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L'ASIE DESSINÉE

BD : Hiroshima, une explosion qui n’en finit pas


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 9 octobre 2023

Manga signé Fumiyo Kouno, Le pays des cerisiers décrit tout en délicatesse la malédiction qui a frappé les survivants de la bombe et leurs descendants. Et diverses parutions de cet automne nous emmènent à Taïwan, en Corée, au Vietnam et en Chine.

Patrick de Jacquelot

Comment traiter du drame d’Hiroshima en bande dessinée ? La grande mangaka Fumiyo Kouno s’y est essayée avec Le pays des cerisiers*. Paru initialement en 2004, ce manga vient de ressortir en France : l’occasion pour de nouveaux lecteurs de découvrir cette évocation toute en finesse des conséquences de l’emploi de l’arme atomique en 1945.

Pour aborder cet épisode sans précédent dans l’histoire de l’humanité, Fumiyo Kouno n’opte pas pour le bruit et la fureur. Nulle image, dans Le pays des cerisiers, de champignon atomique, de ville rasée ou d’empilement de cadavres. L’auteure préfère prendre du recul : la première partie de son récit, intitulée « La ville du Yunagi », se passe en 1955, dix ans après la bombe, tandis que la seconde partie, « Le pays des cerisiers » proprement dit, se situe entre 1987 et 2004. C’est donc aux conséquences à moyen et long termes de la catastrophe sur les habitants que s’intéresse la dessinatrice.

"Le pays des cerisiers", scénario et dessin Fumiyo Kouno, Kana (Crédit : Kana)
Dans le premier récit, on suit Minami, une jeune fille dont la gaieté forcée cache un gouffre émotionnel béant. Elle s’efforce de mener une vie « normale », mais l’horreur est toujours là, juste sous la surface. Quand un gentil garçon qu’elle aime bien lui fait des avances, les scènes du 6 août 1945 l’envahissent aussitôt : pas de possibilité de bonheur pour elle, manifestement. En fait, confie-t-elle, « à chaque fois que je me sens heureuse, à chaque fois que je découvre une « jolie » chose, je suis ramenée au jour où tout a disparu ». Et puis même dix ans plus tard, la maladie peut se manifester… En toile de fond, les décors évoquent la grande misère de la population réfugiée dans les bidonvilles érigés en bordure de la zone bombardée, pour qui une paire de chaussures est un article de luxe.

Dans le récit principal, c’est de la deuxième génération des victimes de la bombe, les « nisei », qu’il est question. Plusieurs dizaines d’années après l’explosion atomique, la vie de ces personnes nées bien après en reste marquée de façon indélébile. Parce qu’elles vivent dans la crainte pour la santé de leurs parents survivants, parce que leur propre santé peut en être affectée, les effets à long terme de la radioactivité sur les descendants des personnes irradiées constituant une épée de Damoclès impossible à écarter. « Certaines personnes prétendent que [nous] pourrions bien mourir un jour des effets de la bombe », confie une jeune femme. Plus pernicieux encore : les « nisei » sont victimes de discriminations de la part des autres Japonais. Une petite fille explique ses difficultés scolaires par le fait que « quand j’étais petite, j’ai été infectée par le poison de la lumière, et du coup il me manque des « choses », tout le monde le dit ». Là encore, c’est un projet de mariage qui semble compromis parce que les parents d’une jeune fille « normale » ne veulent pas entendre parler de sa liaison avec un garçon descendant d’habitants d’Hiroshima.

Tout cela est traité avec énormément de pudeur et de délicatesse. À tel point qu’il est utile de se reporter aux différents textes explicatifs et aux postfaces pour mieux cerner les intentions de l’auteure. Le dessin de Fumiyo Kouno, léger et sensible, colle à merveille à son approche du sujet : une œuvre marquante.


« L’Asie dessinée » avait longuement traité, en juin dernier, de la parution des deux premiers tomes du Fils de Taïwan, avec une interview de son dessinateur Zhou Jian-xin. Le tome 3** de cette série qui en comptera quatre en tout vient de paraître. On y retrouve Kunlin Tsai, ce personnage bien réel qui a inspiré cette longue biographie. Après un premier volume consacré à son enfance et à sa jeunesse, puis un deuxième traitant de ses dix années d’emprisonnement politique sous la dictature impitoyable de Chiang Kaï-chek, le troisième parle des années employées à fonder une maison d’édition de mangas et de livres pour la jeunesse, ainsi qu’une revue consacrée à la bande dessinée. Le jeune homme se passionne en effet pour ces domaines tout nouveaux à Taïwan mais rien n’est facile. Les fonds manquent en permanence et surtout, le climat politique demeure toujours aussi pesant. Les autorités ne veulent pas oublier que Kunlin est un ancien prisonnier politique, suspect à vie, donc. D’autant qu’il a fâcheusement tendance à engager d’autres anciens détenus pour leur venir en aide. Après avoir lancé avec succès un magazine de BD, l’entreprise de Kunlin fait faillite et le volume s’achève sur sa ruine. Heureusement que nous savons grâce à l’interview de Zhou Jian-xin que le dernier tome, dont la parution est prévue en décembre, traitera de ses grands succès professionnels ultérieurs !

