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L'ASIE DESSINÉE
BD : La Pérégrination vers l’Ouest, le
grand classique picaresque de la littérature chinoise
en illustrations
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 9 décembre 2023
Une superbe édition permet de découvrir les
illustrations de ce monument littéraire chinois
réalisées au Japon au XIXème siècle. Un parfait cadeau
pour les fêtes, avec quelques BD historiques et
d’aventures pour l’accompagner.
Patrick de Jacquelot
Un
monument de la littérature classique chinoise du XVIème
siècle vu à travers les illustrations qu’en ont donné
des artistes japonais du XIXème siècle : c’est ce que
propose La Pérégrination vers l’Ouest, Intégrale des
illustrations de l’édition japonaise de 1806-1837*,
splendide volume qui permet de découvrir une œuvre
picaresque qui trouve encore aujourd’hui de multiples
déclinaisons en bandes dessinées et autres mangas.
La Pérégrination vers l’Ouest, également connu
sous le nom de Voyage vers l’Ouest, est l’un des
« quatre livres extraordinaires » qui
constituent les piliers de la littérature chinoise.
Publiés en Chine entre le XVIème et le XVIIème siècles,
ces ouvrages comprennent La Pérégrination vers
l’Ouest, Au bord de l’eau, Les trois
royaumes et Rêve dans le pavillon rouge
(ou bien le Jing Ping Mei, selon les
classifications). La Pérégrination vers l’Ouest est
peut-être le plus connu en Occident. Ce grand récit
fantastique a en effet pénétré la culture populaire
depuis longtemps et on le retrouve recyclé sous de
multiples formes contemporaines. Exemple frappant :
notre chronique « L’Asie dessinée » a eu à
trois reprises l’occasion d’en parler ces toutes
dernières années, lors de la parution d’une énorme
adaptation de près de 3 000 pages en fascicules de bande
dessinée à la chinoise (Voyage vers
l’Ouest, Editions Fei), et celle de deux
excellentes versions en bandes dessinées à l’occidentale
(Le Roi Singe,
quatre tomes, Éditions Paquet et Les
aventures du Roi Singe, version pour enfants
en trois tomes, Gallimard).
Détail de la couverture de "La
Pérégrination vers l’Ouest, intégrale
des illustrations de l’édition japonaise
de 1806-1837" (Crédit : © éditions 2024
/ 2023)
|
Ce grand nombre d’illustrations ne permet certes pas de montrer chaque péripétie de cet énorme roman : la seule traduction complète du livre en France remplit un volume de la Pléiade de plus de 2 000 pages. Mais dans le livre qui vient de sortir, les illustrations de chacun des cent chapitres sont précédées d’un résumé du chapitre en question qui renvoie directement aux images une à une. Ce qui permet de « lire » le roman en le regardant – presque à la manière d’une bande dessinée.
Dues à trois artistes différents, ces illustrations sont de grande qualité : elles regorgent de monstres grotesques, de scènes de bataille, de palais et de paysages. Les résumés fournis ne reproduisent qu’une très faible partie du texte complet du roman. Mais tel qu’il est articulé, l’ensemble résumés/illustrations permet de se faire une bonne idée de l’œuvre.
Ce fort volume de plus de 800 pages est complété par plusieurs articles traitant de l’histoire du roman et de ses traductions japonaises, de l’analyse du texte et des rapports entre le texte et les images. Un dernier article élargit le sujet en abordant la question de la place des classiques de la littérature chinoise dans la « pop culture » japonaise. Tout cet appareil critique, il faut le souligner, réussit à être à la fois rigoureux, parfaitement lisible et tout à fait passionnant – ce n’est pas donné à toutes les publications savantes…
Autant dire que cette Pérégrination vers l’Ouest est susceptible de plaire aussi bien aux amateurs de littérature chinoise ancienne qu’à ceux des arts graphiques japonais, et jusqu’aux passionnés de mangas. Un cadeau de fêtes de fins d’année tout indiqué pour les amoureux de l’Asie en dessins !
