Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact

L'ASIE DESSINÉE

Spécial fêtes : de Hokusai à Kim Jong-un, livres cadeaux et grands reportages en BD sur l’Asie


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 4 décembre 2024

Au menu ce mois-ci, une somptueuse monographie sur Hokusai et d’autres très beaux livres à placer sous le sapin, ainsi que deux étonnants reportages sur l’Inde et la Corée du Nord.

Patrick de Jacquelot

En cette période de fêtes, quoi de mieux à offrir aux amoureux de l’Asie qu’un beau livre sur leur pays préféré ? La publication de livres d’art consacrés à l’Asie est en effet abondante, comme en témoignait déjà une chronique récente de « L’Asie dessinée ». Voici donc quelques ouvrages qui ont toutes les chances de faire plaisir.

C’est une fois de plus le Japon qui séduit le plus les éditeurs avec une riche production. L’ouvrage qui se détache en cette fin d’année est le Hokusai* des éditions Taschen. Sous-titré Œuvres (presque) complètes de Hokusai, le volume est impressionnant : plus de sept cents pages très grand format, une somme ! Si un « presque » vient s’insérer au milieu de l’expression « œuvres complètes », c’est que la production du plus célèbre des artistes japonais est trop importante pour tenir dans un seul volume, même de la taille de celui-ci. On y trouve malgré tout environ 750 estampes, peintures et illustrations, de quoi couvrir l’essentiel de l’œuvre du maître.

Illustration tirée de "Hokusai", Andreas Marks, Taschen (Crédit : Taschen)
Cette monographie qui se veut aussi exhaustive que possible est réalisée par le spécialiste Andreas Marks. Très intéressants, ses différents articles réussissent à être à la fois érudits et d’une lecture aisée. Marks dresse un panorama du contexte historique et social de la vie de Hokusai (1760-1849) et retrace précisément les conditions économiques de sa production artistique. Hokusai n’a rien d’un peintre maudit, bien au contraire. Il produit pour le grand public et répond aux demandes des éditeurs qui réagissent eux-mêmes au succès de leurs ventes. Ce qui ne l’empêche pas de réaliser également des commandes privées pour des amateurs aisés.

Comme tout maître, Hokusai s’entoure d’élèves qui apprennent à peindre dans son style. De quoi empêcher de discerner précisément la part prise par Hokusai lui-même et par tel ou tel de ses disciples dans ses œuvres – et contribuer à en expliquer le nombre impressionnant, détaille Andreas Marks.

L’essentiel du volume tient à la reproduction de ces « œuvres (presque) complètes ». Celles-ci sont classées en six périodes correspondant aux principaux « noms de maître » adoptés au cours de sa vie par Hokusai (qui ne s’est donc fait appeler par ce nom qu’une partie de son existence). L’auteur nous apprend en effet qu’à l’époque considérée, un système complexe régissait l’utilisation de plusieurs noms successifs par un artiste. Hokusai a donc été connu par trois « patronymes d’artiste », sept « noms de maître » et seize « noms d’artiste vérifiés » ! Ce qui complique sérieusement, on s’en doute, les recherches sur la paternité de ses œuvres…

Page après page, le lecteur voit défiler l’extraordinaire variété de la production de l’artiste : la réputation des paysages de Hokusai n’est plus à faire, pas plus que celle de ses personnages, guerriers, courtisanes, artisans et autres. Mais l’artiste révèle ici d’autres facettes peut-être moins connues comme son talent de peintre animalier, ses dessins de fleurs et de nature, et même son art érotique. On retrouve avec bonheur les fort connues mais toujours aussi fascinantes multiples variations de Hokusai autour du mont Fuji qui peut aussi bien envahir l’image que se nicher dans un petit coin de paysage. Les suites de représentations de bords de mer ou encore de chutes d’eau sont plus admirables les unes que les autres.

Outre leur très grand format, les reproductions bénéficient d’une remarquable qualité d’impression. Certains détails énormément agrandis font pénétrer dans les images, tandis que quelques pages dépliantes permettent d’appréhender de vastes œuvres. Un volume dont il faut de nombreuses heures pour faire le tour.



