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L'ASIE DESSINÉE
BD : du Tibet aux Philippines, du Vietnam à la
Chine, cap sur l’aventure !
Thèmes: L'Asie en BD |
Asialyst, 3 juillet 2024
Rien de tel pour les vacances d’été que
quelques bonnes bandes dessinées d’évasion. Au
programme, de la fantasy en Chine, deux thrillers en
Asie du Sud-Est et une exploration imaginaire du
Tibet.
Patrick de Jacquelot
Quoi de
plus aventureux que les expéditions d’explorateurs à la
découverte du Tibet et des régions himalayennes, à
l’image notamment de celles d’Alexandra David-Néel ? Les
hautes solitudes – Voyage en pays Golok* imagine
l’odyssée vécue par deux frères, François et Gabriel de
La Grézère, partis en 1939 à la découverte du quasi
mythique pays des Golok en plein Tibet. Cette peuplade
nomade était d’autant moins connue que, plutôt violente,
elle avait la réputation de piller les caravanes et de
tuer les étrangers qui s’aventuraient sur son
territoire.
Le récit voit donc l’ethnologue François de La Grézère,
« fasciné depuis toujours par le Tibet oriental
et les Golok en particulier », monter une
expédition pour étudier les mœurs et les traditions de
ces derniers. Une aventure dans laquelle il est
accompagné par son jeune frère Gabriel, au tempérament
fort peu scientifique, lui. Radié de l’armée, il a une
personnalité instable et tourmentée. Chargé du fait de
sa maîtrise des armes d’assurer la sécurité de la petite
troupe, il va susciter en fait bien des difficultés.
"Les hautes solitudes - Voyage en
pays Golok", scénario Christian
Perrissin, dessin Boro Pavlovic
(Crédit : Glénat) |
Haletant, comme il sied à une telle aventure, le récit bénéficie d’une belle mise en image réaliste. Paysages de steppes ou de haute montagne, architectures des bourgades du centre de l’Asie, costumes et caravanes nous plongent dans un monde radicalement différent du nôtre – et largement disparu depuis. On attend avec intérêt le deuxième et dernier volume en espérant que nos aventuriers s’en sortiront, ce qui n’a rien de garanti : tout le récit est présenté comme issu du journal de voyage tenu par François, ce qui n’interdit pas de penser qu’il n’est peut-être jamais ressorti de ce pays Golok auquel il avait rêvé toute sa vie…
Après cette histoire ancrée dans la réalité, place au pur romanesque avec la quatorzième et ultime aventure de Wayne Shelton, baroudeur imaginé par le fertile scénariste Jean Van Hamme. Un peu moins connu que le célébrissime XIII du même auteur, Shelton a vécu depuis 2001 de multiples aventures dans un registre relativement proche. Dans L’or de Saïgon**, Shelton, arrivé à l’âge de la retraite, se trouve amené à replonger dans ses souvenirs de la guerre du Vietnam. Alors lieutenant dans les Bérets verts et spécialiste des missions délicates, Shelton avait été chargé, lors de la chute de Saïgon, de mettre à l’abri le fourgon blindé renfermant vingt tonnes d’or de la banque centrale du Sud Vietnam. Une opération qui s’était fort mal terminée : l’avion transportant le fourgon avait été abattu en territoire contrôlé par les Khmers rouges.
Et voilà que près de cinquante ans plus tard, Shelton, qui est le seul à pouvoir identifier l’endroit où le fourgon a pu s’écraser dans la jungle, se voit proposer de partir à la recherche de ce fabuleux trésor. Ce qui ne va pas se passer facilement comme on peut l’imaginer.
Grand maître du thriller, Van Hamme nous emmène dans une de ces intrigues captivantes dont il a le secret. Les flashbacks font revivre le chaos de la chute de Saïgon, période propice aux magouilles les plus ahurissantes. Le dessin réaliste ultra dynamique de Christian Denayer met superbement en images les (quasiment incessantes) scènes d’action et nous promène des rues de Saïgon en 1975 à la jungle cambodgienne, du Vietnam d’aujourd’hui à la mer de Chine. Du grand spectacle !
Toujours dans le registre du grand romanesque, l’aventurier Tango nous avait emmenés à la fin de l’année dernière à la recherche du casque et de la flèche de Magellan aux Philippines dans La flèche de Magellan. Conçue en deux tomes, cette histoire vient de s’achever avec la parution de Ballade de la mer de Sulu***. La quête de ces vestiges archéologiques inestimables suscite bien des convoitises, notamment de la part des triades, et elle n’ira pas à son terme sans une accumulation de morts… Menée à un rythme d’enfer, elle nous offre en toile de fond de superbes images de la mer de Sulu, entre Bornéo et les Philippines, mais aussi de Manille et de ses bidonvilles. Autant de régions d’Asie que l’on a peu souvent l’occasion de voir en bande dessinée.
