enfant ébranlé, portrait d'un jeune garçon chinois en souffrance
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 12 décembre 2020
Superbe roman graphique, L’enfant ébranlé de Tang Xiao évoque le sort des enfants chinois dont le père est parti travailler au loin. Le manga Moi aussi de Reiko Momochi s’intéresse au harcèlement sexuel dans les entreprises japonaises. Avec en prime, une sélection d’albums pour les cadeaux de fin d’année.
Patrick de Jacquelot
C’est une pratique courante en Chine : les hommes quittent leur province pour aller travailler dans les usines des grands villes, laissant derrière eux leur famille pour de longues périodes. Avec des conséquences qui peuvent être très dures pour les enfants privés ainsi de leur père. C’est l’histoire de ces déchirements que raconte le très émouvant L’enfant ébranlé*.
Ce gros roman graphique est centré sur Yang Hao, jeune garçon de neuf ou dix ans. Il vit avec sa mère et sa grand-mère dans une petite ville de province et demande de temps en temps à sa mère : « Quand papa sera-t-il là ? » Interrogé, il affirme : « Je ne sais pas s’il me manque, cela fait trop longtemps que je ne l’ai pas vu. » Sensible, très bon élève, Hao se cherche un équilibre dans la tendresse de sa mère ou dans ses relations avec une maîtresse attentive ou les pères de ses amis.
Extrait de "L'enfant ébranlé', scénario et dessin Tang Xiao, Kana (Copyright : 2020 - Tang Xiao - Kana) |
Le retour inattendu de Hongmin, son père, vient bouleverser la petite vie de Hao. Revenu parce que « l’activité est calme là-bas », l’homme n’est pas pressé de repartir. Passé l’euphorie du début, Hongmin se révèle ne pas être le père dont rêvait le jeune garçon. Il passe le plus clair de son temps à jouer au mah-jong avec ses amis, ses relations avec son épouse apparaissent tendues… La prise de conscience de Hao est progressive. Quand la maîtresse demande à ses élèves de faire une rédaction décrivant leur père, Hao rédige un portrait idéalisé, attribuant à Hongmin tous les gestes gentils et attentionnés dont il a pu bénéficier de la part d’amis ou d’autres adultes de son entourage. Mais quand la maîtresse lui demande, dans les dernières pages du livre, de lire son texte à haute voix devant la classe, parce qu’il a composé la meilleure rédaction, Hao improvise un tout autre récit dans lequel il décrit ses espoirs déçus avant de s’effondrer en larmes.
La question des enfants chinois abandonnés par leurs parents partis travailler au loin avait déjà été abordée, sur un mode tragique, dans l’impressionnant roman graphique Poisons (lire notre chronique). Rien d’aussi dramatique cette fois : L’enfant ébranlé propose une histoire toute simple, dans laquelle il ne se passe rien de spectaculaire. Mais l’auteur Tang Xiao y brosse par petites touches le portrait de toute une société. Parmi les multiples intervenants, la maîtresse, discrète et attentive, joue un rôle clé. Hegui, ami d’enfance du père, est un personnage très frappant. Il profite de leurs interminables parties de mah-jong pour tenter de convaincre Hongmin de se mettre en affaires avec lui. Hegui pratique avec enthousiasme la « vente multiniveau » : il s’agit d’attirer un maximum de relations dans son réseau pour leur vendre une sorte de médicament miracle selon un schéma qui évoque les pyramides de Ponzi. Prêt à tout pour convaincre son ami de mettre des fonds dans l’affaire, il n’hésite pas à chercher à le brouiller avec son épouse quand il apparaît qu’elle n’est pas convaincue par ses promesses de fortune assurée. Autres personnages intéressants : un couple de jeunes adolescents, à la dérive eux aussi, qui, dans leur désarroi et leur désir d’un « ailleurs » hypothétique, apparaissent facilement comme des « voyous » aux yeux de la communauté.
La vie quotidienne de cette dernière est évoquée avec de multiples détails : habitat, repas, jeux d’enfants allant de la pêche dans la rivière jusqu’aux jeux vidéo omniprésents, vie de la classe, scènes de pluie ou amitiés enfantines. L’ensemble est dessiné avec beaucoup de finesse par Tang Xiao qui excelle autant dans les portraits que dans les décors urbains et les détails d’objets en gros plan. Un livre touchant qui, sans mélo ni fioritures, fait ressentir les souffrances d’un enfant ordinaire ô combien attachant.
"L'enfant ébranlé", couverture et page 22 |
Fléau universel, le harcèlement sexuel au travail n’épargne évidemment pas le Japon. Mais c’est tout l’intérêt de Moi aussi** de mettre en évidence les caractéristiques particulières que le phénomène peut prendre dans ce pays du fait de la culture japonaise. Ce manga en deux tomes, basé sur des faits réels, raconte l’histoire de Satsuki Yamaguchi, salariée intérimaire au service client d’un grand groupe. Toute la journée, elle répond au téléphone aux clients mécontents. Elément brillant, elle intervient aussi, en dépit de son statut de simple intérimaire, comme formatrice des nouveaux arrivés.