Signalons qu’un autre livre consacré à Hokusai vient de sortir dans la même catégorie « très beau-très gros » : la réédition de La Manga**, par les éditions Hazan, énorme recueil de croquis réalisés par le maître. Ce coffret comprenant deux tomes reproduit l’ensemble des quinze carnets du maître, soit quelque 4 000 dessins !


Le même éditeur Hazan continue par ailleurs sa publication de livres accordéon d’estampes japonaises consacrés à un thème pictural. Après Le printemps par les grands maîtres de l’estampe japonaise, vient de paraître La montagne par les grands maîtres de l’estampe japonaise***. Équivalant à près de 120 pages, le long bandeau inclus dans le coffret juxtapose une soixantaine d’œuvres appartenant à neuf artistes du XIXème siècle et du début du XXème. Élément essentiel du paysage japonais, les montagnes s’y déploient en majesté, à commencer bien sûr là encore par le mont Fuji.

Si le thème est unique, la variété des représentations est très grande, du dessin minutieux fourmillant de détails jusqu’aux évocations presque abstraites de montagnes suggérées en quelques traits. Éclatantes de couleurs au printemps ou en automne, les cimes se couvrent de neige l’hiver, donnant naissance à de superbes images. La présence de l’homme dans ces paysages montagneux se traduit parfois par des images surréalistes comme celle des nacelles permettant de passer d’un pic à un autre ou d’invraisemblables ponts suspendus propres à donner le vertige… Un joli livre objet incitant au rêve.



Toujours au chapitre des beaux livres cadeaux pour les fêtes, les « Travel Books » édités par Louis Vuitton sont des valeurs sûres. À défaut de publications récentes sur l’Asie, on peut se reporter sur des titres plus anciens comme ceux consacrés au Vietnam**** et à Shanghai*****. Le premier est dû à l’artiste italien Lorenzo Mattotti. Conformément à la tradition des carnets de voyage, il alterne croquis rapides et scènes plus détaillées, portraits de passants, éléments d’architecture et paysages. Alors même que Mattotti pratique volontiers les couleurs fortes, ses dessins en noir et blanc au fusain sont souvent les plus frappants. En témoignent ses silhouettes de rochers de la baie d’Halong ou ses croquis de bateaux sur le Mékong. Une belle invitation au voyage.



Style complètement différent pour le volume dévolu à Shanghai. Là, c’est l’artiste nigériane Otobong Nkanga qui a passé trois semaines à sillonner la mégapole chinoise pour en rapporter ce carnet de voyage. On y trouve très peu de vues d’ensemble de la ville et de son architecture. L’artiste s’est beaucoup plus attachée à restituer une multitude de fragments urbains : éléments décoratifs, pavages, panneaux de signalisation, plantes diverses… Passants et petits métiers de la rue ne sont pas oubliés, bien sûr, dans cet ensemble à la tonalité plutôt intimiste.



Dernier beau et gros livre parfaitement adapté à la saison des cadeaux : une nouvelle édition intégrale d’Une vie chinoise******. « L’Asie dessinée » a parlé à plusieurs reprises de ce monument : l’autobiographie en bande dessinée de l’artiste chinois Li Kunwu. Toute l’histoire des bouleversements de la Chine contemporaine vue à travers le destin d’un Chinois ordinaire : le Grand Bond en Avant et ses désastres, la Révolution culturelle et ses horreurs, l’ouverture économique et la course folle à l’argent… Servie par un dessin virtuose, c’est une plongée fascinante dans une Histoire récente, indispensable pour comprendre l’évolution actuelle de la nouvelle superpuissance. Bénéficiant d’une nouvelle couverture, cette réédition reprend en un volume les trois tomes de l’édition d’origine. Indispensable pour qui s’intéresse à la Chine, au monde contemporain ou tout simplement aux chefs d’œuvre de la bande dessinée.



Changement complet de registre avec deux bandes dessinées récentes de grand reportage. Un domaine dont l’Américain Joe Sacco, né en 1960, est un des maîtres. Sacco, qui s’est fait connaître notamment avec ses livres sur la Palestine et la Bosnie, est un journaliste à part entière qui présente la particularité de publier ses reportages sous forme de bandes dessinées dont il réalise le scénario et le dessin. C’est à l’Inde qu’il consacre un nouveau volume avec Souffler sur le feu*******. Un long reportage graphique au sous-titre parfaitement explicite : « Violences passées et à venir en Inde ».