Le personnage de Kunlin Tsai est intéressant et sympathique. En arrière-plan de ses combats incessants pour développer ses activités et introduire la bande dessinée à Taïwan, on suit l’évolution de l’île à partir des années 1960 avec l’assouplissement – très – progressif de la dictature. À cet égard, la série se révèle précieuse pour la compréhension d’un pays peu souvent représenté dans la bande dessinée.


La grande dessinatrice sud-coréenne Keum Suk Gendry-Kim publie régulièrement en France des romans graphiques sur des thèmes variés. Après plusieurs volumes impressionnants consacrés aux drames de l’histoire récente de son pays, Les mauvaises herbes, L’arbre nu et L’attente, et un ouvrage nettement moins marquant, La saison des pluies, la voici de retour avec Demain est un autre jour***. Keum Suk Gendry-Kim aborde cette fois un registre résolument intimiste. Sous couvert d’une fiction, l’auteure traite en effet d’un drame personnel : l’impossibilité de son couple d’avoir un enfant. Interventions médicales multiples, débuts prometteurs qui tournent court, relations compliquées avec la famille et les proches – que faut-il dire à qui ? -, toutes ces questions sont abordées avec délicatesse. Avec des scènes frappantes : le désarroi de la jeune femme qui subit depuis des années des interventions chirurgicales pour essayer d’avoir un enfant quand une amie lui fait part de sa décision d’avorter d’un bébé dont elle ne veut pas. Un livre qui traite d’un sujet universel, à tel point que l’on n’y voit quasiment pas de dimension spécifiquement sud-coréenne.


Changement de registre complet après trois BD « réalistes ». Place d’abord à un thriller pur et dur avec Rouge sang****. L’histoire se déroule sur six jours à Hanoï. On y suit une jeune journaliste qui vient de France pour faire un reportage sur la prostitution au Vietnam. À peine arrivée, elle se trouve confrontée à divers événements plus inquiétants les uns que les autres : des prostituées qui disparaissent et que personne ne revoit jamais, des rumeurs sur une maladie contagieuse et mortelle qui se répand dans la ville… Petit à petit, il apparaît que les plus hautes sphères du pouvoir vietnamien sont déchirées par une impitoyable guerre interne. D’un côté, les pro-Ukrainiens qui travaillent à la mise au point d’une arme biologique dévastatrice, de l’autre les pro-Russes qui cherchent à les éliminer. La journaliste, qui en découvre un peu trop, réussira-t-elle à fuir le pays et à révéler au monde le danger qui le menace ? L’intrigue est efficace, même si parfois un peu allusive. Des fiches sur les différents personnages, à la fin du volume, fournissent des clés pour la compréhension de l’histoire. On y trouve également une intéressante note sur les complexes relations entre le Vietnam, l’Ukraine et la Russie, due au scénariste Benoît de Tréglodé, lui-même directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Le graphisme assez particulier de Roman Gigou, avec ses couleurs violentes, peut déconcerter. Mais il colle bien avec l’atmosphère angoissante des nuits de Hanoï telles que présentées dans le récit.

Voici une nouvelle bande dessinée consacrée à la découverte de l’Asie par une dessinatrice française. Dans Shiki, 4 saisons au Japon*****, Rosalie Stroesser raconte un long séjour dans ce pays qui l’attirait très fortement. Une passion qui se sera heurtée à de sérieuses déconvenues : la jeune femme y aura été victime d’un viol et de diverses agressions. Sans que cela mette un terme à son attachement pour le Japon, pays dans lequel elle voyait une « terre promise ». Un attachement que l’on a parfois un peu de mal à comprendre d’ailleurs : la principale activité de l’auteure pendant une longue période où elle était hôtesse dans un bar semble avoir été de se saouler tous les soirs. Il y a tout de même de bons moments : une promenade à Kyoto, une randonnée en auto-stop… La dessinatrice excelle dans les décors tant urbains que campagnards. Et ce long récit en noir et blanc est entrecoupé de quelques contes traditionnels japonais accompagnés de très belles illustrations pleine page en couleurs.

Pour terminer, une BD pour enfants avec le troisième et dernier volume des Aventures du Roi Singe******, inspirée du célèbre Voyage vers l’ouest, l’un des « quatre livres extraordinaires », piliers de la littérature chinoise. On a déjà eu l’occasion de dire beaucoup de bien des deux premiers tomes : le troisième ne déçoit pas. On y retrouve l’insupportable Roi Singe et ses étranges amis dans leur quête et leurs incessants affrontements avec des monstres plus ahurissants les uns que les autres. De l’humour, de la fantaisie et un dessin propre à séduire les petits comme les grands.


* Le pays des cerisiers
Scénario et dessin Fumiyo Kouno
128 pages
Kana
10,50 euros

** Le fils de Taïwan, tome 3
Scénario Yu Pei-Yun, dessin Zhou Jian-Xin
192 pages
Kana
18,50 euros

*** Demain est un autre jour
Scénario et dessin Keum Suk Gendry-Kim
224 pages
Futuropolis
26 euros

**** Rouge sang
Scénario Benoît de Trégolé, dessin Roman Gigou
192 pages
Riveneuve
25 euros

***** Shiki, 4 saisons au Japon
Scénario et dessin Rosalie Stroesser
320 pages
Rivages
24 euros

****** Les aventures du Roi Singe, tome 3, La sorcière au squelette
Scénario Stéphane Melchior, dessin Vincent Sorel
64 pages
Gallimard
13,90 euros


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