Alors que la carrière de cette très jeune femme se présente bien, les choses se gâtent quand son supérieur hiérarchique immédiat commence à lui faire des avances de plus en plus directes. Pour Satsuki, le problème fondamental consiste à les repousser sans pour autant vexer celui qui en est l’auteur. Car la culture du respect des chefs et de l’obéissance absolue est bien ancrée, et aller à son encontre demande un effort considérable. Moi aussi démonte avec précision les mécanismes qui amènent la victime à culpabiliser. Le plus glaçant est peut-être la description de la façon dont le chef mène des représailles méthodiques contre la jeune femme récalcitrante, sapant son travail, ses relations avec ses collègues, ses perspectives professionnelles… L’histoire prend un tour plus positif quand Satsuki s’appuie sur une association d’entraide pour obtenir réparation devant les tribunaux, faire reconnaître son statut de victime et faire condamner l’Etat japonais. Le manga pourrait passer pour un pamphlet militant, mais la justesse et la sincérité du récit emportent l’adhésion.
"Moi aussi", tome 1, couverture et page 17 |
Le nom de Diên Biên Phu est devenu depuis longtemps synonyme de la fin désastreuse de la colonisation française en Indochine. Mais si tout le monde connaît le nom de cette bataille, le détail de ce qu’il s’est vraiment passé est parfois flou dans l’esprit de bien des gens. L’album Diên Biên Phu*** reconstitue avec précision l’enchaînement des événements et, en particulier, des erreurs stratégiques du commandement français, qui ont amené les troupes coloniales à se laisser prendre dans une véritable nasse sous le feu des troupes du Viêt-Cong. Avec à la clé une dizaine de milliers de prisonniers, des dizaines de milliers de morts dans les deux camps et finalement le départ de la France du Vietnam. Une défaite historique, donc, qui aura une résonance considérable dans l’ensemble des pays colonisés de la planète.
Solidement documenté, et complété d’ailleurs par un dossier pédagogique abondamment illustré, l’album fait revivre cet enfer à hauteur d’homme, avec un dessin réaliste puissant et efficace.
"Diên Biên Phu", couverture et page 3 |
DES BD POUR LES FÊTES
Peut-être faut-il y voir un effet du Covid-19 et de la désorganisation des programmes de publication des éditeurs qui en a résulté : les dernières semaines de 2020 n’ont pas été marquées par la parution de gros et beaux volumes « spéciaux pour les fêtes », comme c’est souvent le cas. Cela n’empêche pas de trouver quelques très beaux cadeaux dans les publications des mois écoulés. Voici donc une sélection de BD et romans graphiques d’exception chroniqués récemment dans L’Asie dessinée, susceptibles de faire plaisir à tous ceux qui s’intéressent simultanément à l’Asie et à la bande dessinée :
– L’Alcazar de Simon Lamouret, Éditions Sarbacane : ce livre splendide combine une véritable enquête sociologique dans le monde des ouvriers des chantiers de construction de Bangalore et une fascinante représentation des paysages urbains de l’Inde contemporaine.
– Les voyages d’Ibn Battûta de Joël Alessandra, Aire Libre : des images de toute beauté sur plus de 250 pages pour revivre l’odyssée de ce voyageur du XIVème siècle à travers le Proche-Orient, toute l’Asie et une partie de l’Afrique.
– Ama, le souffle des femmes de Franck Manguin au scénario et Cécile Becq au dessin, Éditions Sarbacane : évocation de l’étonnante communauté des Ama, ces pêcheuses japonaises qui plongeaient nues à la recherche d’ormeaux. Un hymne à un Japon disparu, illustré avec une grande finesse.
– Rani de Jean Van Hamme et Alcante au scénario, et Francis Vallès au dessin, Le Lombard : dans un registre complètement différent des précédents volumes, voici une saga d’aventures comprenant pas moins de huit albums, l’histoire échevelée de Jolanne, jeune Française du XVIIIème siècle expédiée aux Indes où elle devient successivement, entre autres péripéties, prostituée et épouse de maharadja. Du grand feuilleton à la Angélique marquise des Anges.
* L’enfant ébranlé
Scénario et dessin Tang Xiao
402 pages
Kana,
19,95 euros
** Moi aussi, deux tomes
Scénario et dessin Reiko Momochi
192 pages le volume
Éditions Akata
6,99 euros le volume
*** Diên Biên Phu
Scénario Dobbs, dessin Mr Fab
64 pages
Comix Buro/Glénat
14,95 euros
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