Restons dans la Chine ancienne avec Qin Shi Huang**, bande dessinée consacrée à l’empereur du même nom. Un empereur tout sauf anodin puisqu’il fut le premier à régner sur un empire de Chine unifié, au troisième siècle avant Jésus-Christ. C’est lui qui procéda à la standardisation de la langue et de l’écriture chinoises, jeta les bases de l’organisation administrative de l’empire, lança la construction de la Grande Muraille, etc. Et ce « Premier Empereur », comme on le désigne souvent, reste également célèbre pour l’armée de soldats en terre cuite dont il fit entourer son mausolée.
La BD biographique qui lui est consacrée n’a pourtant rien d’une hagiographie. L’empereur y est présenté comme cruel, solitaire, plutôt borné, sévèrement paranoïaque, obsédé par une quête d’immortalité qui le jette dans les bras des premiers charlatans venus… Bousculant la chronologie, le récit retrace aussi bien son enfance de prince mineur grandissant en tant qu’otage dans une ville ennemie que son accession au pouvoir grâce à un imprévisible concours de circonstances ou les complots entourant son décès, destinés à faire monter sur le trône son fils cadet à la place de son aîné. Fort bien illustré, l’album réussit à évoquer en 64 pages les multiples aspects de cette personnalité hors du commun. Une plongée captivante dans la Chine impériale qui demande toutefois une certain effort d’attention face au déluge de noms propres et de liens complexes entre les personnages de la Cour.
La BD se focalise sur les batailles de 1857 qui se sont déroulées sur la rivière des Perles près de Canton. L’histoire est passionnante mais le problème est que, évoquer tous ces événements en les inscrivant dans leur contexte historique tout en animant quelques personnages imaginaires pour donner corps au récit, le tout en 46 pages de bande dessinée, tient de la gageure. Avec à la clé de sévères raccourcis et ellipses. Un problème en partie rattrapé par le dossier historique de huit pages qui complète le volume. Réalisé par un artiste coréen, le dessin rend bien les décors, les navires et les scènes de bataille mais souffre d’une certaine raideur dans les visages.
Cap au nord de la Chine et au XXème siècle avec Mongolie****, premier tome d’un diptyque. Cet album s’inscrit dans la tradition de la grande BD d’aventure. Il est en effet écrit et dessiné par Lele Vianello qui fut de longues années durant l’assistant d’Hugo Pratt. Mongolie se situe d’ailleurs dans le prolongement de l’album du grand maître italien Corto Maltese en Sibérie. Ce nouvel opus s’appuie sur le personnage ô combien romanesque de Roman Von Ungern-Sternberg dit « le Baron fou », ce général tsariste ultra-violent qui combattit contre la révolution bolchevique avant de tenter de rétablir l’indépendance de la Mongolie contre la Chine et la Russie soviétique. Dans les premières pages de Mongolie, on voit le Baron fou enfouir en 1920 un considérable trésor et éliminer tous les témoins. L’action se déplace ensuite dix ans plus tard. Un ingénieur britannique se voit confier par un monastère tibétain la mission de retrouver le trésor de Von Ungern. Mais entre infâmes brigands et femme mystérieuse également sur la piste de l’or, l’expédition s’engage plutôt mal…
Cette belle aventure classique est servie par un superbe dessin 100 % dans la tradition d’Hugo Pratt avec ses noir et blanc somptueux. La seconde et dernière partie est annoncée pour l’automne 2024.
Loin de la Chine cette fois, c’est au
nord du Vietnam que nous emmène la roman graphique Les
brumes de Sapa*****. Il ne s’agit pas d’une
nouveauté, l’édition originale ayant été publiée en
2016. Mais la réédition de ce bel ouvrage est la
bienvenue, d’autant qu’elle comprend seize pages
inédites retraçant la suite de l’histoire après 2016.