Sacco y étudie le mécanisme des émeutes qui secouent régulièrement l’autoproclamée « plus grande démocratie du monde ». N’ayant à vrai dire que l’embarras du choix, il s’est penché sur les violences qui ont secoué Muzaffarnagar, une région de l’Uttar Pradesh, grand État du nord de l’Inde, en 2013. Des violences qui, sur plusieurs semaines, ont fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et des dizaines de milliers de déplacés.

Se mettant en scène dans le déroulé de son enquête sur le terrain, Sacco tente de mettre à jour l’enchaînement des faits qui, d’un incident initial mineur, ont conduit à un embrasement de la région. Une enquête journalistique de base, en fait, mais rendue particulièrement compliquée par les mensonges délirants proférés par l’ensemble des parties prenantes, toutes désireuses de dégager leur responsabilité dans le déchaînement de violence. À tel point qu’un objectif majeur de Sacco devient d’analyser « les récits que les auteurs construisent pour justifier leur participation à la violence ». En se rendant sur les lieux un an plus tard, explique-t-il, « on ne cherche pas à capter le souvenir déjà flou d’un événement réel. On traque la fiction, le mythe, l’imposture qui prennent sa place. »

Décortiquant minutieusement l’enchaînement des provocations et des représailles entre la communauté des Jats (caste hindoue dominante) et celle des musulmans, le journaliste cherche à mettre en évidence les multiples jeux de pouvoirs dans l’Uttar Pradesh : le rôle de chaque communauté, les relations entre les Jats propriétaires terriens et les musulmans ouvriers agricoles qui travaillent pour les premiers… Il passe en revue le rôle des différents partis politiques, du SP au pouvoir à l’époque, qui favorisait l’électorat musulman, jusqu’au BJP, ultra-nationaliste hindou toujours prêt à attiser les tensions communautaires.

Au fil de son enquête, Sacco décrit des mécanismes de rapports de force au sein de la police, par exemple, où les policiers de terrain favorisent les riches locaux, c’est-à-dire les Jats, tandis que la hiérarchie penche en faveur des protégés des politiques au pouvoir, les musulmans donc – au moment de ces émeutes ; l’Uttar Pradesh est désormais dirigé par le BJP avec un ministre en chef violemment anti-musulmans. Accompagnant le reportage sur place de longs développements sur la situation des musulmans en Inde, les tensions communautaires au fil des décennies écoulées et autres éléments de contexte, le journaliste dessinateur n’épargne rien à son lecteur de l’extrême complexité des relations communautaires et des enchevêtrements d’intérêts politiques de l’Uttar Pradesh, au risque parfois de perdre un peu ledit lecteur.

Deux considérations au moins émergent de cet impressionnant travail : la nostalgie maintes fois exprimée de toutes parts de l’époque où « avant, on vivait en paix » ; et la certitude que les émeutes de Muzaffarnagar sont finalement d’une banalité désespérante. Des émeutes similaires avaient eu lieu avant, d’autres se sont déroulées depuis et rien ne permet d’espérer que le phénomène disparaîtra. Tant que les politiques auront intérêt à « souffler sur le feu », la violence a un bel avenir devant elle en Inde.



Autre grand reportage à la tonalité plutôt grand-guignolesque cette fois : Pyongyang Parano********. Il s’agit d’un récit de fiction largement inspiré d’un reportage réel effectué en 2008 par Antoine Dreyfus, ancien grand reporter à VSD. Le journaliste a collaboré au scénario de cette bande dessinée où, comme il le dit dans sa préface, « dans cette histoire presque entièrement véridique, ce qui est le plus improbable est, précisément, ce que nous n’avons pas inventé ».

L’histoire est donc celle d’un reporter et d’une collègue photographe décidés à faire un reportage en Corée du Nord, territoire interdit aux journalistes. Une idée folle leur vient : se joindre à une mission commerciale en se faisant passer pour des négociants en chocolat désireux de s’implanter dans le pays. Après avoir étudié de près les secrets de la fabrication du chocolat, l’opération se déroule sans anicroche : rien de plus facile que d’intégrer un groupe d’hommes d’affaires, un intermédiaire plutôt louche est là pour ça et il suffit de payer (en liquide exclusivement).