Il aura fallu attendre deux ans et demi après la parution d’un premier volume très remarqué pour voir sortir le deuxième tome des Brumes écarlates****. On replonge dans cette Chine médiévale de fantasy, grouillante de guerriers, de mages, de monstres et autres objets magiques. Menacés en permanence par ces brumes mystérieuses qui tuent tout sur leur passage quand elles se déploient, plusieurs royaumes rivaux s’affrontent pour trouver la « pierre aux cinq couleurs » qui permettrait de contrôler les brumes.
De la fantasy de série quant au scénario et l’intrigue, à dire vrai, est bien difficile à suivre. Mais cette bande dessinée chinoise vaut par son graphisme. Monstres, armures, architectures, paysages sont plus impressionnants les uns que les autres. Sans parler des incessantes scènes de combat qui font exploser les pages. L’auteur/dessinateur Wu Qingsong confirme sa capacité à mettre en scène une histoire conforme aux canons modernes tout en s’ancrant dans une tradition esthétique bien chinoise. Une suite est annoncée.
Retour au monde réel avec la parution du deuxième
volume de Peleliu Gaiden***** après un premier tome
paru en mars dernier. Rappelons qu’il s’agit d’une
série dérivée du manga principal, Peleliu, qui
raconte l’histoire folle de soldats japonais ayant
continué la guerre dans une petite île du Pacifique
bien après la fin officielle du conflit en 1945. Cette
extraordinaire série, l’un des meilleurs mangas de ces
dernières années, s’était étendue sur onze volumes et
2 200 pages. Mais son auteur Kazuyoshi Takeda n’avait
pas pour autant épuisé le sujet… Avec Peleliu
Gaiden, il livre une série de très courts récits
approfondissant tel ou tel personnage ou tel ou tel
incident de l’histoire principale. Dans ce volume, on
découvre entre autres le portrait de soldats
américains complètement déboussolés par leur plongée
dans l’enfer de Peleliu, la façon dont différents
petits groupes de soldats japonais organisent leur vie
cachée dans la jungle, de la discipline impitoyable
jusqu’au relâchement complet, ou encore la découverte
vingt ans plus tard de l’histoire de la guerre par le
fils d’un soldat rescapé du désastre. Toujours aussi
poignant, toujours aussi captivant, Peleliu Gaiden
ne peut être apprécié que par les lecteurs familiers
de la série principale.
La mangaka japonaise Fumiyo Kouno est l’auteure d’une
œuvre tout à fait remarquable, fine et sensible. On
lui doit notamment Dans un recoin de
ce monde et Le pays des
cerisiers, superbes évocations des
conséquences de la bombe d’Hiroshima sur la population
civile. Son éditeur Kana poursuit la réédition de ses
œuvres des deux décennies écoulées avec cette fois Pour
Sanpei******.
Très loin de l’aventure, ce volume offre une plongée
dans la vie quotidienne d’une famille japonaise.
Sanpei est un presque vieux monsieur. Venant de perdre
son épouse, il va s’installer chez son fils, sa
belle-fille et sa petite-fille. D’un tempérament
plutôt ronchon et solitaire, il lui faut s’adapter à
sa nouvelle vie. Pour ce faire, il bénéficie d’une
aide immense : un cahier laissé par son épouse à son
intention dans lequel elle lui prodigue toutes sortes
de conseils portant à la fois sur ses relations avec
son entourage et les menus détails de la vie
matérielle. Cela lui permet de prendre progressivement
en charge le fonctionnement de son nouveau foyer,
donnant ainsi à sa belle-fille la possibilité de
reprendre le travail dont elle rêvait. Le vieil homme
bon à rien dans la maison se transforme petit à petit
en fée du logis ou presque. Plus important, il devient
capable de nouer des relations sereines avec sa
famille et même d’envisager une idylle avec une femme
beaucoup plus jeune que lui.
Simple et touchante, cette histoire présente une
grande originalité : celle d’inclure de multiples
conseils de vie pratique. Fumiyo Kouno explique en
détail et en images comment recoudre un bouton, faire
de la soupe de riz, aérer les futons, repasser une
chemise, fabriquer une boîte en papier plié, et même
tricoter avec les doigts. De quoi pénétrer dans le
quotidien le plus ordinaire d’une famille japonaise !
Un manga porté évidemment par le dessin toujours aussi
charmant de Fumiyo Kouno.
* Les hautes solitudes – Voyage en
pays Golok, tome 1
Scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic
64 pages
Glénat
15,50 euros
** L’or de Saïgon
Scénario Jean Van Hamme, dessin Christian Denayer
48 pages
Dargaud13,95 euros
*** Ballade de la mer de
Sulu
Scénario Matz, dessin Philippe Xavier
56 pages
Le Lombard
15,95 euros
**** Les brumes écarlates,
tome 2
Scénario et dessin Wu Qingsong
200 pages
Glénat
22,50 euros
***** Peleliu Gaiden,
tome 2
Scénario et dessin Kazuyoshi Takeda
224 pages
Vega Dupuis
8,35 euros
****** Pour Sanpei
Scénario et dessin Fumiyo Kouno
282 pages
Kana
15,50 euros
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