Dans ce long récit autobiographique, l’auteure et
dessinatrice Lolita Séchan, se concentre sur l’amitié
aussi forte qu’improbable qui la lie à une jeune fille
de la communauté Hmong du Vietnam. Lolita Séchan, qui
ne nous cache rien de ses problèmes personnels,
raconte comment à l’âge de vingt-deux ans, totalement
incapable de prendre la moindre décision concernant
son avenir, elle est partie voyager au Vietnam. Plus
ou moins par hasard, elle se retrouve tout au nord du
pays, dans la région montagnarde occupée par le peuple
Hmong. Les lecteurs de « L’Asie dessinée »
connaissent cette minorité ethnique grâce au roman
graphique Hmong.
L’auteure de ce dernier, une jeune Française qui en
est originaire, y raconte l’histoire de ce peuple qui
s’est toujours retrouvé « du mauvais côté de
l’Histoire » et qui a été persécuté dans
les divers pays d’Asie du Sud-Est où il est dispersé.
À Sapa, bourgade habitée par les Hmongs, Lolita
rencontre une petite fille, Lo Thi Gom. Tout les
sépare, langues, cultures, mode de vie… Et pourtant,
la Française se prend d’un attachement irrésistible
pour la petite Vietnamienne, au point qu’elle
retournera la voir chaque année, des années durant. Au
fil des pages, Lolita Séchan décrit l’évolution de
cette amitié avec ses hauts et ses bas. Quand elle
invite la jeune Hmong à visiter Saïgon, voyage que
cette dernière n’aurait jamais pu rêver de faire sans
son amie française, elle constate avec amertume leurs
différences radicales de centres d’intérêt : Lolita ne
veut fréquenter que les quartiers anciens et typiques
de la ville, Gom est fascinée par la modernité, le
luxe et les fast-food. De même, la Française a du mal
à accepter que son amie Hmong cède aux pressions de sa
communauté à l’égard du mariage.
Pleine de finesse et de sensibilité, l’histoire très
joliment dessinée de cette amitié se révèle touchante.
Alors que la dessinatrice doit affronter une vie
personnelle et familiale compliquée (notamment dans
ses relations avec son père mentalement instable qui
n’est autre que le chanteur Renaud), il apparaît que
sa relation avec son amie Hmong constitue un point
d’ancrage et de stabilité aussi fort qu’inattendu. Un
beau témoignage sur la possibilité de nouer des
relations d’amitié au-delà de toutes les barrières
culturelles !
Tango, le personnage créé par le tandem
Matz et Xavier, avait habitué ses lecteurs à parcourir
l’Amérique latine. Changement complet de décor avec La
flèche de Magellan****** : l’infatigable
baroudeur se retrouve cette fois aux Philippines. Pour
occuper ses vacances, il se met en tête de retrouver
le casque de Magellan, le navigateur portugais mort au
XVIème siècle dans l’archipel philippin, et la flèche
qui l’a tué. Une quête qui le mène sur une île
interdite où vit une peuplade qui refuse tout contact
avec la civilisation. Pleine de rebondissements,
truffée de savoureux dialogues, l’histoire nous
promène à travers les superbes paysages de l’archipel.
Suite et fin dans un deuxième tome à paraître.
* La Pérégrination vers l’Ouest,
intégrale des illustrations de l’édition japonaise
de 1806-1837 Edition dirigée par Christophe
Marquet
Illustrations de Ohara Toya Minsei, Utagawa
Toyohiro et Katsushika Taito
836 pages
Éditions 2024
69 euros
** Qin Shi Huang
Scénario Fabrice Linck, dessin David Soyeur
64 pages
Kamiti
15,90 euros
*** Opium war
Scénario Jean-Yves Delitte, dessin Q-Ha
56 pages
Glénat
15,50 euros
**** Mongolie
Scénario et dessin Lele Vianello
68 pages
Mosquito
16 euros
***** Les brumes de Sapa
Scénario et dessin Lolita Séchan
272 pages
Delcourt
28,95 euros
****** La flèche de Magellan
Scénario Matz, dessin Philippe Xavier
56 pages
Le Lombard
15,95 euros
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