Le couple de journalistes se retrouve donc à Pyongyang pour un séjour de huit jours. Une plongée dans un monde surréaliste vécue la peur au ventre avec la hantise que la supercherie soit découverte : les conséquences les plus extrêmes pourraient en résulter pour les deux reporters qui se remémorent en permanence le sort réservé par le régime aux étrangers considérés comme des espions…

À défaut d’être démasqués, leur séjour leur permet de découvrir diverses facettes de la vie du pays. Les règles de base pour les visiteurs, pour commencer : « interdiction de quitter l’hôtel, d’appeler un taxi, de parler aux gens dans la rue », envois de mails limités à quatre lignes, etc. Visites obligatoires des lieux à la gloire de la dynastie des Kim : statues géantes, maison natale, film sur les exploits surhumains du Grand Dirigeant… Tout à leur espoir de rencontrer le leader suprême Kim Jong-un pour le convaincre des bienfaits qu’apporterait le chocolat à son pays, les deux faux homme et femme d’affaires sont auditionnés par des bureaucrates pleins de méfiance et de soupçons, un processus qu’ils vivent comme « passer l’oral de l’ENA devant des tueurs à gages ». La rencontre promise tourne court et les deux journalistes peuvent quitter le pays après huit jours de pure terreur.

Traité sur un ton plein d’ironie, cette expédition en Corée du Nord dessinée dans un style caricatural est riche d’enseignements. Au fil de leurs conversations destinées à les préparer à leur aventure, les deux protagonistes donnent aux lecteurs de nombreuses informations sur le régime des Kim, cette « dynastie communiste féroce » dont les excès feraient beaucoup rire dans une fiction s’ils n’étaient aussi tragiques dans la réalité. Pour une autre remarquable bande dessinée révélant la folie surréaliste du régime, on peut se reporter à Le dictateur et le dragon de mousse, l’incroyable histoire des stars de cinéma sud-coréennes enlevées par la Corée du Nord dans le but de développer un cinéma national.



Une BD de pure fiction pour terminer : voici tout juste un an paraissait le premier tome de Mongolie de Lele Vianello. C’est aujourd’hui le tour de Mongolie tome 2, L’Or du Démon*********, qui vient clore le récit. Grande aventure classique écrite et dessinée par un disciple d’Hugo Pratt, cette histoire nous emmène sur la piste du trésor caché de Roman Von Ungern-Sternberg dit « le Baron fou », général tsariste qui combattit la révolution bolchevique avant de tenter d’imposer l’indépendance de la Mongolie contre la Chine et l’URSS. Chargé de cette périlleuse mission par un monastère tibétain, un ingénieur britannique est accompagné de moines guerriers beaucoup plus guerriers que religieux, ce qui n’est pas de trop vu les convoitises suscitées par le magot. Entre les brigands, les agents soviétiques et les troupes britanniques, le petit groupe a fort à faire pour récupérer cette fortune destinée à financer la défense du Tibet indépendant. Menée tambour battant, l’histoire bénéficie d’un superbe dessin noir et blanc qui ravira les fans d’Hugo Pratt.


* Hokusai
Andreas Marks
722 pages
Taschen
175 euros

** La Manga
Hokusai
912 pages
Hazan
99 euros

*** La montagne par les grands maîtres de l’estampe japonaise
Anne Sefrioui
Accordéon de 118 pages + livret de 48 pages
Hazan
35 euros

**** Vietnam
Lorenzo Mattotti
172 pages
Louis Vuitton Travel Book
55 euros

***** Shanghai
Otobong Nkanga
136 pages
Louis Vuitton Travel Book
55 euros

****** Une vie chinoise
Scénario Philippe Otié et Li Kunwu, dessin Li Kunwu
744 pages
Éditions Kana
39 euros

******* Souffler sur le feu
Scénario et dessin Joe Sacco
144 pages
Futuropolis
22 euros

******** Pyongyang Parano
Scénario Emmanuelle Delacomptée et Antoine Dreyfus, dessin Fanny Briant
128 pages
Marabulles
23,95 euros

********* Mongolie tome 2, L’Or du Démon
Scénario et dessin Lele Vianello
92 pages
Mosquito
18 euros


Accueil

Articles

Photos

Profil

Contact