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L'ASIE DESSINÉE
BD : quand l’argent fait irruption dans la
campagne chinoise
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 2 juillet 2022
Un roman graphique chinois raconte comment un
homme parti travailler en ville revient dans sa
campagne fortune faite, tandis que deux BD adaptent
des monuments de la littérature chinoise et japonaise.
Patrick de Jacquelot
C’est
une caractéristique bien connue du développement de la
Chine ces dernières décennies : l’exode des hommes (et
souvent des femmes) qui quittent les campagnes pour
aller travailler en ville. Le phénomène a souvent été
traité en bandes dessinées, en général à propos de
travailleurs gagnant modestement leur vie : voir par
exemple L’enfant
ébranlé ou Poisons.
Mais il y a un autre cas de figure – beaucoup moins
fréquent, évidemment : celui où le migrant de
l’intérieur connaît une formidable réussite
professionnelle. C’est une telle histoire que raconte Un
palais au village – Quand papa est devenu riche*.
Ce récit autobiographique est centré sur une famille
d’un minuscule village du sud de la Chine. Sans être
misérable, la famille vit dans une grande pauvreté : pas
d’eau à la maison, pas de vêtements à elle pour la
petite fille qui porte les vieux habits de ses grands
frères, pas de route carrossable pour atteindre le
village… Tout change quand le père, qui travaille à
Guangzhou (Canton), décide de faire construire une
nouvelle maison. Car ayant commencé comme simple
ouvrier, il s’est formé à l’électronique, a ouvert un
business, puis une petite usine. Bref, il a fait
fortune.
Couverture de "Un palais au
village - Quand papa est devenu
riche", scénario et dessin Minna Yu,
La Boîte à Bulles. (Crédit : La
Boîte à Bulles) |
Tous ces bouleversements sont chroniqués avec beaucoup de finesse. Minna Yu décrit l’irruption soudaine de l’argent et de la modernité dans une paisible communauté villageoise et les transformations qui en résultent, plutôt positives en l’occurrence. Le personnage de la mère de famille, restée au village et qui assume le fonctionnement du « palais » en l’absence de son mari, est particulièrement intéressant : jamais elle ne perdra ses réflexes d’économie acquis pendant une vie de pauvreté. Le dessin est un peu frustre mais Un palais au village – Quand papa est devenu riche constitue un témoignage frappant sur le développement récent de la Chine et son impact sur les populations rurales.
"Un palais au village", couverture et une page |
Les textes fondateurs de la culture des différents pays d’Asie constituent des sources inépuisables d’inspiration pour les auteurs de bandes dessinées. Dans ce registre, on peut citer entre autres la remarquable adaptation du Mahabharata, l’un des deux grands textes de la mythologie hindoue. En Chine, ce sont les « quatre livres extraordinaires », fondements de la littérature chinoise, qui suscitent les adaptations, et tout particulièrement le Voyage vers l’Ouest et son héros, le Roi Singe. Une remarquable version en quatre tomes était parue en 2020 sous le titre tout simple de Le Roi Singe. Destinée à un lectorat adolescent ou adulte, elle mettait en scène de manière virtuose les exploits et méfaits de ce personnage fantastique, être de nature divine possédant moult pouvoirs magiques, mais simultanément agressif, grossier, vantard, incapable de se contrôler…
À lire : le « Best of » de l’Asie dessinée, les vingt-cinq meilleures BD chroniquées depuis 2016
Au même moment était paru le premier tome d’une adaptation très différente intitulée Les aventures du Roi Singe destinée très clairement aux enfants. Très réussi lui aussi, ce premier album n’avait pas eu de suites depuis près de deux ans, au point que l’on se demandait si la série allait continuer. C’est chose faite aujourd’hui avec la parution du tome 2 Les aventures du Roi Singe – Le voyage vers l’Ouest**. Alors que le premier volume traitait d’aventures diverses de son héros, le deuxième entreprend de raconter ce fameux voyage vers l’Ouest, comme l’indique le sous-titre. On retrouve les grandes lignes de ce fantastique voyage. Toujours aussi insupportable, le Roi Singe multiplie les farces aux dépens des autres dieux, jusqu’à ce que la déesse suprême le charge avec quelques comparses hauts en couleurs d’aller chercher un pouvoir magique extraordinaire loin à l’Ouest. Tout cela est traité avec énormément d’humour et de fantaisie. Le dessin de Vincent Sorel est un enchantement entre beauté des paysages et inénarrables monstres. Espérons que le troisième et dernier volume ne se fera pas attendre aussi longtemps.
"Les aventures du Roi Singe", couverture et une page |
"Le Dit du Genji", couverture et une page |
Encore la mythologie asiatique, indienne
cette fois, mais pas sous la forme d’une adaptation
d’un texte littéraire. Arjuna**** est un récit
d’aventure qui utilise le panthéon de l’hindouisme
comme toile de fond d’un récit de fantasy. Les
dragons, les monstres et autres sorciers habituels
dans ce genre de littérature sont ici remplacés par
des dieux comme Kali, Hanuman ou Ravana. Des dieux qui
s’incarnent sous des formes matérielles, même si elles
sont monstrueuses, avec qui les hommes peuvent se
battre et éventuellement les tuer. C’est ainsi que les
colons britanniques ont entrepris une campagne
d’extermination des dieux hindous de façon à mieux
asservir le peuple… En parallèle, les dieux cherchent
à se tuer entre eux, avec notamment l’affrontement
éternel entre Kali et Ravana. L’intrigue mêle tous les
poncifs de la littérature d’aventure en Inde : les
colonisateurs anglais, les combattants de
l’indépendance, les thugs (tueurs fanatiques
dévots de Kali), des pirates, les temples dans la
jungle… Le Ramayana, l’un des deux grands
textes de la mythologie hindoue, est largement évoqué.
L’ensemble n’est que moyennement convaincant au niveau
du scénario, mais le graphisme est plutôt efficace.
"Arjuna", couverture et une page |
Chronique familiale étalée sur cinq
générations, N’en parlons plus***** évoque la
vie de cinq femmes de mère en fille, du début du XXème
siècle jusqu’à nos jours. Depuis une jeune fille d’une
famille paysanne chinoise misérable envoyée à
l’étranger pour toujours afin de lui assurer une vie
meilleure jusqu’au Singapour d’aujourd’hui. Dans ces
brèves tranches de vie, les jeunes filles successives
s’interrogent sur leurs mères et leurs grand-mères
dont les histoires sont toujours demeurées plus ou
moins cachées. Le dessin très coloré de l’artiste est
plein de charme mais le récit demeure bien difficile à
suivre.
"N’en parlons plus", couverture et une page |
Après un premier tome
prometteur, le manga Blissful Land******
poursuit sa parution. Cette très jolie histoire pleine
de bons sentiments nous plonge dans un Tibet de rêve
au XVIIIème siècle. Les héros, deux très jeunes
adolescents promis au mariage, apprennent à se
connaître et ce faisant nous montrent toutes sortes
d’aspects de la vie quotidienne dans cette région
aussi éloignée de nous dans le temps que dans
l’espace. Une promenade pleine de charme portée par un
dessin des plus séduisants.
"Blissful Land",
couverture |
La plongée dans l’univers de l’industrie
du manga continue avec la série Réimp’!.
Après les tomes 1 et 2, les tomes 3
et 4******* viennent de sortir. On continue à suivre
les efforts de la jeune Kokoro Kurosawa dans l’univers
impitoyable de l’édition japonaise : les tentatives
désespérées des jeunes artistes rêvant de percer face
à une concurrence exacerbée, les rivalités entre
magazines, les jalousies entre auteurs, etc. Pour le
lecteur français, un aspect fascinant de la série
tient à l’éthique du travail à la japonaise. Le
salarié de la maison d’édition n’est pas seulement
censé accomplir convenablement le travail pour lequel
il a été recruté : on attend de lui un engagement
total, de tous les instants. Une exigence complètement
intégrée par les employés : à la suite de l’échec d’un
projet, l’un d’eux, tête baissée, fait son
autocritique devant ses collègues, s’accuse de « ne
pas avoir fait assez d’efforts », s’engage
à « protéger le magazine de toutes [ses]
forces » et à « se donner à fond
pour y parvenir »… Un dévouement à
l’employeur dont on se doute bien qu’il n’est pas
propre à l’industrie du manga mais bien représentatif
de l’attitude des employés japonais envers leur
entreprise.
"Réimp’!", tomes 3 et 4 |
* Un palais au village – Quand papa
est devenu riche
Scénario et dessin Minna Yu
184 pages
La Boîte à Bulles
19 euros
** Les aventures du Roi
Singe, tome 2, Le voyage vers l’Ouest
Scénario Stéphane Melchior, dessin Vincent Sorel
64 pages
Gallimard
12,50 euros
*** Le Dit du Genji
Scénario Sean Michael Wilson, dessin Inko Ai
Takita
192 pages
Synchronique Éditions
24,90 euros
**** Arjuna
Scénario Mathieu Mariolle, dessin Laurence
Baldetti
96 pages
Glénat
19 euros
***** N’en parlons plus
Scénario et dessin Weng Pixin
204 pages
Editions Motus
17 euros
****** Blissful Land, tome 2
Scénario et dessin Ichimon Izumi
160 pages
Pika Edition
7,20 euros
******* Réimp’! tomes 3 et 4
Scénario et dessin Naoko Mazda
208 pages le volume
Glénat Manga
7,60 euros le volume
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